vendredi 31 octobre 2008

7 FILMS POUR UN HALLOWEEN QUEER




Sept films de trouille pour la fête des citrouilles, sept joyaux méconnus du cinéma fantastique queer pour teinter de rose les nuits pourpres de votre Hallo-week...
Comment ? Vous ne les possédez pas dans votre DVDthèque ?... Dans ce cas, vous avez une année pour vous les procurer et vous préparer un Halloween 2009 d'enfer !... N.B. : Pour visionner la bande-annonce ou un extrait de chaque film, cliquez sur son affiche. 

1. LEMORA, A CHILD TALE OF THE SUPERNATURAL (Lemora - 1973) Réal : Richard BLACKBURN - Avec : Lesley GILB, Cheryl "Rainbeaux" SMITH, Richard BLACKBURN.

 
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Sans conteste l'un des plus beaux contes d'épouvante jamais imprimés sur pellicule, et peut-être le meilleur film fantastique lesbien. La jeune Lila LEE, fille d'un gangster notoire, a été recueillie par un pasteur et chante des cantiques dans son église. Elle reçoit un jour l'invitation d'une inconnue qui prétend héberger son père, gravement blessé. Tout porte à croire que ce dernier est tombé sous la coupe de Lemora, une mystérieuse femme-vampire régnant, au coeur d'une forêt hantée, sur une population de créatures hybrides et d'enfants égarés. Lila succombera-t-elle à son tour à l'envoûtement de cette Châtelaine de la Nuit ?... Une atmosphère envoûtante, évoquant aussi bien La Nuit du Chasseur que Le Cauchemar d'Insmouth. Le réalisateur, Richard BLACKURN, est le co-signataire du scénario d'un autre monument d'horreur queer : le comico-macabre Eating Raoul de Paul BARTEL. Quand LOVECRAFT rencontre Charles LAUGHTON... Un film-culte (un vrai!) à redécouvrir d'urgence... Commandez sur amazon.fr. 

  2. THE OFFSPRING, aka FROM A WHISPER TO A SCREAM (Nuits sanglantes - 1987) Réal : Jeff BURR - Avec : Vincent PRICE, Clu GULAGER, Cameron MITCHELL, Susan TYRELL

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L'une des rares réussites du film d'horreur à sketches des années 80, supérieur aux plus acclamés Creepshow et Cat's eyes. Première oeuvre du cinéaste Jeff BURR, alors âgé de 23 ans. Quatre segments composent le métrage : le premier confronte un tueur nécrophile et vaguement incestueux au fruit de sa copulation avec le cadavre de sa victime ; dans le deuxième, un braqueur blessé par ses comparses trouve refuge, au coeur des bayous, chez un ermite black adepte du vaudou ; le troisième sketch s'intéresse aux déboires d'un mangeur de verre, dans une fête foraine régentée par une inflexible charmeuse de serpents, versée dans la magie noire ; le quatrième volet, situé durant les derniers jours de la Guerre de Sécession, expose le calvaire vécu par un quarteron de soldats nordistes, tombés entre les mains d'une communauté de gamins estropiés et vengeurs. Le lien entre les différents épisodes est assuré par Vincent PRICE, dans le rôle d'un bibliothécaire qui narre ces sombres récits à une journaliste venue l'interviewer au sujet de l'exécution de sa nièce. La mise en scène de Jeff BURR illustre avec sobriété des intrigues efficaces, d'un pessimisme absolu et émaillées de notations sordides (Cameron MITCHELL étranglant une petite fille borgne en lui roulant un palot énergique ; Clu GULAGER, en pleurs, entonnant pour le cadavre de sa victime une chanson d'amour mongoloïde qu'il a composée à son intention...) Distribution somptueuse, émaillée d'acteurs-cultes. GULAGER est grandiose en vieux garçon emprunté et cafard, qui pète les plombs après que l'objet de sa flamme lui a refusé ses faveurs. Cameron MITCHELL, en officier nordiste sadique et débraillé, livré aux exactions d'une bande de marmots sanguinaires, trouve le meilleur rôle de sa pénible fin de carrière, et fignole une composition de toute beauté. Vincent PRICE renia le film en raison de ses scènes gores, certes éprouvantes mais nullement gratuites. La musique du deuxième segment est l'une des plus atmosphériques du cinéma d'horreur des eighties. Les éléments queers ?... L'ensemble du casting (les iconiques Vincent PRICE et Susan TYRELL en tête). Les thèmes abordés : fétichisme, nécrophilie, gérontophilie, inceste, notion de paternité monstrueuse. Autre élément qui, bien qu'extérieur au film, ajoute à son caractère queer : le fait que Vincent PRICE, selon certaines sources, connut au cours du tournage une liaison homosexuelle qui faillit ruiner son mariage avec Coral BROWNE (cf. Dennis MEIKLE, in Vincent Price, The Art of fear ; Virginia PRICE, in Vincent Price : A Daughter biography). Commandez sur amazon.fr.

Photo de tournage inédite de From a whisper to a scream, avec Vincent PRICE

3. MOTEL HELL (Nuits de cauchemar - 1980) Réal : Kevin CONNOR - Avec : Rory CALHOUN, Nancy PARSONS, Nina AXELROD

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"Farmer Vincent" et sa sœur se sont spécialisés dans le commerce artisanal de succulentes grillades. Leur matière première ?... La chair de touristes égarés, qu'ils kidnappent et font faisander dans le fertile terreau de leur jardin secret. Dans le rôle du "Farmer" : Rory CALHOUN, acteur gay, et l'un des plus célèbres poulains de l'écurie d'Henry WILLSON, agent hollywoodien spécialisé dans le recrutement de jeunes comédiens peu farouches du fignard (Rock HUDSON, Guy MADISON, Tab HUNTER, etc..., sont passés par son bureau avant de faire carrière). Gore, hilarant, campy, et plutôt dérangeant -- même 28 ans après --, MOTEL HELL est un classique incontournable de l'horreur queer. Commandez sur amazon.fr. 

4. MADHOUSE (1974) Réal : Jim CLARK - Avec : Vincent PRICE, Peter CUSHING, Robert QUARRY, Adrienne CORI
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Vincent PRICE rencontre Peter CUSHING dans le "Boulevard du Crépuscule" du cinéma fantastique. Une ancienne star de l'épouvante est conviée à reprendre l'un de ses rôles fétiches à la télévision. Mais une série de crimes perturbe bientôt le tournage. Les soupçons se portent rapidement sur le comédien, d'autant que le coupable officie dans le costume du personnage qu'il incarne. L'une des plus transparentes allégories queers du fantastique des années 70. Je ne m'y attarde pas, car un post détaillé suivra... (Vous pouvez le lire ici.) Commandez sur amazon.com. 

5. THE ATTIC (Les 13 marches de l'angoisse - 1980) Réal : George EDWARDS - Avec : Carrie SNODGRESS, Ray MILLAND

Jaquette française de The Attic -- inutile de cliquer, j'ai pas trouvé d'extrait !

Bibliothécaire, Louise vit avec son père, vieillard acariâtre et paralytique, cloué dans un fauteuil roulant depuis un accident dont elle est la cause. Elle s'est mariée bien des années plus tôt, mais son époux a disparu le jour même de leurs noces. Depuis, elle attend son retour, dans l'espoir qu'il la tirera des griffes de son tyran de père.
Attention : chef-d'œuvre ! Ce drame intimiste et dépouillé, flirtant avec le fantastique sans jamais s'y abandonner complètement, est une vibrante dénonciation de l'oppression parentale et de l'aliénation qu'elle engendre, ainsi qu'un film féministe d'une remarquable justesse de ton. Carrie SNODGRESS est égale à elle-même, c'est à dire simplement géniale, dans le rôle d'une jeune fille "prolongée" par la force des choses, sombrant lentement dans la névrose. Plusieurs traits de son personnage pourraient presque nous faire parler de film lesbien -- réalisé par un mec, une fois de plus (voir Lemora un peu plus haut). Eh, les filles !... Donnez-moi des exemples de films homos masculins réalisés par des meufs, et j'achève d'embrasser votre cause !... Commandez sur amazon.com. 

6. ALONE IN THE DARK (Dément - 1980) Réal : Jack SHOLDER - Avec : Jack PALANCE, Martin LANDAU, Donald PLEASENCE, Dwight SCHULTZ

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Déjà coupable du très homophile La Revanche de Freddy (1985), Jack SHOLDER nous offrait, quelques années plus tôt, le premier slasher proto-gay des eighties, avec ce Alone in the dark dans lequel un quatuor de détraqués mentaux échappés de l'asile kiffent grave leur ancien psy, et jouent au chat et à la souris avec son infortuné successeur. Matez la scène prégénérique, avec son bar rose baptisé "Chez maman", et dites m'en des nouvelles ! PALANCE et PLEASENCE cabotinent avec bonheur, mais c'est LANDAU qui emporte la palme avec une prestation hallucinée et ébouriffante ! Commandez sur amazon.fr. 

7. WHAT'S THE MATTER WITH HELEN ? (1971) Réal : Curtis HARRINGTON - Avec : Shelley WINTERS, Debbie REYNOLDS, Agnes MOOREHEAD, Michael MacLIAMMOIR

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Deux tueurs s'aimaient d'amour tendre -- et furent exécutés de concert. Leurs mamans respectives, qui s'aiment presque autant, s'associent pour surmonter leur peine et ouvrent une école de danse à l'usage d'apprenties Shirley TEMPLE. Seulement voilà, l'une des deux pète les plombs quand l'autre s'amourache d'un papa d'élève... Shelley WINTERS et Debbie REYNOLDS sont les mères en question ; cette grande folle de Michael MacLIAMMOIR est un inquié...tante professeur de diction ; le gay Curtis HARRINGTON, l'un des inspirateurs du "New Queer Cinema", officie derrière la caméra... Tout pédé normalement constitué SE DOIT de voir What's the matter with Helen ?, amoureusement confectionné par des homos et des lesbiennes à l'usage de leurs semblables. In-dis-pen-sa-ble !

Commandez sur amazon.com. Pour finir, et pour faire la nique à Miss Lena Bla(blabla) et à son projet de loi à la mord-moi-l'dard, je vous propose de convier Vincent PRICE à votre soirée d'Halloween, en downloadant gayment cet album (cliquez sur la pochette) dans lequel Notre Maître à Tous nous narre quelques suaves histoires de fantômes (album enregistré en 1973). Bonne écoute ! Et joyeux Halloween !

jeudi 30 octobre 2008

GAY HALLOWEEN !

Joyeux Halloween à tous !



Demain, c'est le grand jour, pour fêter nos Morts et nos Monstres -- queers, of course...
Afin de célébrer dignement l'événement, je promets aux fidèles lecteurs de Fears for queers un post "spécial", que je compte mettre en ligne demain soir -- si le Diable m'y autorise --, et qui vous proposera les 7 films idéaux (selon moi) à visionner durant la semaine d'after Toussaint...
D'ici là, bonne bourrasque... de feuilles mortes !...
Amitiés de BB.


ANDY MILLIGAN (1929-1991) 3ème et dernière partie

Pour accéder aux deux premières parties de ce dossier, cliquer sur :
part 1 -- part 2

"I wish to God I knew I'd meet my friends in the hereafter, but I know there's nothing, there's nothing." Andy MILLIGAN



En 1971 et 1972, MILLIGAN revient au théâtre avec deux pièces qu'il écrit et met en scène : Section 8 et Cocteau. Les représentations ont lieu dans deux salles pornos gays appartenant à Chellee WILSON, la reine des circuits de cinémas érotiques des années 60-70.
Section 8 raconte la liaison amoureuse de deux marines durant la Seconde Guerre Mondiale -- un jeune blanc cinéphile qui idolâtre Bette DAVIS, et un Noir qui refuse son homosexualité --, et les brimades que leur fait subir un soldat raciste et homophobe récemment arrivé dans leur campement.
Cocteau se penche sur la vie sexuelle de l'auteur des Parents terribles, avec une grande liberté historique et une bonne dose de provocation. Il y est question des rapports que l'écrivain, jeune homme, entretenait avec le comédien Edouard De MAX, ainsi qu'avec deux autres larrons (totalement imaginaires) : un certain William BORDEAUX et un énigmatique personnage muet baptisé "La Biche", dont le rôle se borne à sodomiser violemment Cocteau en l'absence de ses deux amants. Le rideau s'ouvrait sur un acteur se masturbant devant le public -- et éjaculant parfois pour les spectateurs privilégiés venus aux représentations nocturnes.


MILLIGAN dans les années 80

Cinématographiquement parlant, le début des années 70 marque le commencement des années noires pour MILLIGAN. Le marché des salles populaires et des drive in est saturé par des productions gores et érotiques fauchées, que nul ne veut plus voir à l'heure où le porno gagne les écrans, et où les Majors n'hésitent plus à faire couler l'hémoglobine dans leurs films de prestige.
William MISHKIN et son fils sacrifient au dernier genre rentable dans le domaine de l'exploitation : le kung fu -- pour lequel MILLIGAN manifeste aussi peu de goût que d'aptitude.
Il se voit confier la réalisation d'inserts softcores destinés à pimenter de vieilles bandes exhumées des tiroirs, ainsi que la mise en scène d'un film de blaxploitation, Supercool (1973) narrant les aventures d'un pendant féminin de Shaft. Le tournage sera abandonné suite à un différend opposant Lew MISHKIN à Andy -- qui, du reste, enrageait de devoir diriger un casting presque entièrement composé de Noirs. Inachevée, la bande est elle aussi considérée comme perdue.
Le seul de ses films de l'époque à témoigner d'une certaine ambition artistique est Fleshpot on 42nd street (1972), vision cruelle et nihiliste du monde des prostituées et des drag-queens de la 42ème rue, que certains critiques comparèrent aux meilleurs travaux de WARHOL ou de Paul MORRISSEY.



MILLIGAN rompt une fois de plus avec les MISHKIN suite à l'échec de Supercool ; des menaces de procès sont formulées de part et d'autre, qui ne se concrétiseront jamais.
Le cinéaste déclara avoir abandonné le cinéma d'exploitation par dégoût de la pornographie, alors en plein essor. "J'en suis sorti quand les pénétrations ont commencé, déclara-t-il à son biographe Jimmy McDONOUGH. Lewis MISHKIN me disait : 'Tu es le réalisateur de films immoraux le plus moralisateur que j'aie jamais rencontré.' Je suis très conservateur. Je me fous de parler de toute cette merde, mais la faire... Je trouve dégueulasse de filmer une pénétration (...) Pourquoi mettre des dialogues dans un film si les gens ne veulent voir que de la baise ? (...) J'aime un bon film de cul où il n'y a que du cul, mais quand ils essaient de le scénariser ou de le jouer, c'est simplement mauvais."
En 1974, il réalise Blood, où la fille de Dracula est mariée au fils du loup-garou Larry Talbot -- ce qui nous vaut la description d'une nouvelle famille de tarés, à laquelle s'adjoint un monstre d'une nature inédite chez MILLIGAN : une plante mangeuse d'hommes. Produit pour une poignée de lentilles par un certain Walter KENT (rencontré lors du tournage d'une version gay et porno de Dracula, dont MILLIGAN était le cameraman) le film tomba aux oubliettes à peine sorti sur les écrans.
Ne trouvant plus aucun débouché dans le cinéma, Andy recrute dans la rue une équipe de loosers, de marginaux et de SDF, avec lesquels il monte quelques spectacles dans les endroits les plus miteux et invraisemblables : vieil hôtel désaffecté, salles de réunions de boy scouts, église perdue au fin fond de Staten Island. Durant des années, il dirigera cette singulière compagnie de bras cassés dans des pièces tantôt issues du répertoire classique, tantôt écrites par lui, mais invariablement montées dans l'anarchie la plus totale.
Incapable de rétribuer ses "comédiens" et de rembourser ses divers créanciers, il s'attire trop d'inimitiés pour demeurer à Staten Island. A la fin des années 70, il s'installe donc à Manhattan où il acquiert un immeuble délabré dans Time Square, qu'il souhaite rénover pour en faire un théâtre. Ce qu'il croit être la concrétisation d'un rêve va s'avérer l'un de ses pires cauchemars.


Times Square, aujourdhui

De nouveau, il reforme une troupe de comédiens autour du noyau de fidèles rescapés de la glorieuse époque du "Caffe Cino". Parmi les nouveaux venus, le plus notable est sans doute Dennis MALVASI, un ancien du Vietnam totalement cintré, pensionnaire régulier des prisons, poseur de bombes dans des cliniques d'avortement pour le compte d'une communauté de fanatiques religieux, fossoyeur occasionnel pour la Maffia, vendeur de bibles et amateur d'opéra !
Ayant constitué sa nouvelle compagnie, MILLIGAN se met en quête d'investisseurs, qu'il appâte en leur suggérant que le théâtre leur appartiendra autant qu'à lui, qu'ils pourront y proposer des pièces de leur choix et participer aux mises en scène -- promesses évidemment fallacieuses, MILLIGAN imposant aussitôt sa tyrannie coutumière et refusant toute ingérence dans la direction du lieu.
Les travaux de réfection du bâtiment l'épuisent totalement et ne font qu'affaiblir ses ressources déjà chancelantes. Pour se renflouer, il loue une partie de l'immeuble à de pauvres hères tout aussi démunis que lui.
Le théâtre, baptisé "The Troupe", ouvre néanmoins ses portes en octobre 1977. Situé dans un quartier infesté de délinquants, et à proximité d'une clinique de désintoxication pour drogués, le lieu n'est pas d'un abord très sûr, et, en conséquence, n'attire guère le public -- encore moins les critiques dramatiques. Il y règne un froid sibérien, faute d'un dispositif de chauffage, et il n'est pas rare de voir de la buée s'échapper des lèvres des comédiens pendant les représentations. Le circuit électrique vétuste tombe régulièrement en panne, ce qui contraint les membres de la troupe à effectuer les répétitions dans une obscurité de crypte. L'endroit est si peu rassurant qu'il acquiert rapidement la réputation d'être hanté (ce fut le cas de tous les lieux où résida MILLIGAN).
En dépit de ces facteurs pour le moins contraires, "The Troupe" restera ouvert durant sept ans, engloutissant le maigre avoir de son propriétaire, et entamant sévèrement sa santé.
L'insupportable tension qu'il impose à ses collaborateurs, ses empoignades fréquentes avec les comédiens, sans parler des multiples rixes qui l'opposent aux voyous du quartier, engendrent un tel climat de crainte et d'oppression qu'il finit par y succomber lui-même : durant les dernières années de sa direction du théâtre, il sombre dans la dépression, et souffre de crises d'angoisse répétées qui annihilent toute son énergie.


Programme de l'un des spectacles de MILLIGAN : une comédie musicale sur... Cendrillon !

Il réalisera néanmoins deux films à cette époque : Legacy of blood (1978), nouvelle version de The Ghastly ones, et Carnage (Tuerie - 1983) qui lorgne vers Amityville, la maison du Diable et Poltergeist, et sortira directement en vidéo.
Si le premier, en sa qualité de remake, contient des éléments caractéristiques du cinéma de MILLIGAN, le second, banale histoire de maison hantée par les esprits d'un couple qui s'est suicidé lors de sa nuit de noces, pourrait être l'oeuvre de n'importe quel tâcheron. Anonyme, platement filmé, reprenant servilement les codes du cinéma d'horreur des années 80, dépourvu de la férocité de ton et de la frénésie propres aux bandes milliganiennes des décennies précédentes, il ne peut que décevoir les fidèles du cinéaste.


Jaquette de la VHS française de Carnage.

Criblé de dettes, délaissé par la plupart de ses amis qui ne supportent plus son despotisme, MILLIGAN tente un (ultime) nouveau départ en quittant New York pour Hollywood. Il y rencontre Wayne KEETON, un prostitué demeuré, de vingt ans son aîné, dont il fait son amant. Et, contre toute attente, il se réconcilie avec Lewis MISHKIN, qui lui commande un nouveau film.
Monstrosity (1987), au titre remarquablement approprié, est un mix foireux de Frankenstein, du Toxic Avenger, et d'un "Justicier" bronsonien. Des étudiants en médecine, pour venger le viol et le meurtre de la fiancée de l'un d'eux, ont la brillante idée de créer un Golem (!) qu'ils lancent sur la piste des assassins. A l'issue du tournage, les sempiternelles querelles entre Andy et son producteur atteignent un point culminant lorsque MILLIGAN, armé d'une bonbonne de gaz, menace de mettre le feu au négatif du film.
C'est pour une ex-associée des MISHKIN que MILLIGAN réalise ensuite The Weirdo (1988), considéré par certains commentateurs comme le seul de ses derniers films qui soit digne d'attention, et où subsistent quelques traces de la personnalité de son auteur. Remake d'un des films "perdus" d'Andy, datant de la fin des années 60, The Weirdo est qualifié par le critique Rob CRAIG de "version gore post-moderne de Roméo et Juliette", et d'"histoire d'amour douce-amère et punky" (lire la chronique du film sur l'excellent site HORROR-WOOD, dans la seconde partie d'un dossier consacré à MILLIGAN).
Le dernier film d'Andy, Surgikill (1988), est une comédie gore poussive, dont nul ne semble savoir ce qu'elle est censée raconter, et que tous s'accordent à considérer comme catastrophique.



MILLIGAN, de son propre aveu, avait cessé d'y croire. Le cinéma ne l'intéressait plus, et chaque journée de tournage l'épuisait. Sa dernière activité professionnelle sera son apparition sur une série de photographies publicitaires pour une marque de caravanes.
En 1989, la mort de son amant Wayne KEETON, victime du Sida, achève de le briser moralement. Il ne tarde pas à subir, à son tour, une multitude de troubles physiques et de maladies dont l'origine n'est pas douteuse. Se sachant condamné, il songe au suicide et demande à son biographe, Jimmy McDONOUGH, de lui fournir de la drogue afin de se provoquer une overdose -- ironique décision de la part de cet adversaire acharné des stupéfiants. Le projet restera au stade de l'intention.
Andy MILLIGAN mourra le 3 juin 1991, au Queen of Angels Hospital, à Hollywood.
Nul ne pouvant payer l'incinération qu'il avait souhaitée, il fut inhumé dans une fosse commune.


Andy MILLIGAN, vers la fin de sa vie

L'acteur John MIRANDA -- qui fut le Sweeney Todd de Bloodthirsty butchers, et qui secourut fréquemment MILLIGAN durant les dernières années de sa vie -- raconte cette anecdote : l'un des doigts de Andy était légèrement déformé et portait une cicatrice ; MIRANDA l'interrogea un jour à ce sujet, et MILLIGAN lui expliqua qu'il était sorti du ventre de sa mère avec les mains étroitement serrées en poings. L'accoucheur avait dû jouer du bistouri pour disjoindre ses doigts, d'où ces séquelles.
"Andy est né furieux", conclut John MIRANDA.

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La plupart des informations, anecdotes et témoignages mentionnés dans cette série de posts, proviennent de la biographie que Jimmy McDONOUGH a consacrée au cinéaste : The Ghastly one, the sex-gore netherworld of Andy Milligan (Editions A Cappella - 2001).
Passionnant et indispensable, l'ouvrage peut être commandé sur amazon.fr.



jeudi 16 octobre 2008

ANDY MILLIGAN (1929-1991) 2ème partie

La première partie de ce dossier peut être lue ici.

"Milligan pictures are very moral pictures, actually. Extremely moral. They show what happens if you fuck around." Andy MILLIGAN.



Derrière la caméra ou sur la scène d'un théâtre, les méthodes de travail de MILLIGAN obéissent à un même principe : techniciens et acteurs sont là pour en baver.
Le tournage de The Ghastly ones n'échappe pas à la règle : engueulades permanentes, cruauté mentale, violence physique. "Andy était totalement, hystériquement cinglé -- hurlant sans cesse", assure la comédienne Carol VOGEL. Lors de la scène d'incendie qui clôt le film, aucune disposition n'ayant été prise pour maîtriser le feu, l'acteur Hal BORSKE, couvert de kérosène, faillit finir en barbecue. Il goûta d'un autre plaisir à l'occasion de l'invraisemblable séquence où le personnage qu'il incarne (le bossu débile de service) se jette sur un lapin et lui ouvre le ventre à coups de dents pour lui dévorer les entrailles. Si le sang était synthétique, l'animal, en revanche, était bien réel, mort depuis un temps indéterminé mais suffisant pour qu'il dégageât une puanteur atroce ; l'expression de BORSKE à l'image traduit moins l'appétit féroce que l'imminence de la gerbe.

 
Portrait au lapin
(Hal BORSKE)

Le scénario de The Ghastly ones exploite une trame qui resservira fréquemment dans les films d'Andy : les membres d'une famille de dingues, rassemblés dans la demeure ancestrale, sont tour à tour décimés par l'un des leurs, plus barge que les autres. Ici, la réunion est motivée par la promesse d'un héritage, une clause du testament impliquant que les trois filles du défunt séjournent dans sa résidence en compagnie de leurs époux, et ce "dans une parfaite harmonie sexuelle, telle que je ne l'ai jamais connue avec votre mère." L'harmonie fera long feu, les trois femelles s'avérant être des garces manipulatrices, et leurs maris de sombres crétins gouvernés par le sexe. Les protagonistes sont occis l'un après l'autre par un maniaque encapuchonné, ce qui donne lieu à des scènes gores trop artisanales pour être opérantes, et d'une suave ineptie : un homme est scié en deux dans une cave, une femme est décapitée et sa tête servie dans une cocotte lors du dîner, une autre se prend un hachoir dans le crâne.
MILLIGAN fait une brillante démonstration de sa technique de cadrage très personnelle, que les commentateurs baptiseront ironiquement "swirl camera" (caméra tournoyante). L'objectif ne se fixe sur rien, virevolte au petit bonheur la chance, créant un climat de frénésie en parfaite adéquation avec l'état d'esprit du cinéaste et ses intentions : exprimer le chaos qui gouverne le monde et préside aux rapports humains.
Il n'est pas rare que la bande-son restitue les imprécations d'Andy et les directives qu'il aboie aux acteurs ; ainsi un mémorable : "Plus vite ! Grouillez-vous ! J'vais manquer d'pellicule !"
A la demande des producteurs, MILLIGAN dut ajouter une séquence gore à son métrage, jugé insuffisant ; opposé à cette injonction, mais contraint d'y céder, il décide de filmer un prégénérique n'ayant aucun rapport avec le reste du film : un couple d'amoureux, muni d'un parasol (?), folâtre dans la nature avant de se faire couper en morceaux par Hal BORSKE. Qui sont ces jeunes gens ? Pourquoi le bossu, qui nous sera présenté par la suite comme un attardé inoffensif, les massacre-t-il ? Et surtout : pourquoi n'arbore-t-il pas l'hilarante prothèse de dents déchaussées dont il sera affligé dans toutes les scènes suivantes ?... Lorsque le comédien, au moment de tourner la scène, signalera ce détail au cinéaste et s'inquiètera de ne plus avoir ses monstrueux chicots, MILLIGAN lui répondra laconiquement : "Tu n'as qu'à faire semblant, chéri."
Mentionnons également la délicieuse scènette, elle aussi parfaitement extérieure à l'intrigue, où l'un des protagonistes masculins subit les avances à peine voilées de son frère homosexuel.
Le meilleur commentaire jamais formulé sur le film reste celui du réalisateur Joe DANTE : "Un home movie tourné à Bedlam" ! (Bedlam était un célèbre asile d'aliénés londonien du 18ème siècle.)


Madame est servie
(Carol VOGEL -- ou ce qu'il en reste...)


En 1968, MILLIGAN s'accorde deux folies : un quasi remake en noir et blanc de The Ghastly ones, intitulé Seeds, et son mariage avec l'actrice principale du film, Candy HAMMOND.
Son producteur du moment, Allen BAZZINI, se souvient lui avoir demandé, effaré, pourquoi il se mariait : "Andy a répondu : "C'est juste pour la presse". J'ai demandé : "Quelle presse ? De quoi est-ce que tu parles ?" Je veux dire, ce type n'était pas Cecil B. DeMille !"C'est pourtant la même raison qu'invoque l'heureuse élue : "Il avait décidé que dans son métier, une épouse était un avantage, car beaucoup de mecs dans le milieu n'aimaient pas les gays. Alors il a simplement décidé qu'il avait besoin de ça -- et que je ferais l'affaire aussi bien que n'importe qui."
La cérémonie se déroula à l'issue d'une journée de tournage, dans le décor même de Seeds (et d'une grande partie des premiers films de MILLIGAN) : sa maison victorienne de Staten Island, qu'il prétendait hantée. Une fête passablement bordélique fut organisée à la hâte. Hal BORSKE se souvient qu'"il y avait beaucoup de suçage de bites dans le grenier", et que MILLIGAN quitta finalement l'assistance pour célébrer l'événement dans un bar gay -- sans sa femme.


Just married
(de gauche à droite : Andy, la seconde femme de son père, la mariée, et Andy Senior)


Moins gore que The Ghastly ones, Seeds est encore plus féroce dans son évocation des joies de la famille. Un réveillon de Noël est cette fois le prétexte à la réunion d'une assemblée de crabes unis par les liens d'un sang mêlé de vitriol. Une mère paralytique, bien entendu acariâtre et manipulatrice, orchestre les chicanes depuis son fauteuil roulant, tandis qu'un mystérieux assassin décime une fois de plus l'assemblée avec un entrain méritoire.
Il est hélas difficile de se faire une idée du film tel que l'avait conçu MILLIGAN, nombre de scènes cruciales ayant été coupées sans son consentement (un passage où un prêtre masochiste se fait cracher dans la bouche par Candy HAMMOND ; le suicide de l'un des personnages), et remplacées par d'interminables séquences érotiques. Tel quel, Seeds (également connu sous le titre Seeds of sin) est pratiquement incompréhensible, et vaut surtout pour la galerie de portraits monstrueux qu'il nous offre.
Torture dungeon (1969) est la première bande réalisée par MILLIGAN pour le compte des nouvelles productions MISHKIN : Constitution Films. Souvent considérée comme son film le plus outré, cette grand-guignolesque chronique médiévale relate les manigances ourdies par le Duc de Norwich pour accéder au pouvoir. On peut y entendre l'une des plus mémorables répliques écrites par MILLIGAN (dialoguiste de tous ses films), lorsque, surpris par son épouse en flagrant délit d'adultère avec le bossu attardé qui lui sert de domestique, le Duc déclare fièrement : "Je ne suis pas homosexuel, je ne suis pas hétérosexuel, je ne suis pas asexué... Je suis TRISEXUEL... J'essaie n'importe quoi, pour le plaisir !"
Tourné sur les plages de Staten Island censées évoquer les côtes britanniques, Torture dungeon valut à MILLIGAN des menaces de mort émanant de la faune locale, dont il avait recruté quelques spécimens pour tenir des rôles secondaires. Lorsqu'ils découvrirent le film lors de sa sortie en salles, leur effarement fut tel qu'ils voulurent en lyncher l'auteur ! Pour échapper à leur vindicte, le malheureux dut fuir son domicile pendant plus d'un mois.
Hal BORSKE relate que les costumes, confectionnés par "Raffiné" (le pseudo de MILLIGAN couturier), avaient une fâcheuse tendance à se décrocher des épaules des comédiens au moment inopportun ; c'est ainsi que Susan CASSIDY et lui se retrouvèrent à poil devant la caméra, lors d'une scène qui fut conservée au montage. (La preuve par l'image :)


"Dis rien, mais... on aurait pas perdu quèqu'chose, là ?..."
(de gauche à droite : Susan CASSIDY, Gerry JACUZZO, Hal BORSKE)


En 1968, MILLIGAN gagne l'Angleterre à la demande du producteur Leslie ELLIOT (co-producteur, entre autres, du Cul-de-sac de Roman POLANSKI), qui lui propose un contrat de cinq ans pour quinze films. Sur place, il se constitue une nouvelle troupe de comédiens et entame le tournage de Nightbirds, un huis-clos à deux personnages qui reprend la trame de L'Obsédé de William WYLER (1964), en inversant sa donnée de base (cette fois, c'est la femme qui séquestre l'homme.)
Suit The Body beneath (1969), sur l'enlèvement d'une jeune fille par une famille de vampires qui souhaite lui faire engendrer une vaste progéniture. Dans cette oeuvre étonnamment soignée -- la plus professionnelle de MILLIGAN, techniquement --, se rencontrent l'inévitable bossu, un trio de harpies-zombies, et l'habituel cellule familiale dégénérée, ici dirigé par un pasteur suceur de sang. MILLIGAN s'applique à respecter une esthétique "Hammer" empreinte de classicisme gothique, mais ne renonce pas pour autant à ses excès gores et sadomasochistes ; ainsi notre cher bossu, attaché à un arbre, se fait-il copieusement torturer lors d'une séquence haute en couleur (pourpre). MILLIGAN était particulièrement fier d'avoir tourné cette scène à l'endroit même où un jeune garçon avait été saigné à mort quelques mois plus tôt, ligoté de la même façon.




A l'issue du tournage, un conflit éclata entre Andy et le père de son producteur, qui l'accusait, entre autres, d'antisémitisme. Leslie ELLIOT découvrit à cette occasion que son paternel possédait secrètement la mainmise sur sa société, ce qui le contraignit à virer MILLIGAN, de mauvaise grâce -- il semble avoir éprouvé une réelle admiration pour le cinéaste.
Coincé en Angleterre, sans travail et en panne d'argent, MILLIGAN fait de nouveau appel à William MISHKIN, qui lui commande trois films à tourner en terre britannique.
Le premier, Bloodthirsty butchers (1969) est une évocation brutale et gorissime des fameux crimes commis par Sweeney TODD et sa complice, Mrs LOVETT. Le rôle du barbier sanglant est brillamment tenu par John MIRANDA, acteur américain avec qui MILLIGAN avait jadis tourné dans une publicité pour... les rasoirs Gillette ! (On ne sort décidément pas des problèmes de barbe...) Relativement fidèle au roman-feuilleton original, Bloodthirsty butchers surenchérit dans la violence et l'hémoglobine, et présente, comme à l'accoutumée, une galerie de personnages plus crapuleux les uns que les autres. Il contient cette mémorable diatribe anti-femmes, énoncée par le meurtrier : "Les femmes ne peuvent endurer le bonheur plus de trois jours d'affilée. Elles finissent par devenir dingues. Il faut savoir intervenir avant que ça les prenne. Alors -- vous leur pardonnez tout, vous les baisez, et vous êtes tranquilles pour trois jours !"



The Rats are coming ! The Werewolves are here !
(1969 - mais sorti en 1972) explore à nouveau les arcanes d'une famille monstrueuse, cette fois constituée de loups-garous. Le succès de Willard (1971 - Daniel MANN) incita MISHKIN à adjoindre, après coup, quelques rats au scénario et au titre du film (originalement baptisé Curse of the full moon). La bande reste fameuse pour une séquence infâme où un pauvre gaspard, réel et bien vivant, se fait enfoncer une aiguille dans la tête d'un coup de marteau ! L'actrice Hope STANSBURY refusa de tourner la scène, et fut abasourdie de voir MILLIGAN confier le travail à un tout jeune garçon, à qui il fit endosser la robe de la comédienne.
The Man with two heads est une libre adaptation de L'Etrange cas du Dr. Jekyll, dans laquelle le médecin élabore son sérum à partir des cellules cérébrales d'un émule de Jack l'Eventreur. MILLIGAN semble avoir intégré beaucoup d'aspects de sa propre personnalité dans le rôle de Hyde, et apporta un soin tout particulier à la réalisation des scènes où ce dernier tourmente une prostituée dans un bordel.
De retour en Amérique, il s'associe avec l'un barons de la 42ème rue, Phil TODARO, pour créer sa propre maison de production : Nova International Pictures. Pour l'occasion, il acquiert sa première caméra 35 mm -- qui le contraindra, par sa lourdeur et sa maniabilité réduite, à renoncer aux cadrages azimuthés et tournoyants qui sont sa marque de fabrique.
Avec ce nouvel équipement, il réalise Guru, the mad monk, qu'il considèrera par la suite comme son plus mauvais film. Les difficultés qu'il rencontra lors du montage sont pour beaucoup dans ce jugement ; n'ayant tourné jusqu'alors qu'en son direct, il éprouva une peine infinie à assimiler les techniques de synchronisation sonore. De plus, les problèmes financiers que lui posa Nova International dès sa naissance, contribuèrent au sentiment d'échec exprimé par le cinéaste à l'égard de cette bande.
En vérité, Guru, the mad monk apparaît comme l'une de ses oeuvres les plus sadiques et démentes, une charge anticléricale ultra-queer, dans laquelle un prêtre corrompu torture et massacre ses ouailles dans l'enceinte de son église, avec le soutien d'une communauté de disciples frappadingues. Il s'associe à une femme vampire afin d'accroître ses pouvoirs, mais sera victime de la trahison d'un jeune garçon pour qui il s'est imprudemment pris d'affection.
Décapitations, membres arrachés, énucléations, flagellations, tout l'éventail des sévices est exploré par MILLIGAN dans cette œuvre blasphématoire, à la fois hilarante à force de maladresses et d'outrances, inquiétante lorsque l'on s'interroge sur les motivations profondes de son auteur, et hypnotique de par sa froide accumulation d'atrocités.



Father Guru (Neil FLANAGAN) et son fidèle larbin bossu (Jack SPENSER).
(Guru, the mad monk
- 1970)

Le film marquera le commencement du déclin professionnel et personnel de MILLIGAN. A une époque où le cinéma d'exploitation se trouve en perte de vitesse -- car concurrencé par les grosses productions hollywoodiennes désormais acquises à l'horreur et au sexe --, MILLIGAN aura une peine infinie à imposer son univers à l'écran.
Nous évoquerons la dernière partie de sa vie et de sa carrière dans notre prochain post -- comptez une bonne dizaine de jours, pour cause de villégiature amoureuse.

mercredi 15 octobre 2008

INTERLUDE

L'un de mes films-préférés-de-tous-les-temps est le Pinocchio de Luigi COMENCINI (1972). De même, la musique que Fiorenzo CARPI composa pour l'occasion est l'une de mes bandes originales favorites. Fallait-il qu'un aimable (et génial, à sa façon) plaisantin déformât la partition à ce point , et enfonçât le clou à coups de boutoir, pour souligner le caractère queer de l'œuvre initiale ?... Je vous laisse en juger, en cliquant sur l'image qui suit... Après avoir écouté le résultat, reste plus qu'à se tirer une balle -- ou courir au Redlight...


J'avoue néanmoins que, personnellement, ça m'éclate grave !...
Allez, on redevient sérieux, et on retrouve ce taré de MILLIGAN sur le prochain post...


dimanche 12 octobre 2008

ANDY MILLIGAN (1929-1991) 1ère partie

Les parties 2 et 3 de ce dossier sont ici :
part 2 - part 3


"Only think the worst, and you'll survive."
Andy MILLIGAN




"Si vous êtes fan de MILLIGAN, il n'y a aucun espoir pour vous", écrivait Michael WELDON dans sa "Psychotronic Encyclopedia of Film". Cette boutade s'avère d'une grande perspicacité si l'on se penche sur la vie et l'oeuvre du plus unanimement vilipendé des cinéastes américains de séries Z d'horreur. Le désespoir est l'élément fondamental et fondateur du cinéma d'Andy MILLIGAN, et sans doute, pour en être fan, faut-il posséder une vision du monde aussi nihiliste, sarcastique et acrimonieuse que celle de l'auteur de Seeds of sin et The Ghastly ones.
"Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir", nous répète inlassablement MILLIGAN au fil d'une filmographie qui dresse l'inventaire le plus complet possible des abjections, turpitudes et bassesses propres à l'esprit humain. Il le fit fréquemment sous l'angle du fantastique, ainsi que par le biais d'un regard et d'une expression éminemment
queer, ce qui rend son évocation incontournable sur ce blog.
Ouvertement gay mais foncièrement homophobe, farouchement misogyne, profondément réactionnaire, épris de fantastique, raciste, obsédé sexuel et néanmoins puritain, MILLIGAN cumule les tares aux yeux des cercles cinéphiles mal préparés à ce genre d'individu aussi intègre que turbulent. Chantre désargenté d'une "ironie du désespoir" qui, par son intransigeance et ses outrances, confine parfois à une éthique de l'avilissement, MILLIGAN constitue un cas limite dans l'histoire du cinéma horrifique d'exploitation. A la fois auteur et faiseur, génie et tâcheron, il échappe à toute classification. Honni des fantasticophiles qui le jugent bien trop perturbant, ignoré des homosexuels qui n'ont pas pour habitude d'explorer les zones fangeuses d'un "cinéma bis" décidément trop paraculturel, MILLIGAN, ange maudit des cinémathèques infernales, attend toujours sa réhabilitation. Gageons qu'elle ne saurait tarder (elle s'amorce en Amérique depuis la parution de l'exceptionnelle biographie que lui a dédiée Jimmy McDONOUGH, "The Ghastly one - The Sex-gore netherworld of filmaker Andy Milligan"), et qu'elle consacrera MILLIGAN comme l'une des icônes gays les plus emblématiques pour les défenseurs d'un cinéma aux couleurs d'arc-en-ciel sous l'orage.



Andy MILLIGAN dans les années 50

Andy MILLIGAN naît le 12 février 1929 à St. Paul, dans le Minnesota. Son père, militaire de carrière, ne présente aucun des traits de caractère propres à sa profession : c'est un être timide et faible, totalement dépourvu d'autorité, dominé par une épouse au tempérament radicalement opposé. Les termes les plus couramment employés par MILLIGAN pour dépeindre sa mère ne varieront jamais : une cinglée, une salope, un monstre.
Obèse, névrotique, hystériquement jalouse, sujette à des crises de fureur pouvant déboucher sur des projets de meurtre, Marie Gladys inspire d'abord à son fils une terreur panique, puis un invincible écœurement, qu'il étendra rapidement à toute la gent féminine. Sadique, elle lui inflige fréquemment des mauvais traitements ; ainsi, pour le punir d'avoir accidentellement mis le feu à une porte en jouant avec des allumettes, elle n'hésite pas à lui brûler la main sur un fourneau électrique.
"Elle était si grosse qu'elle n'arrivait plus à toucher ses orteils, se souviendra MILLIGAN. Je devais les lui décrasser. Elle avait toujours les pieds sales."
Il prétendra souvent que le problème majeur de la société américaine réside dans la structure du couple hétérosexuel : hommes faibles, femmes dominatrices. Lors de l'éloge funèbre prononcé à l'enterrement de sa mère, MILLIGAN interrompra le prêtre pour lancer à travers l'église un retentissant : "C'était une putain !'"
"Cinglées", "Salopes", Monstres", seront ses vocables de prédilection pour désigner toutes les femmes, sa vie durant.

MA BARKER ?... Non, maman MILLIGAN.

Pour fuir ce climat familial délétère, Andy s'engage dans la Marine. A l'issue de son service, il obtient un emploi de marionnettiste au sein d'une troupe miteuse, dirigée par deux lesbiennes qui passent leur temps à se crêper le chignon et à engueuler leurs employés. Il tente ensuite sa chance en tant qu'acteur dans les studios de télévision et apparaîtra, durant quelques années, dans une multitude de shows tournés en direct pour CBS, jusqu'à ce qu'une médisance formulée à son encontre auprès d'un producteur -- et qu'il attribuera au jeune James DEAN -- lui ferme la porte des studios.
Il se tourne alors vers une autre de ses passions, la confection, et ouvre une boutique de vêtements baptisée le Ad Lib, au coeur de Greenwich Village. Le seul ennui est qu'il est bien trop attaché à ses créations pour les céder sans rechigner à des acheteurs -- encore moins des acheteuses... Il refoule régulièrement des clientes hors de son échoppe, spécialement les grosses dames, pour lesquelles il éprouve une aversion particulière, du fait qu'elles lui rappellent sa mère. L'une de ses vendeuses se souviendra des crises de rage qu'il piquait dans l'arrière-boutique après chaque vente, trépignant et fulminant contre ces "putains" qui le dépouillaient de ses robes.
A quelques mètres du Ad Lib se trouve un café-théâtre dont le propriétaire fréquente parfois le magasin d'Andy. Les deux hommes sympathisent, et MILLIGAN participe de temps à autres à l'élaboration de spectacles, souvent en qualité de costumier. De plus en plus impliqué, il passera à la mise en scène, et deviendra l'un des protagonistes-phares de la turbulente aventure du "Caffe Cino".

L'Antre de la folie : le "Caffe Cino"

Point de convergence des marginaux de tout poil, le "Caffe Cino" (du nom de son propriétaire, Joe CINO) s'imposait alors comme l'un des hauts lieux du théâtre expérimental off-off-Broadway. Aspirants comédiens, écrivains underground, metteurs en scène en devenir -- pour la plupart homosexuels -- trouvent dans ce théâtre de poche un espace idéal où débrider leur créativité, pour le meilleur et pour le pire. Andy MILLIGAN devient l'une des plus importantes figures de la première époque du "Caffe", grâce à ses mises en scène d'une violence et d'une crudité rares.
Au sein de cette faune bigarrée, ouverte à tous les excès, il impose son tempérament despotique et développe les thématiques propres à son œuvre cinématographique future : un profond dégoût de l'humanité, une incurable misogynie, une haine démesurée de la famille, et principalement de la mère, source de tous les maux.
Fervent adepte du S.M., il porte ses fantasmes sur le plateau avec un réalisme inquiétant, qui fait rapidement scandale. La représentation de tortures morales ou physiques ne saurait, selon lui, s'accommoder de simulation ; il exige de ses comédiens qu'ils se molestent réellement, et profite de la complicité de certains d'entre eux pour infliger de véritables sévices à leurs partenaires. Un témoin de l'époque rapporte qu'un jeune acteur fut à ce point battu et martyrisé sur scène que "ses cris devaient s'entendre en Enfer".

L'Art de la scène selon Andy MILLIGAN
(photo du film The Man with two heads - 1972)


MILLIGAN choisit les pièces qu'il dirige en fonction de leur potentiel de violence et de leur aptitude à satisfaire son goût pour le S.M. Citons Les Deux bourreaux de Fernando ARRABAL, La Statue mutilée (adaptation d'une nouvelle de Tennessee WILLIAMS sur un ex-boxeur qui se prostitue après être devenu manchot, et finit son parcours sur la chaise électrique), Avant le petit-déjeuner de Eugene O'NEILL (sur une femme névrotique qui pousse son mari au suicide). Ses spectacles les plus mémorables seront deux pièces de Jean GENET : Les Bonnes et Haute surveillance, qui attirent suffisamment de curieux pour compenser la fuite des éléments les plus sensibles du public.
Encouragé par ces succès, MILLIGAN ouvre en 1963 son propre petit théâtre, le Showboat. Il n'y montera que deux productions : La Profession de Mme Warren, pièce à scandale de George Bernard SHAW sur la prostitution dans les familles bourgeoises, et une adaptation du Portrait de Dorian Gray d'Oscar WILDE, avec l'ancienne vedette hollywoodienne Jay ROBINSON (le Caligula très "folle" de La Tunique de Henry KOSTER - 1953). Le nombre des critiques négatives est inversement proportionnel à celui des fauteuils loués. L'expérience tourne court, et MILLIGAN ferme son établissement après l'avoir rageusement saccagé à coups de hache !
A cette époque, le "Caffe Cino" devient l'un des points de chute des membres de la Factory -- plus connus comme la "bande à WARHOL". Sous leur influence, la consommation d'alcool et de drogues prend des proportions dantesques, les suicides et les overdoses se multiplient au sein de la communuauté des cinoïtes (on dénombre trente morts en moins de trois ans). MILLIGAN, adversaire acharné des stupéfiants et antialcoolique virulent (on ne saurait avoir tous les vices...), prend d'autant plus volontiers ses distances avec la fine équipe, qu'il s'est découvert un nouveau centre d'intérêt : le cinéma.
La plupart des comédiens de sa "troupe cinématographique" pour les années à venir seront des transfuges du "Caffe Cino" (Hal BORSKE, Neil FLANAGAN, Maggie ROGERS, Gerry JACUZZO).
Supplanté par le succès d'une salle concurrente -- le mythique "La Mama" -- le "Caffe" ferme ses portes peu après le décès de l'amant de Joe CINO (électrocuté dans des circonstances mystérieuses, ressemblant fort à un suicide). Reconverti en sex shop durant quelques années (ce qui réjouissait fort ses anciens occupants), il abrite aujourd'hui un restaurant.

Hal BORSKE, comédien-fétiche de MILLIGAN

Le premier film de MILLIGAN, Vapors (1965), est un moyen métrage relatant les rencontres de différents mâles, gays ou hétéros, dans le sauna de St. Mark, à New-York. Filmé en trois ou quatre jours en 16 mm noir et blanc, et proche des travaux de l'autre Andy (WARHOL), Vapors eut l'insigne honneur d'être amputé d'un gros plan de bite par la censure, ce qui n'entrava pas sa programmation dans plusieurs cinémas gays new-yorkais, dont le célèbre "Adonis", où il connut une carrière plus que satisfaisante.
Très positivement critiqué par ceux qui le découvrirent à l'époque, ou qui ont eu la chance de le visionner depuis, Vapors aurait pu ouvrir à MILLIGAN une carrière de cinéaste underground dans la lignée de Paul MORRISSEY ou de Kenneth ANGER, n'eut été son rachat par Chellee WILSON, l'impératrice des cinémas érotiques de la 8ème avenue.
Passant des salles d'art et essai au circuit grindhouse, Vapors valut à son auteur un passeport direct pour la 42ème rue et l'enfer de la sexploitation.

Tricks of the trade (1968), "sexploitation film" milliganien

Spécialisées dans le cinéma d'exploitation le plus extrême, les productions d'avant-garde ou les films étrangers obscurs, les innombrables salles de la 42ème rue étaient également réputées pour les activités illicites auxquelles se livraient leurs visiteurs, à la faveur d'une obscurité complice. Au coeur des sixties, producteurs et distributeurs se livraient une guerre sans merci pour que leurs films accèdent aux écrans de cette véritable Mecque du cinéma-bis. L'affrontement n'était pas moins âpre entre les exploitants, une sorte de Maffia s'étant instaurée chez les propriétaires de salles.
Sept des onze films érotiques réalisés par MILLIGAN le furent pour le compte de William MISHKIN, l'un des ruffians les plus habiles à placer ses productions sur la 42ème rue et à engranger de solides bénéfices, à moindre frais. Huit de ces films semblent définitivement perdus. Pour certains d'entre eux, les négatifs furent détruits dans les années 70 par le fils et associé de MISHKIN, lequel estimait qu'ils ne présentaient plus aucun potentiel commercial. Leur budget atteignait péniblement la barre des 10 000 dollars -- un minimum pour les films d'exploitation de l'époque. La caméra Auricon 16 mm employée par MILLIGAN était totalement inappropriée à la réalisation de longs-métrages, et contraignait le cinéaste à de longues prises ininterrompues, pour des questions de synchronicité sonore. Monteur de ses films, MILLIGAN était réputé opérer sans la moindre méthode, dans la frénésie et la confusion les plus totales, et sans être trop regardant quant aux dommages occasionnés à la pellicule.
Le premier de ses sexploitations, The Promiscuous sex (1967), fut autoproduit par MILLIGAN et distribué par MISHKIN, inaugurant une association conflictuelle que beaucoup décrivirent comme relevant de codes sadomasochistes (MILLIGAN tenant, pour une fois, le rôle du dominé).
Selon le cinéaste, The Promiscuous sex était l'histoire d'"une fille qui ne peut survivre en n'étant que modèle -- elle n'est pas si jolie que ça -- et commence à se prostituer à mi-temps. Sujet d'exploitation, mais c'était une étude humaine. Après ce film, les autres étaient de l'exploitation, mais pas celui-là. C'était un beau film. Très artistique et qui se la pète, très français -- cigarettes rougeoyant dans la pénombre."
Il enchaîne sur The Naked witch (1967), où apparaît pour la première fois l'un de ses personnages-fétiches : le bossu mongoloïde et masochiste. C'est également son premier film fantastique -- qui plus est "d'époque", comme il les affectionne. Cette œuvre racontant les déboires de la fille d'une sorcière brûlée sur le bûcher, héritant du mépris de la population villageoise et en proie à la jalousie d'une sœur cachée, est parfois considérée par les chanceux qui la virent comme la plus achevée de MILLIGAN sur le plan pictural (qui ne fut jamais son point fort.)
Femmes diaboliques, handicapés physiques et mentaux, perversions familiales : tous les éléments de l'univers milliganien sont au rendez-vous de cette bande, également estimée perdue.

Figure récurrente du cinéma de MILLIGAN : le bossu qui en chie.
(
The Naked witch, Beth PORTER -- la belle -- et Lee FORBES -- la bête)

Suivront des films aux titres aussi explicites que Depraved, The Degenerates (tous deux de 1967), Kiss me, kiss me, kiss me ! (1968), ou The Filthy five (1968 - l'un de ses plus grands succès commerciaux et son meilleur film, paraît-il -- il fut également l'un des favoris d'Andy WARHOL.) Le plus souvent, les scénarios exposent les vicissitudes d'hommes et de femmes s'immergeant dans le monde du sexe, et ne trouvant de rédemption que dans la mort. Des œuvres souvent décrites comme profondément réactionnaires, moins érotiques que leur matériel publicitaire, et, surtout, terriblement critiques et désespérées dans leur représentation de l'amour hétérosexuel.
En 1967, MILLIGAN fait une double infidélité à la sexploitation et à MISHKIN, en tournant son premier film d'horreur pur, pour le compte des trois producteurs de l'obscure firme ASA.
The Ghastly ones, probablement son titre le plus connu des amateurs du genre, marquera une étape décisive dans sa filmographie, en inaugurant une série de bandes aussi fauchées que personnelles et délirantes, à mi-chemin du Z et de l'expérimental, qui feront de lui la Reine sans couronne du bis qui tâche.
C'est cette partie de sa carrière qui sera évoquée dans le prochain post.