dimanche 31 août 2008

ON EST PAS DES PEDES !

Beaucoup de fantasticophiles répugnent à admettre les implications homosexuelles de certaines de leurs oeuvres favorites. Aveuglement ou naïveté ? Manque d'intérêt pour la question, ou peur de la considérer ? Faiblesse analytique ou homophobie latente ? Ayant récemment promis d'évoquer le sujet dans ce post, je m'y colle -- sans prétendre répondre aux interrogations qu'il suscite, mais en me bornant à proposer quelques éléments de constat, et en précisant que ce dernier vise essentiellement la critique et le public français -- les choses ayant beaucoup progressé dans les pays anglo-saxons depuis quelques années, suite à l'émergence des "théories queers".

AVERTISSEMENT : Cette chronique sera évolutive ; de ce fait, elle vous semblera sans doute un peu succincte "au jour d'aujourd'hui". Elle fera l'objet d'additifs réguliers tant que vivra ce blog. J'y noterai, en vrac, les différentes réflexions que m'inspirera le sujet, ainsi que des citations en rapport, glanées dans des articles, interviews, ou conversations personnelles. Chaque mise à jour sera signalée dans les nouveaux posts, avec un lien permettant d'accéder à cette page, où les compléments de texte apparaîtront en caractères rouges. Je vous invite chaudement à me communiquer vos propres observations, pensées ou commentaires, afin d'enrichir cette chronique -- plus on sera de folles...



  • J'ai connu des admirateurs de LOVECRAFT qui furent moins choqués par les révélations concernant sa sympathie pour les théories nazies, que par la suspicion de pédérastie formulée à son endroit par certains biographes.
  • Un ami bisexuel, professeur de lettres et fantasticophile éclairé, à qui je démontrai que le Frankenstein de Mary SHELLEY et la plupart de ses adaptations à l'écran étaient gays jusqu'aux fibres, se déclara ébloui par cette interprétation -- qui relève pourtant, et depuis belle lurette, du lieu commun.
  • Affirmer à un amateur de fantasy -- "héroïque" ou "magique" -- que cet univers de barbares bodybuildés, d'elfes efféminés et de guerrières couillues, est un véritable vivier d'images homoérotiques, est le plus sûr moyen de lui faire dégainer son cimeterre.
  • Il est bien entendu exclu d'insinuer que le père de Conan pût être une tapette.
  • Il se trouve encore des fans du Rocky Horror Picture Show qui ne voient dans ce film qu'un tribut déférent aux bonnes vieilles séries B d'épouvante, et non un flamboyant plaidoyer transsgenre, battant le rappel des codes queers et de l'iconographie gay. Certains participants aux séances de minuit, arborant la tenue de Frank N. Further, tomberaient de haut si on leur apprenait qu'ils rendent davantage hommage à RuPaul qu'au baron Frankenstein.

"Tranvestite ?... Me ?..."
  • N'est-il pas étonnant que, de toute la production "Hammer", les titres les plus appréciés des cinéphiles appartiennent à la "première période" (réactionnaire et manichéenne) de la firme, alors que les oeuvres des années 70, thématiquement plus ambitieuses, mais aux orientations plus queers, sont dénigrées et considérées comme symptomatiques du déclin de la boîte ?

A quand la reconnaissance ? (Doctor Jekyll and sister Hyde de Roy WARD BAKER - 1971)

  • De même, les films les plus gays de Terence FISHER sont les moins commentés (The Two faces of Dr. Jekyll, The Man who could cheat death, Frankenstein créa la femme, Frankenstein et le monstre de l'Enfer).
  • Noté, dans Les Vampires du cinéma de David PIRIE (1977), à propos des Maîtresses de Dracula de Terence FISHER : "Ce film est remarquable pour ses implications hautement sinistres ainsi que pour la réintroduction de Peter CUSHING dans le rôle de Van Helsing." Ce que sont ces implications hautement sinistres ne nous sera pas divulgué -- ce qui rend cet avis remarquable pour son caractère hautement allusif.
  • Si Ed WOOD, malgré son goût du travestissement, a fini par conquérir sa niche au Panthéon du cinéma fantastique, c'est probablement parce qu'il n'était pas gay -- précision scrupuleusement soulignée dans chaque article que lui a consacré la presse spécialisée. Un Andy MILLIGAN, en revanche, dont la filmographie est infiniment plus stimulante, et qui possédait une conscience artistique dont WOOD était totalement dépourvu, demeure négligé et sujet à moqueries. C'est que le père Andy, homo tapageur adepte du S.M., reste de mauvaise compagnie, même auprès des mordus du nanar.

vendredi 29 août 2008

FRIGHT NIGHT (Vampire, vous avez dit vampire ? - 1985)

L'un des films d'épouvante les plus ouvertement gay des années 80, FRIGHT NIGHT continue d'être ignoré comme tel par l'ensemble de la critique et des fantasticophiles. L'analyse queer très complète et étayée offerte par Harry M. BENSHOFF dans son indispensable ouvrage Monsters in the closet - Homosexuality and the horror film, n'a pas changé grand-chose à cet état de fait. L'aveuglement des aficionados du cinéma fantastique, relativement au contenu homosexuel de certains de leurs films-cultes, n'a jamais cessé de m'étonner, et le cas de FRIGHT NIGHT en constitue un exemple assez hallucinant. Je me propose, dans cet article, de recenser divers éléments scénaristiques et esthétiques qui font du film de Tom HOLLAND l'une des oeuvres gay les plus caractérisées du "genre". Suite à cela, j'aimerais soulever, dans mon prochain post, une question qui, en tant que fantasticophile homosexuel, me turlupine depuis nombre d'années : pourquoi les fans d'horreur, dans leur grande majorité, manifestent-ils un tel rejet de tout discours queer appliqué à leurs oeuvres fétiches ? Pourquoi cet entêtement à ignorer -- ou nier avec véhémence -- ce qui, dans le cas de FRIGHT NIGHT ou de classiques encore plus respectés du genre (La Fiancée de Frankenstein, Les Maîtresses de Dracula, Théâtre de sang...) relève de l'évidence ? D'ores et déjà, je convie chaudement mes lecteurs, si l'envie leur en prend, à m'apporter leur point de vue sur cette question troublante...

Affiche italienne de FRIGHT NIGHT

RESUME :


Fanatique de films d'horreur, le jeune Charlie Brewster (William RAGSDALE) soupçonne ses nouveaux voisins -- le séduisant antiquaire Jerry Dandridge (Chris SARANDON) et son assistant Billy Cole (Jonathan STARK) -- d'être des vampires. Après avoir assidûment surveillé leurs agissements, il parvient à les démasquer et décide de les anéantir. Pour l'épauler dans cette mission, il fait appel à un présentateur de films d'épouvante de la télé locale : Peter Vincent (Roddy McDOWALL), qui s'avère aussi froussard que peu compétent en matière de surnaturel. Informé des intentions de Charlie, Jerry Dandridge riposte en séduisant la fiancée du jeune garçon, et en transformant l'un de ses amis, "Evil" Ed (Stephen GEOFFREYS), en "créature de l'ombre". Charlie et Peter Vincent investissent la demeure de Dandridge et se préparent à l'affrontement.

L'AVIS DE BBJANE :

Plutôt qu'une critique proprement dite (on ne les compte plus sur le net, et je ne vois pas l'intérêt d'ajouter mon caillou à l'édifice), je soumets à votre appréciation la liste des éléments queers du film.
J'ai presque honte de les répertorier, tant ils tombent sous le sens -- mais il est parfois nécessaire d'enfoncer le clou (à défaut du pieu...)


** Jerry Dandridge et son assisant Billy Cole sont présentés comme un couple gay (les fans du film ignorent généralement ce fait, lorsqu'ils ne le nient pas purement et simplement.) La mère de Charlie Brewster, affriolée par le voisinage du playboy Dandridge, en conçoit d'ailleurs une certaine amertume, dont elle fait part à son fils.



Ceci N'EST PAS un couple gay.

** Charlie Brewster éprouve une fascination immédiate et obsessionnelle pour Dandridge. Dès le début du film, son intérêt pour ce nouveau voisin le détourne des étreintes de sa fiancée, Amy Peterson, qui le lui reproche vertement et l'accuse de chercher un fallacieux prétexte pour ne pas coucher avec elle.

** La première attaque de Dandridge contre Charlie fait écho aux innombrables scènes de séduction vampirique que l'on trouve dans les grands classiques du genre : intrusion du monstre dans la chambre de sa victime, frayeur de cette dernière, mélange de rébellion et de fascination. A ceci près que, dans les oeuvres classiques (disons, celles de la Hammer, auxquelles FRIGHT NIGHT se réfère le plus explicitement), le vampire s'introduit chez des proies féminines. Le potentiel érotique et la charge de sensualité sont préservés par Tom HOLLAND, mais prennent ici une coloration nettement homophile. Bien que les adversaires soient tous deux masculins, le jeu de la séduction est respecté.



Charlie et Jerry. "Tu veux un baiser ?"

** Autre objet de fascination pour Charlie Brewster (décidément porté sur les figures masculines) : Peter Vincent, comédien raté mais idole du jeune garçon, qui lui prête une autorité et des compétences (en matière de vampirisme) dont il est totalement dépourvu. Substitut du père absent (celui de Charlie n'apparaît pas dans le film, et n'est guère évoqué), Peter Vincent est aussi objet d'adulation (Charlie passe ses soirées à l'admirer à la télévision), et l'"éducateur" rêvé par Charlie -- le protecteur chargé de le guider dans le monde terrifiant des différences (monstrueuses / sexuelles) qu'il veut affronter.


** "Evil" Ed, le souffre-douleur du lycée, mais ami de Charlie, est le prototype de l'adolescent homosexuel tel qu'Hollywood, réactionnaire et puritain, s'applique généralement à en atténuer la représentation. Jeune garçon "bizarre", instable, excentrique, potentiellement révolté et de mauvaise compagnie, "Evil" Ed apparaît comme le descendant d'une longue lignée de "rebelles sans cause", sexuellement ambigus, dont le modèle peut-être vu dans le Sal MINEO de La Fureur de vivre. S'il n'est jamais nommément fait allusion à son homosexualité, sa différence est en revanche copieusement illustrée.


** La scène de la mort d'"Evil" Ed (transpercé, sous la forme d'un loup, par le pieu de Peter Vincent, le jeune garçon recouvre son apparence humaine dans d'horribles douleurs et d'interminables contorsions) a traumatisé toute une génération de fantasticophiles, comme en attestent d'innombrables témoignages de fans, qui y voient généralement le sommet émotionnel du film. Elle est aussi placée sous le signe d'une compassion rare dans le cinéma d'épouvante, manifestée pour le monstre par son exterminateur. Peter Vincent, atterré par les souffrances de l'adolescent, observe son agonie avec les larmes aux yeux, et demeure prostré devant son corps nu. Pour les spectateurs gays, cette séquence prend une dimension symbolique, et apparaît comme emblématique des souffrances morales et / ou physiques auxquelles les expose leur différence.



"Evil" Ed et Peter Vincent. Le monstre mourant et son exécuteur. L'homme est un loup pour l'homo.

** La vampirisation de "Evil" Ed par Jerry Dandridge dans une impasse obscure, a toutes les apparences d'une scène de séduction homosexuelle. "Tu n'as pas à avoir peur de moi, déclare Dandridge à sa victime. Je sais ce qu'être différent signifie. Désormais, plus personne ne se moquera de toi ou ne te fera de mal. J'y veillerai. Tu n'as juste qu'à me tendre la main. Allons, Edward, tends-moi la main." Et Dandridge d'envelopper lentement le jeune garçon dans les pans de son trench-coat...


** Comme le souligne de façon amusante Harry M. BENSHOFF dans son ouvrage Monster in the closet, la plupart des scènes d'agressions vampiriques nous montrent le vampire attaquant sa victime par derrière, (je cite :) comme s'il allait la sodomiser plutôt que la mordre.


** De nombreux plans jouent sur une symbolique d'actes homoérotiques. Le plus fameux d'entre eux (évoqué par le comédien Jonathan STARK lors d'une table ronde réunissant plusieurs artisans du film) nous montre Billy Cole agenouillé devant Jerry Dandridge afin de soigner sa main blessée, le cadrage suggérant une fellation. STARK, qui assure n'avoir d'abord pas compris l'insistance du réalisateur à le faire s'agenouiller devant son partenaire, eut les yeux dessillés en découvrant le film sur l'écran.



Ceci N'EST PAS une pipe.

** Pour conclure, impossible de ne pas noter la présence essentielle dans le casting d'au moins trois personnalités ouvertement homosexuelles (et pour deux d'entre elles, plutôt militantes) : les comédiens Roddy McDOWALL, Stephen GEOFFREYS (qui mena une carrière parallèle d'acteur dans le porno gay), et Amanda BEARSE (qui déclara, lors d'une Gay Pride à l'Université de Californie du Sud, que l'intention de Tom HOLLAND, en réalisant FRIGHT NIGHT, était de dépeindre un vampire queer, et que chaque allusion homosexuelle était intentionnelle -- voir Monsters in the closet, page 250.) Du reste, un simple survol de la filmographie de HOLLAND, en tant que scénariste ou réalisateur, dénote un intérêt prononcé pour les thématiques queers, avec des oeuvres aussi fortement connotées que Psychose II, Class 1984, Child's play ou le très "horrific-homo" The Beast within. Notons également que le comédien Chris SARANDON débuta sa carrière cinématographique en incarnant l'aspirant-transexuel amant d'Al PACINO dans Un Après-midi de chien de Sidney LUMET -- ce qui lui valut une étiquette gau friendly dont il ne put jamais se débarrasser (si tant est qu'il le souhaita...)


Du "Cauchemar de Dracula" (Terence FISHER - 1958)...

au supplice d'"Evil" Ed (1985)... 27 années d'identiques souffrances pour le monstre queer, lesbien ou gay.

Lorsque FRIGHT NIGHT sortit en salles, la presse évita soigneusement toute allusion aux connotations homosexuelles du scénario et de la mise en scène -- difficile de croire qu'elle ne les perçut pas, à moins d'une faiblesse analytique fort dommageable à la profession de critique.
Ce silence est encore plus "criant" relativement aux commentaires émanant de la presse dite "spécialisée" (dans le cinéma de genre), qui se targue pourtant assez facilement d'une liberté de vue et de ton bannie des revues mainstream.
En France, les deux magazines les plus populaires en ce domaine, "L'Ecran fantastique" et "Mad Movies", louèrent les qualités du film (sur l'air du : "Bien joué, bien filmé, de chouettes effets spéciaux, et on a peur et on rigole...") sans esquisser la moindre réflexion sur son contenu -- mais il est vrai que la réflexion n'était guère, à l'époque (et à peine davantage aujourd'hui), un point fort de la presse dite "spécialisée"...
D'autres films contemporains de FRIGHT NIGHT, et faisant appel, eux aussi, à une thématique clairement gay (La Revanche de Freddy, Génération perdue) subirent le même (manque de) traitement.
En mars 2008, plusieurs membres de l'équipe du film furent réunis pour une interview commune, dans le cadre de la Fear fest ayant lieu à Dallas. Le caractère queer du film n'y fut évoqué qu'une seule fois, brièvement, et pour faire l'objet d'une dénégation de la part du comédien William RAGSDALE -- lequel estime, en substance, que certains critiques racontent trop facilement n'importe quoi, et que FRIGHT NIGHT n'est rien d'autre qu'un "film de vampires tout simple". Propos mitigés par Jonathan STARK, qui rappelle avec humour l'anecdote de "l'agenouillement", évoquée plus haut.
Tom HOLLAND, pour sa part, demeura silencieux.

LIENS :

Une partie de l'équipe du film fut réunie pour une interview, en mars 2008, à l'occasion de la deuxième édition de la Fear fest, à Dallas, Texas. La transcription intégrale de la rencontre, et quelques extraits vidéos, sont consultables ici -- par la grâce de l'indispensable site Icons of fright.

Conflit de générations : rencontre entre deux gays issus d'époques différentes. Difficile de ne pas discerner, dans la confrontation Peter Vincent / "Evil" Ed, l'incommunicabilité entre deux représentants d'une manière différente de vivre son homosexualité : l'un peinant à sortir du placard (McDOWALL), l'autre fraîchement et fièrement affirmé (GEOFFREYS). Deux scènes aussi sombres que lumineuses, visibles sur YouTube.

Une excellente approche queer du film (et quelques liens utiles), à découvrir sur Outcyclopedia, l'encyclopédie gay et lesbienne du web.


vendredi 22 août 2008

HOLLYWOOD MORTUARY (1999)

Pour inaugurer ce blog, je vous propose de découvrir un DV-film méconnu et inédit en Zone 2, HOLLYWOOD MORTUARY, qui se penche avec une affection iconoclaste sur l'Age d'Or de l'épouvante hollywoodienne. On ne compte plus les études, essais et articles qui se sont attachés à démontrer le potentiel queer des grands classiques de la Universal ou de la R.K.O. Le choix de cette époque et de ce milieu comme cadre de l'intrigue, et l'approche furieusement camp choisie par les auteurs de HOLLYWOOD MORTUARY, justifient amplement sa place sur ce blog. Si cela ne suffisait pas, signalons que le film intègre à son casting deux personnalités gay bien connues des amateurs de séries Z américaines : le comédien et scénariste Randal MALONE, et le cinéaste David DeCOTEAU. Il bénéficie également de la participation de deux anciennes gloires de l'écran : Anita PAGE (partenaire de Lon CHANEY dans le West of Zanzibar de Tod BROWNING -- 1926), et Margaret O'BRIEN (enfant-star des "forties" -- Le Chant du Missouri de Vincente MINNELLI). Précisons néanmoins qu'en dépit de la gaytitude de l'oeuvre, son metteur en scène, Ron FORD, est réputé être solidement hétéro...


FICHE TECHNIQUE :

d'abord moyen-métrage (Creaturealm - 1996), puis long-métrage (Hollywood Mortuary - 1999).
Réal : Ron FORD - Scénario : Ron FORD, sur une idée de Randal MALONE.
Avec : Randal MALONE, Tim SULLIVAN, Ron FORD, Joseph HAGERTY, Denice STRADLING, Anita PAGE, Conrad BROOKS, David DeCOTEAU, Margaret O'BRIEN.

RESUME :

Hollywood, 1941. Le maquilleur Pierce Jackson Dawn (Randal MALONE), créateur de quelques-uns des plus grands monstres de l'écran, se retrouve au chômage, du fait que les studios préfèrent désormais produire des comédies romantiques et des drames réalistes plutôt que des films d'épouvante. Le seul emploi qui lui est offert est celui de thanatopracteur (maquilleur de cadavres) dans une morgue. Il décline rageusement cette proposition dégradante, qui lui inspire cependant une idée de génie : puisque les producteurs prétendent baser leurs films sur la réalité, pourquoi ne relancerait-il pas le cinéma d'horreur en créant de toutes pièces une actualité qui stimulerait l'intérêt déclinant du public ?... Il décide alors de ressusciter les deux plus grandes stars du genre, récemment décédées : Janos Blasko (Ron FORD), victime d'une overdose, et Pratt Borokov (Tim SULLIVAN), assassiné par Pierce lui-même dans un accès de rage. Recourant au vaudou, il parvient à redonner vie aux cadavres des deux acteurs, et les lance dans une série de meurtres sauvages qui mettent la presse en émoi... et réveillent l'intérêt des producteurs, avides de rentabiliser l'événement.

L'AVIS DE BBJANE :

Allons-y franco : HOLLYWOOD MORTUARY est une façon de chef-d'oeuvre parodique et macabre, une petite bande terriblement excitante et inventive, qui possède tous les attributs attachés au concept si galvaudé de film-culte. Deux ans après que Tim BURTON nous ait offert son Ed Wood, Ron FORD, avec un budget infiniment moins cossu, mais un scénario nettement plus acerbe et ravageur, brosse le portrait vitriolesque d'un artiste frustré, tiraillé par des élans démiurgiques, et porte un regard mi-nostalgique mi-corrosif sur de vieilles stars déchues, incapables de perpétuer leur image iconique dans un Hollywood en pleine mutation.
Filmé sur support vidéo, dans quelques pièces hâtivement décorées et une poignée d'extérieurs pauvrets, HOLLYWOOD MORTUARY pallie à ses défaillances budgétaires par un entrain incomparable, une verve insolente qui renvoie aux premiers films de John WATERS. Les répliques percutantes fusent, multipliant les clins d'oeil cinéphiliques ; les acteurs cabotinent avec une jubilation communicative ; les trouvailles scénaristiques s'accumulent -- ainsi l'idée de faire raconter les derniers jours de Pierce Jackson par d'authentiques personnalités du cinéma : les comédien(ne)s Conrad BROOKS, Margaret O'BRIEN, et Anita PAGE ; le cinéaste David DeCOTEAU ; le critique Tim MURPHY. Le film se présente en effet comme une suite de fausses interviews de vrais artistes au sujet d'un personnage fictionnel (procédé également utilisé par Peter JACKSON dans Forgotten Silver.)
Les personnages de Blasko et Borokov (hommages transparents à LUGOSI et KARLOFF) sont traités par Ron FORD avec une irrévérence dévastatrice. Interviewé par un journaliste péquenot et lèche-bottes, Blasko jure comme un charretier avec l'accent hongrois, injurie copieusement son rival à l'écran, puis file se faire une piquouse dans la pièce voisine pour se calmer les nerfs. Borokov est une baderne imbue d'elle-même, qui ne rêve que de cultiver son jardin et crache sur le cinéma d'horreur, dont les films "anti-sociaux" lui répugnent.
Ron FORD, n'ayant radicalement rien à voir avec LUGOSI sur le plan physique, campe le personnage avec une désinvolture totale, lui donnant l'image d'un drogué bouffi, vulgaire et passablement abruti.

Le cinéaste Ron FORD

Tim SULLIVAN, qui au contraire possède la carrure de son modèle, restitue tous les maniérismes de KARLOFF, passant de la suavité à la rudesse, des sourires cauteleux aux grognements gutturaux.
Les deux interprétations, bien qu'antithétiques, s'avèrent aussi réussies l'une que l'autre.
Randal MALONE compose quant à lui un Pierce Jackson mémorable, extravagant, bigger than life. Une prestation qui s'inscrit dans la droite ligne des grandes performances camp et cultes du cinéma fantastique, celles d'un Tim CURRY dans The Rocky Horror Picture Show, d'un Paul WILLIAMS dans Phantom of the Paradise, d'un Vincent PRICE dans Theatre of blood, ou de DIVINE dans les films de John WATERS. Tour à tour grotesque et sublime, exaspérant et touchant, menaçant et pathétique, il exprime un tempérament de comédien empreint, certes, de follitude et d'excès, mais n'en ménageant pas moins une justesse et un équilibre rares dans ce registre.

Randal MALONE dans HOLLYWOOD MORTUARY

Sous ses dehors de bouffonnerie canularesque, HOLLYWOOD MORTUARY développe un point de vue pertinent et non dénué de profondeur sur la notion de spectacle (cinématographique ou autre), telle qu'elle est aujourd'hui perçue -- et dévoyée -- par un public de plus en plus avide de sensationnalisme et de pseudo-véracité. Le fait que Pierce Jackson n'a d'autre alternative, pour relancer le cinéma d'horreur, que de créer un nouvel engouement dans la presse et le public par le biais de meurtres authentiques, commis par les vieilles gloires du genre, est assez révélateur des attentes des spectateurs modernes, qui dédaignent l'art fantastique, mais se montrent friands d'atrocités réelles (ou supposées telles), et grands consommateurs de reality-shows aussi putassiers que bidouillés. Ainsi, le déclin de l'art du spectacle semble bien naître de celui du spectateur, qui n'accepte plus l'artifice sans la caution préalable d'un soi-disant réalisme. Ultime clin d'oeil sarcastique : c'est en passant par le biais du (faux) documentaire, que Ron FORD nous introduit dans son délire filmique, justifiant ainsi l'invraisemblable par le mensonge. Chapeau, Monsieur FORD !...

Amis lecteurs, il ne vous reste plus qu'à vous précipiter sur le DVD de ce film, qui, n'en doutons pas, est appelé à devenir un classique underground, et est actuellement disponible, pour une poignée de dollars, sur amazon.com.
Notons qu'il en existe deux versions : l'une, intitulée CREATUREALM, est un moyen-métrage des plus plaisants, que Ron FORD développa sur une durée de 90 minutes, pour aboutir au bijou dont il est ici question.
Signalons également que Tim SULLIVAN, l'interprète de Pratt Borokof, ne doit pas être confondu avec le cinéaste gay, auteur de 2001 maniacs. Il n'en est que l'homonyme -- bien que lui-même cinéaste, et romancier de S.F. et de fantastique.

LIENS :

Découvrez Randal MALONE sur son site inachevé -- en chantier depuis des années...

Cette vidéo de YouTube nous offre deux extraits du film : une séquence au cours de laquelle Janos Blasko et Pratt Borokov sèment le boxon dans une soirée privée (admirez le "meurtre à l'assiette plate", spécialité du comédien Tim SULLIVAN -- Hello Tim !... You're really a naughty boy, you know ?...) + le générique de la version courte, CREATUREALM. (L'intégration de cette vidéo dans un blog étant rendue impossible suite à la demande d'un usager de YouTube, je ne peux donc la transférer directement ici. Du reste, je m'en serais abstenu, en raison du caractère hautement inesthétique de ces affreux écrans figés, qui font rien qu'enlaidir les blogs...)

Pour conclure, et toujours sur YouTube, une interview de Ron FORD dans l'émission télévisée Northwest profiles.


jeudi 21 août 2008

Pourquoi ce blog ?


Quand j'étais gamin, je voulais être Vincent Price. Habiter une demeure ancestrale et maudite, perdue dans des marais puants. Promener ma mélancolie dans de vastes salons encombrés d'objets d'art et tendus d'arnitoiles. Posséder une voix onctueuse, un profil aristocratique, et des manières affectées. Porter une fine moustache et des robes de chambre à ramages. Siroter du cherry, le petit doigt levé. Converser avec le portrait de ma défunte épouse (je n'envisageais d'épouse que défunte.) Occire mes prochains avec un raffinement non dénué d'extravagance. Exhumer des cadavres sous la pleine lune, et les ressusciter dans l'obscurité de ma crypte, à coup de psalmodies tirées du Necronomicon. Périr en Cinémascope dans l'incendie de ma vénérable demeure ancestrale et maudite.
Gamin, j'aurais aimé être Lovecraft. Dormir le jour, écrire la nuit, entouré des soins vigilants d'adorables vieilles tantes (au sens familial du terme), dans la scrupuleuse ignorance de toute activité salariale. Publier mes nouvelles au compte-goutte dans des revues choisies. Ne pas coucher avec ma femme -- de qui, du reste, je vivrai soigneusement séparé depuis le jour de nos noces. Entretenir une correspondance pléthorique avec une multitude de jeunes disciples transis et masculins.
Gamin, j'étais fondu de Fantastique. Littéraire, cinématographique. Mon entourage adulte jugeait cette prédilection inquiétante ; mes camarades de classe s'en foutaient, ou n'y pigeaient rien -- d'ailleurs, je n'avais pas de camarades de classe.
Gamin, je me savais homo. Mais je n'y pensais guère. Je ne rêvais que d'Epouvante.
Il me fallut plusieurs années pour suspecter qu'un lien étroit unissait ma passion pour l'étrange, le gothique, l'horreur, et mes inclinations sexuelles.

Homos et fantasticophiles ont bien des points communs : une défiance instinctive envers les normes et la Normalité ; un attachement farouche au monde de l'enfance ; une vision défiante et tranchée de la femme, oscillant entre la marâtre-harpie-castratrice, la princesse éthérée et inaccessible, et la chair à sévices ; le repli, volontaire ou contraint, mais toujours empreint de fierté, dans une communauté aux codes et rituels strictement définis, et jalousement observés.

Adolescent, je découvris avec étonnement que la plupart de mes idoles littéraires ou cinématographiques les plus représentatives du "genre", étaient gays ou bisexuelles. Je détectais aussi dans mes oeuvres fétiches l'expression, parfois dissimulée, parfois revendiquée, d'une thématique spécifiquement gay.

Défouloir de nos fantasmes, le Fantastique est depuis longtemps reconnu comme le lieu privilégié d'une sublimation de notre libido, par le biais de représentations métaphoriques et symboliques. Royaume de l'ombre et de l'inquiétude, il est aussi celui de l'ambiguïté, de la dualité, de l'altérité ; un espace où se révèlent les doutes et les angoisses fréquemment liés à l'intuition de la précarité des schémas sexuels établis.

Il est, au plus intime de ses composants, l'un des champs d'expression les plus spécifiquement gays qui soient.

Je me propose d'explorer dans ce blog, sans aucune prétention historique ou didactique, mais dans un généreux foutoir, les points de convergence entre cinéma fantastique et homosexualité.

Courtes vignettes, chroniques de films, évocations de personnalités emblématiques du genre, seront au menu. Les chefs-d'oeuvre avérés côtoieront les navets notoires, les grands classiques voisineront avec les bandes obscures, oubliées ou méconnues.

Ne vous laissez pas abuser par le ton un peu solennel de ce premier post : ce blog se veut aussi gai que gay.

Amis lecteurs, amies lectrices, vos commentaires, critiques, suggestions -- et participations éventuelles -- seront les bienvenus.

Merci de votre visite, et -- je l'espère ! -- à la revoyure !