dimanche 28 septembre 2008

R.I.P.

Paul NEWMAN est mort avant-hier.
En conséquence, je tiens à rendre hommage à Anita PAGE, star du muet, décédée le 6 septembre 2008, dans la plus totale indifférence médiatique.
Mes plus sincères condoléances à Randal MALONE, et mes plus chaleureux remerciements à Ron FORD, qui eut le bon goût de diriger cette légendaire figure du cinéma dans trois de ses derniers films : Hollywood Mortuary (1999), The Crawling brain (2000), et Witchcraft XI : Sisters in blood (2002).

Anita PAGE dans Hollywood Mortuary (Ron FORD - 1999)


NO WAY TO TREAT A LADY (Le Refroidisseur de dames - 1967)


Okay... ce n'est pas
vraiment un film fantastique... mais il est queer à cent pour cent !... Et puis, il est le précurseur (inspirateur ?) du génial Théâtre de sang de Douglas HICKOX, une oeuvre depuis longtemps assimilée -- fort abusivement, elle aussi -- au genre qui nous intéresse. Dans les deux cas, l'intrigue se concentre sur une série de crimes commis par un homme de théâtre, qui recourt à toute une panoplie de déguisements, prend un malin plaisir à narguer la police, et achève son odyssée meurtrière sous les feux de la rampe. Mais quand les implications queers du film d'HICKOX demeurent voilées, celles du REFROIDISSEUR DE DAMES sont on ne peut plus explicites. Démonstration :


FICHE TECHNIQUE :

Réal : Jack SMIGHT - Scén : John GAY, d'après un roman de William GOLDMAN - Photo : Jack PRIESTLEY - Mus : Stanley MYERS.
Avec : Rod STEIGER, George SEGAL, Lee REMICK, Eileen HECKART, Murray HAMILTON, Michael DUNN, David DOYLE.

RESUME :

Le directeur de théâtre Christopher Gill (Rod STEIGER) utilise différents déguisements pour s'introduire chez des femmes d'âge mûr, qu'il étrangle sauvagement. Il entame un jeu de chat et de souris avec l'inspecteur chargé de l'enquête (George SEGAL), et le harcèle d'appels téléphoniques railleurs. Sa mégalomanie et l'ambiguïté des rapports qu'il entretient avec son adversaire, le conduiront à plusieurs faux pas, dont le dernier -- l'agression de la fiancée de l'inspecteur (Lee REMICK) -- lui sera fatal.

L'AVIS DE BBJANE :

Comme une tripotée de serial killers cinématographiques, Christopher Gill pourrait arguer, pour sa défense, que "tout est la faute à maman". C'est bel et bien sa défunte mère (ou plutôt le souvenir traumatisant laissé par cette dernière) qu'il cherche à supprimer en une geste meurtrière trop tardive pour être réparatrice.
Célèbre tragédienne, Amanda Gill présente tous les attributs de la diva-virago capricieuse, castratrice, et probablement incestueuse (soupçon éveillé par les propos de Gill avant son premier crime, lorsqu'il se remémore les séances de chatouilles auxquelles il se livrait avec sa mère, et précise qu'elle avait un délicieux grain de beauté sur l'aine.) Le théâtre qu'elle régenta jadis, et dont son fils a hérité, est un véritable mausolée dédié à sa mémoire, une sorte de matrice funèbre dans laquelle Christopher se trouve sous la surveillance constante des effigies maternelles.

Maman très chère (portrait d'Amanda Gill)

Non moins encombrante et abusive apparaît la génitrice (Eileen HECKART) de l'inspecteur Morris Brummel, caricature de la mère juive, tantôt autoritaire, tantôt geignarde, constamment harassante, intarissable moulin à remontrances et à perfidies.
Les deux protagonistes centraux (et adversaires) du film possèdent donc une commune expérience de la tyrannie maternelle, à laquelle l'un et l'autre peinent à se soustraire.
Si Gill s'y emploie à travers le crime, Brummel n'a d'autre échappatoire que son travail -- encore y est-il en butte aux sarcasmes de ses collègues, peu charitables envers ce "fils à maman", tandis que celle-ci lui reproche volontiers sa profession (un flic juif ! quelle trahison !)
Il semble avoir renoncé à toute liaison féminine (au grand dam de sa mère, qui estime qu'un homme de son âge "ne devrait plus avoir de boutons", et qui se montre avide de petits-enfants -- bien que peu tentée par la perspective d'avoir une belle-fille...), jusqu'à ce qu'il rencontre Kate Palmer, une voisine de la première victime de Gill.
Pour autant, il n'est pas immédiatement conquis par cette demoiselle peu farouche et au caractère bien trempé. Selon la coutume hollywoodienne de l'époque, la volonté d'émancipation féminine est plus ou moins assimilée à une forme de nymphomanie (poses provocatrices de Kate, et répliques à double sens -- désignant l'arme de Brummel, elle lui demande espièglement s'il "porte ce machin-là tout le temps", et s'il est un tireur d'élite), heureusement curable. En effet, la jeune femme ne tardera pas à corriger son comportement et à se racheter une conduite en acquérant un livre de cuisine juive, et en se mettant aux fourneaux pour plaire à l'élu de son coeur.
Sensible à ces attentions, l'inspecteur succombe, non sans maladresses et atermoiements, aux avances de Kate. Le couple légitime ainsi formé n'a plus qu'à éprouver sa solidité par le biais des épreuves amoureusement concoctées par un troisième larron (notre bon vieux "monstre queer") : Christopher Gill, fermement décidé à conserver l'exclusivité des attentions du beau Brummel.

Diversion hétéro

Car, dans le cas du meurtrier, le coup de foudre éprouvé pour son poursuivant ne fait aucun doute.
C'est après avoir vu la photo de Brummel dans un journal que Gill décide de provoquer la police par une série d'appels téléphoniques moqueurs. Sans tarder, il demande à Brummel la permission de l'appeler Morris, puis "Momo". Désireux de briller à ses yeux, il ne peut tolérer que la paternité de ses crimes lui soient déniée, et se fâche tout rouge lorsqu'un innocent fait l'objet d'une arrestation.
Quand Brummel est destitué de l'enquête, Gill menace de multiplier ses exactions si son adversaire favori n'est pas immédiatement rétabli dans ses fonctions. "REINTEGREZ MORRIS !", écrit-il au rouge à lèvres sur un miroir, dans la chambre de l'une de ses victimes.
La réaction de Brummel à ces avances est pour le moins embarrassée et contradictoire. Ce célibataire prolongé, couvé par sa mère et emprunté avec les femmes, est soudain confronté à son indécision sexuelle. La conscience de sa possible homosexualité lui inspire autant de répugnance que de désarroi. Lorsque le psychologue de la police lui demande quel effet lui fait l'inscription laissée par l'assassin : "Ça me dégoûte", répond-il. Puis enchaîne : "Quel effet ça vous ferait à vous ?" "Ça me dégoûterait aussi", assure le psy. Et Brummel de conclure, amèrement : "Bien sûr... C'est le mot juste..."
Néanmoins, quand sa mère veut savoir pourquoi il répond aux coups de fil du tueur : "Parce qu'il me plaît !" lâche Brummel avec irritation.

Cri du coeur

Ses échanges téléphoniques avec le meurtrier ne laissent aucun doute quant à sa parfaite connaissance des sentiments qu'il inspire à ce dernier, et de l'homosexualité de Gill. Si le mot n'est jamais prononcé, Brummel évoque la question en termes assez peu mesurés : "Une pourriture... un cancer... un dépôt d'immondices..."
Lors de leur face à face, il demandera à Gill : "Votre mère savait-elle réellement ce que vous êtes ?" L'emploi du péjoratif "ce que" au lieu de "qui", renvoie Gill à sa condition de criminel d'une nature spécialement méprisable -- pire que tueur de dames : pédé.

Coiffeur pour dames et refroidisseur de rombières,
six ans avant Vincent PRICE dans Théâtre de sang.

Gay, Christopher Gill l'est sans équivoque. Au-delà des codes propres au cinéma de l'époque pour dépeindre un homosexuel (célibat, goût pour les oeuvres d'art et pour la théâtralité, intellectualisme, gestuelle affectée), Gill accumule les facteurs aggravants : il est affublé d'une mère dominatrice, est expert en travestissement, et n'hésite pas à prendre ouvertement la défense de ses congénères. Lorsque, déguisé en coiffeur gay, une vieille rombière l'accuse d'être homo, il lui rétorque du tac au tac : "Ça ne fait pas de moi un filou !" ("It doesn't mean that you're a bad person" dans la VO). Cette petite phrase, que Rod STEIGER énonce avec une évidente délectation, fut imposée par le comédien, qui, sentant la nécessité d'une réplique percutante à la saillie homophobe du personnage féminin, interrompit le tournage le temps d'en trouver une valable. Elle lui fut inspirée par un ami gay qu'il avait coutume de retrouver dans un bar fréquenté par des comédiens (anecdote relatée dans Rod Steiger -- éd : Fromm International, New-York --, affectueuse monographie consacrée à l'acteur par son ami Tom HUTCHINSON.)
Frustré d'être constamment éconduit par l'inspecteur, Gill aura recours à ses deux déguisements les plus provocateurs pour accomplir ses derniers meurtres : l'uniforme d'un flic nommé... Morris Brummel, et la perruque défraîchie d'une femme d'âge mûr, soi-disant rescapée d'une agression de l'étrangleur. Ce faisant, il endosse les personnalités des deux objets de son obsession : son Momo, et sa maman.
Enfin, c'est Kate Palmer qu'il attaquera, dans une ultime tentative de susciter la rencontre tant attendue avec Brummel, tout en éliminant sa rivale.
"Pourquoi moi ?" interrogera la jeune femme au moment critique.
La réponse de Gill sera aussi laconique que révélatrice : "Demandez-le à votre amant..."

Drag STEIGER

Un peu oublié de nos jours (il demeure inédit en DVD zone 2, n'est jamais sorti en VHS, et ne fut que rarement diffusé à la télévision), LE REFROIDISSEUR DE DAMES mérite amplement d'être redécouvert, ne serait-ce que pour son caractère précurseur (le mélange d'humour décalé et de noirceur profonde n'était pas courant dans les thrillers de l'époque), son parfum prégnant de follitude, et la performance époustouflante de Rod STEIGER -- qui cita fréquemment le film parmi ses préférés.
Notons que le scénario de John GAY (!!!) est adapté d'un roman jadis publié dans la "Série Noire", Soyons Régence de Harry LONGBAUGH. Sous ce pseudonyme (qui est le véritable nom de Sundance Kid, bandit légendaire du Vieil Ouest) se cache William GOLDMAN, romancier et scénariste fameux, auteur des scripts de Butch Cassidy et le Kid (une obsession, décidément...), Marathon man, et de trois adaptations de Stephen KING : Misery, Coeurs perdus en Atlantide, et Dreamcatcher.
Le réalisateur Jack SMIGHT, lui aussi injustement négligé par les cinéphiles, signa la version la plus gay du roman de Mary SHELLEY : Frankenstein, the true story (sur un scénario de Christopher ISHERWOOD), ainsi qu'une adaptation inégale mais passionnante de L'Homme tatoué de Ray BRADBURY. Après LE REFROIDISSEUR DE DAMES, son second chef-d'oeuvre est encore plus confidentiel : The Traveling executioner évoquait les déboires d'un "bourreau itinérant amoureux de sa chaise électrique" (dixit Coursodon et Tavernier). SMIGHT dirigea également trois des plus célèbres icônes gays hollywoodiennes : Gloria SWANSON (dans Airport 1975), Olivia DeHAVILLAND (dans le premier téléfilm de l'actrice, The Screaming woman), et Bette DAVIS (dans Partners in crime, téléfilm itou).

"Jusqu'à ce que la mort nous unisse" ?
(Rod STEIGER et George SEGAL)

LIEN :

Une critique (english language) sur l'excellent site DVDVerdict.


samedi 13 septembre 2008

JEEPERS CREEPERS (Jeepers Creepers, le Chant du Diable - 2001)

JEEPERS CREEPERS présente la particularité d'être le premier film fantastique "à succès" dont le caractère homosexuel fut unanimement reconnu, dès sa sortie en salles, par les fans du genre. La raison de cette clairvoyance inaccoutumée peut être trouvée dans le "scandale SALVA", présent dans toutes les mémoires, bien que vieux d'une bonne dizaine d'années quand le film parut sur les écrans. En 1989, le cinéaste purgea quinze mois de prison pour abus sexuels sur la personne de l'un des jeunes comédiens de son premier film : Clownhouse. Gageons que si le public n'avait eu connaissance de ce fait-divers copieusement répercuté par la presse, JEEPERS CREEPERS serait simplement considéré comme un excellent film de trouille, point barre. Un peu plus malsain que les autres, peut-être ? Quant à savoir pourquoi, on s'en branle, les mecs !... L'important, c'est qu'ça foute les j'tons !...


FICHE TECHNIQUE :Réal : Victor SALVA - Scén : Victor SALVA - Photo : Don E. FauntLeRoy (ben tiens ! le petit Lord...) - Musique : Bennett SALVAY - Montage : Ed MARX.
Avec : Gina PHILIPS, Justin LONG, Jonathan BRECK, Patricia BELCHER, Eileen BRENNAN, Brandon SMITH, Peggy SHEFFIELD.

RESUME :Trish (Gina PHILIPS) et Darry Denner (Justin LONG), en route vers le domicile parental, sont pris en chasse par une camionnette vétuste, dont le conducteur leur apparaît quelques kilomètres plus loin, à proximité d'une église abandonnée. L'étrange personnage (Jonathan BRECK), tout de noir vêtu, jette d'encombrants paquets de forme humaine dans une sorte de goulot de tôle. Résolu à percer ce mystère, Darry entraîne sa soeur vers l'église, dans le sous-sol de laquelle il découvre un amoncellement de cadavres. Son incursion dans l'antre du meurtrier n'a pas échappé à ce dernier, qui se lance à nouveau à ses trousses...

L'AVIS DE BBJANE :Comme dans la majorité des films fantastiques à caractère queer, l'homosexualité est ici assimilée à l'élément monstrueux. Si JEEPERS CREEPERS est aussi efficace sur le plan de l'angoisse qu'il génère (il fut d'emblée salué par le public et la critique comme l'une des oeuvres les plus flippantes du début de la décennie), c'est que son auteur met ouvertement en scène ses propres démons, qui se trouvent relever de l'un des tabous les plus redoutés de notre époque : la tentation pédophile -- ou plus exactement, la pédérastie, dans le cas qui nous occupe.
N'envisageant évidemment pas d'en faire l'apologie, SALVA ne peut néanmoins renoncer à en tenter la justification -- non sans mauvaise conscience, d'où une certaine ambiguïté dans le propos du film, et le déséquilibre qui l'affecte.
La réussite exemplaire des quarante premières minutes tient, d'une part, au fait que SALVA s'abstient de tout effet de terreur surnaturelle, et d'autre part à ce qu'il épouse exclusivement le point de vue des proies du Creeper -- particulièrement de Darry, le seul qui soit véritablement concerné par les visées du monstre. Or, il se trouve que l'adolescent, malgré la terreur que lui inspire son poursuivant, éprouve à son égard une irrésistible attraction, qui le conduit, tout au long du film, à aller à sa rencontre.
Si l'on prend JEEPERS CREEPERS pour ce qu'il est (une allégorie pédérastique), on ne peut qu'être frappé par l'attitude qu'adopte la victime envers son agresseur, et qui témoigne d'autant d'attirance que de répulsion.
Il y a fort à parier qu'un tel propos, énoncé dans un contexte réaliste, et non sous le couvert du "fantastique", aurait de quoi susciter une rude polémique, propre à fermer à son auteur les portes des producteurs (et le soutien des spectateurs) pour nombre d'années, comme le fit son incartade passée.



Pause pipi...

Dès la première scène, la suspicion d'homosexualité pèse sur Darry. Ses efforts pour affirmer sa virilité (vitesse inconsidérée au volant, propos machistes envers sa soeur) sont ruinés par une malencontreuse série d'"actes manqués" (dans le "6A4EVR" d'une plaque minéralogique, il lit "Gay forever", au lieu du plus judicieux "Sexy forever" indiqué par sa soeur ; plus tard, il constate que le linge lavé par sa mère a fâcheusement déteint : "J'ai douze paires de caleçons roses !", lance-t-il à Trish, qui lui réplique ironiquement que "c'est peut-être un signe".)
Après avoir tenté d'effrayer les occupants d'un camping-car en se ruant sur leur véhicule, il est à son tour harcelé de la même manière par la camionnette du Creeper -- qui n'hésite pas, pour sa part, à lui rentrer dans le train (oserais-je parler d'"enculeur enculé" ?... Oui, j'ai osé...) Une conjonction pulsionnelle est ainsi signalée entre le poursuivi et son poursuivant.



Suck my truck !!!

Première indication d'une menace pédérastique : la camionnette de l'agresseur accuse plusieurs kilomètres au compteur ("Une vieille caisse toute pourrie", commente Darry, avant de s'insurger, non sans une pointe d'admiration : "Il a gonflé son moteur, ou quoi ?...")
Ancêtre boosté au Viagra, franc du pare-choc et avide de collision : le truck vétuste du Creeper est une image transparente du "monstre pédéraste". (L'influence du Duel de SPIELBERG, évidente durant le premier tiers du film, et revendiquée par SALVA, me confirme qu'il ne serait pas malvenu d'apporter une lecture queer au chef-d'oeuvre du papa d'E.T.)
Quelques kilomètres plus loin, Darry et Trish découvrent la camionnette à l'arrêt près d'une église abandonnée, et son conducteur occupé à jeter de sinistres paquets dans une sorte de boyau de tôle. Darry ne sera pas long (LONG, vous avez dit Justin ?...) à vouloir retourner sur les lieux, contre l'avis de sa soeur. Il inaugure ainsi la série des "rétrogradations" que j'ai signalées plus haut, témoignant de son empressement à se jeter "dans la gueule du loup". Si la peur lui interdit de répondre spontanément aux avances du monstre, il ne peut néanmoins s'en détourner.
Trish lui reproche sa coupable envie "d'aller voir s'il n'y a pas un truc sordide".
"Dans les films d'horreur, y a toujours un con qui déconne. T'es ce con-là ?" ajoute-t-elle, comme pour anticiper la réaction des spectateurs. Ce réflexe récurrent chez les protagonistes de films fantastiques, qui consiste à se diriger résolument au devant du danger, suscite invariablement les sarcasmes des adversaires du genre. Pour sa défense, les fans ont coutume d'objecter que, sans ce comportement des victimes, il n'y aurait jamais d'affrontement -- et, partant, pas de film... Justification un peu courte, et argument fort pratique pour éluder la question sensible : l'attirance de la future victime pour son futur bourreau (et, dans le cas de films au sous-texte queer, l'irrésolution des héros dans leurs choix sexuels.)
Attiré par "les trucs sordides", Darry ira donc se pencher sur le curieux orifice dans lequel le Creeper balance ses cadavres. Ce conduit menant aux entrailles de l'Enfer, et qui exhale une forte puanteur, n'est autre que l'anus du Mal (qui a dit du Mâle ?... Désolé, on l'a déjà faite, celle-là...), objet de curiosité autant que d'appréhension pour notre hétéro vacillant, et source de révélations prodigieuses.
La scène de la chute de Darry dans Le Trou multiplie les allusions olfacto-scatologiques à tendance homoérotique -- depuis l'insistance de Trish à évoquer l'odeur de chaussettes et de baskets crades de son frère (on sait le fétichisme homo relatif aux "skets et panards" -- et cette référence abonde dans le film...), jusqu'à la dégringolade dans "toute cette merde", en passant par les multiples cadrages accusant l'aspect organique du conduit.


Le trou du cul du Mal.

Forcément, cet oeillet ne sent pas la rose...

Ce que découvrira Darry dans le sous-sol, sera -- selon ses propres termes -- "la Chapelle Sixtine d'un fou" (l'allusion à Michel-Ange, de qui l'on connaît les inclinations sexuelles, n'est certainement pas innocente, dans le contexte.) Les parois de l'antre et sa voûte sont tapissées d'un enchevêtrement de cadavres pourrissants, vision dantesque empruntée au Frayeurs de Lucio FULCI (l'exploration souterraine du cimetière de Dunwich), mais également évocatrice des charniers de la Seconde Guerre Mondiale. SALVA -- comme la plupart des auteurs spécialisés dans le fantastique -- semble suggérer que le retour du refoulé, et son déchaînement, ne peuvent qu'aboutir sur l'horreur du serial killer ou sur celle du nazisme -- encore ne faut-il pas oublier que le refoulé n'existerait pas, et, de fait, n'aurait aucune raison de se déchaîner, sans les contraintes entretenues par la Raison Sociale. Ce sont les garde-fous qui engendrent les fous, ce que le "fantastique", essentiellement réactionnaire et puritain, répugne à considérer.
Darry regagnera l'air libre et la surface terreste dans un état de stupeur identique à celui d'une victime d'un viol. Sa soeur, assez peu soucieuse de sa traumatisante expérience, ne cessera de lui marteler qu'il "sent la merde" -- inévitable conséquence de l'exploration des fondements...
Comme s'il prenait soudain conscience de s'être aventuré (et d'avoir entraîné son public) dans des régions décidément trop obscures et trop intimes, SALVA fait dès lors basculer son film dans le fantastique pur.
Plus question de laisser planer le doute sur l'origine surnaturelle du Creeper ; tout est mis en oeuvre pour que le spectateur renonce à s'interroger plus longuement sur les motivations profondes (trop humaines ?) du monstre. Textuellement, il devient un épouvantail de plus dans la galerie des famous monsters.
L'accumulation frénétique de détails abracadabrants et d'invraisemblances scénaristiques témoigne de la panique de SALVA, atterré par les implications profondes de son oeuvre, et par le ton de confession qu'il avait jusqu'alors adopté.
Décidé à se ressaisir, le cinéaste fait sombrer son film dans le n'importe quoi : intervention soudaine d'une voyante noire qui connaît tout sur tout et nous assène l'historique complet du monstre en deux coups de boule de cristal ; scène parfaitement superfétatoire de la "Vieille aux Chats", victime du Creeper ; introduction de gimmicks ineptes et jamais justifiés (pourquoi la chanson "Jeepers Creepers" annonce-t-elle inévitablement le surgissement du monstre ?... pourquoi se manifeste-t-il uniquement "tous les 23 printemps pendant 23 jours" ?...)


La Vieille aux Chats --
on déplorera que Victor SALVA n'ait rien trouvé de mieux à offrir que ce rôle ridicule à la sublime Eileen BRENNAN.


Jezelle, la voyante black, dans tous ses états
(DIVINE avec du cirage ?...
Non : Patricia BELCHER)

Pour excuser ces lacunes, SALVA fait remarquer par sa providentielle voyante black que ses révélations ne sont pas "comme un film... il y manque des bouts, parfois..."
De-ci de-là, cahin-caha, le sous-texte rejaillit pourtant à la faveur d'un plan ou d'une réplique. Ainsi, le Creeper est décrit comme "une créature avide, échappée de la face cachée du Temps" (ou du "placard" de l'Histoire ?...) ; on nous apprend également qu'il est "habillé en homme pour cacher qu'il n'en est pas un", et qu'il "mange des organes qui le renouvellent" (retour au croquemitaine pédéraste, trouvant dans la jeunesse de ses proies matière à tromper son vieillissement).
De même, au plus fort du danger, Darry continue de renâcler lorsqu'il s'agit d'échapper au monstre : "Ralentis ! Tu vas nous tuer !", lance-t-il à sa soeur, qui les exposerait pourtant à une mort plus sûre en roulant plus lentement...
Dans la plus totale confusion scénaristique (ou en raison de cette confusion), SALVA laisse néanmoins certains indices lui échapper. Ainsi, à l'issue de la première confrontation entre le Creeper et "la Vieille aux Chats" : "Qu'est-ce que TU m'as ramené ?", lance cette dernière à Darry, en lui balançant la crosse de son fusil dans les parties. Elle suggère par-là que l'adolescent (non sa soeur) est la proie d'élection du monstre. Ce que nous confirme le finale : ayant reniflé tour à tour Darry et Trish, le Creeper envoie dédaigneusement valdinguer le jeune fille, et prend la poudre d'escampette avec son frère.
Trish a beau prétendre désespérément, pour inciter la créature à la choisir, qu'elle a "la même chose que Darry en elle" ("chose" qui, là encore, n'est jamais explicitée, mais est très clairement un parfum d'homosexualité), rien n'y fera : le croquemitaine n'en pince résolument que pour les garçons...


Encore un bel exemple d'"acte manqué"...
Comment réparer les outrages homosexuels ? En nouant un slip rose à son pare-choc arrière, bien sûr !...


Le dernier plan du film nous montre le Creeper regardant la caméra à travers les orbites vides d'un Darry fraîchement dépecé. Ces yeux qui nous fixent, brillant de haine -- ou de convoitise -- sont ceux du jeune garçon, que le monstre vient de se greffer. Par cet acte, il consacre l'union avec sa victime -- et par ce regard, il nous rappelle qu'au fond, tous deux ont toujours partagé le même point de vue.
 
Par le petit bout de la lorgnette : "l'enculeur enculé".

Parce qu'il amena les fantasticophiles à s'interroger (enfin !) sur le sous-texte homosexuel de leur genre favori, JEEPERS CREEPERS peut être regardé, en dépit de ses faiblesses et de ses regrettables ruptures de ton, comme un film-charnière. En ce sens, on peut considérer qu'il y a désormais un avant et un après J.C.


J.C.

N.B. : Sauf erreur de ma part, aucun commentateur n'a signalé l'évidente parenté entre le Creeper et les "Maigres Bêtes de la Nuit" lovecraftiennes -- créatures ailées arrachant leurs proies à la Terre pour les emmener vers un ailleurs de cauchemar, qui hantèrent les nuits du "reclus de Providence", sa vie durant. Hommage conscient, ou similaire sublimation onirique / artistique d'obsessions pédérastiques ?... Je vous laisse en juger...

LIENS :

Aucun qui mérite d'être signalé.

mardi 9 septembre 2008

REMERCIEMENTS

Contraint à de nombreux déplacements depuis quelques jours, je n'ai pas le temps d'alimenter ce blog comme je le souhaiterais. C'est d'autant plus rageant que, depuis sa création, y a pas trois semaines, je reçois une foultitude de signes et messages d'encouragements qui me font rudement chaud au coeur, via les commentaires, ou directo sur ma boîte mail.
J'aimerais remercier tous les visiteurs, bloggeurs, correspondants, qui ont eu la gentillesse de me prodiguer leurs critiques, conseils, et même (thanks, mes chéries...) louanges...
On y va...

"Big Sister" a l'oeil sur VOUS...
  • Tout d'abord, à l'attention de Guil, qui aime à ne pas être perturbé par des musiques parasitaires lorsqu'il surfe sur la toile en écoutant, sur sa chaîne hifi personnelle et privée, le trio de Cosi fan tutte : vous pourrez constater que j'ai suivi votre suggestion... A moitié, ceci dit... Car après tout, rien n'est plus simple que d'interrompre la lecture, en cliquant sur le bouton du lecteur "étudié pour"... Je vous propose donc, cher Guil, une solution intermédiaire : j'ai l'intention de changer mensuellement la musique d'accueil de ce blog. Elle sera diffusée spontanément durant les 7 premiers jours -- puis en option durant les 23 jours à venir. Cela vous agrée ?...
  • A l'attention de Miss Wendell, cette photo, qui vous exprimera ce que nous ne serons JAMAIS l'une pour l'autre :
  • A l'attention de Bernard Alapetite, cette toile de Frédéric Bazille, que vous connaissez inévitablement -- et que j'ai découverte il y a quelques semaines par l'entremise de mon ami ; elle ne cesse, depuis, d'attiser mon regard... Quand bien même elle n'apportera rien à votre culture picturale, elle témoignera, du moins, d'un écho et d'un lien à nos sensibilités communes...
  • A l'attention de Pitou, pour le remercier de me permettre d'écrire ce post en ayant Gennaro en fond sonore -- et pour son si précieux soutien beau-fraternel et éditorial :
  • A l'attention de Betty Boop, et en remerciement (anticipé) de ses pertinentes critiques :
  • A l'attention de mes amies lesbiennes, adversaires acharnées du cinéma fantastique, mais soeurs de coeur (bisous Anne...) :


  • Enfin -- et pour finir ce très private-jokeste post :
à Daniel C. Hall,
et à Dalifan :
mes plus affectueux bisous, qui se passeront d'images... Non seulement seraient-elles superflues pour vous exprimer ma sympathie, mais en plus, j'ai épuisé mon stock de photos, et j'ai trop la flemme d'aller en pêcher sur le net...

A tous les autres qui m'ont contacté, et que je ne puis évoquer ici, faute de temps et de les connaître mieux, mes remerciements et mes amitiés, du fond du coeur.

Sur ce, je vais faire de mon mieux pour vous proposer un post plus étoffé et sérieux dans les meilleurs délais... Croix de bois...


jeudi 4 septembre 2008

APPRENTICE TO MURDER (L'Apprenti criminel - 1988)

This post is affectionately dedicated to Miss Wendell.

Ce film étant inconnu de tout un chacun, j'aurai beau jeu d'affirmer qu'il s'agit de l'une des meilleures allégories jamais filmées sur le thème du refoulement de l'homosexualité, et des ravages qu'il ne peut manquer de causer. En toute humilité (mais certainement pas en toute inconscience), le réalisateur R.L. THOMAS se paye le luxe de faire le tour quasi complet d'une question épineuse : en quoi toute forme de Foi (croyance religieuse, superstition populaire ou catéchisme social) est-elle la meilleure entrave que l'homme puisse opposer à son épanouissement ? Dès son premier visionnement, à la faveur d'une sortie vidéo au début des années 90, APPRENTICE TO MURDER a trouvé sa place dans le "top 10" de ma Cinémathèque Idéale, dont les étagères virtuelles sont moins encombrées de chefs-d'oeuvre avérés que de bandes modestes, intègres et soignées, attachantes jusque dans leurs imperfections. A la lisière du fantastique, le film de R.L. THOMAS explore avant tout les angoisses, les incertitudes et les lâchetés d'âmes bien humaines, confrontées à ce qu'une société répressive et bigote les incite à prendre pour leurs gouffres -- alors qu'il ne s'agit que d'aspirations légitimes à l'harmonie avec soi-même.


Jaquette du DVD allemand

FICHE TECHNIQUE :


Réal : R.L. THOMAS - Scén : Alan SCOTT et Wesley MOORE - Photo : Kelvin PIKE - Musique : Charles GROSS
Avec : Donald SUTHERLAND, Chad LOWE, Mia SARA, Knut HUSEBO, Rutanya ALDA, Eddie JONES, Minnie GENTRY

RESUME :

Amérique, 1927. John Reese (Donald SUTHERLAND), guérisseur itinérant et adepte de la magie blanche, séjourne dans un village de Pennsylvanie. Il soigne les malades, guérit les troupeaux touchés par des épidémies, et à l'occasion "purifie" des lieux réputés maudits. Il fait la connaissance du jeune Billy Kelly (Chad LOWE), adolescent analphabète et solitaire, à qui il enseigne la lecture dans l'intention d'en faire son assistant. La fiancée de Billy, Alice Spangler (Mia SARA), considère d'un assez mauvais oeil l'amitié toujours plus étroite et exclusive des deux hommes, d'autant que le comportement du "docteur" Reese ne laisse pas d'être inquiétant. Victime d'un mal inexplicable et sujet à de violentes convulsions, le guérisseur se croit victime d'un envoûtement pratiqué par un vieil ermite du voisinage, Lars Hoeglin (Knut HUSEBO). Après un séjour à Philadelphie, où il tente de se faire exorciser par une magicienne black (Minnie GENTRY), Reese revient au village pour affronter Hoeglin avec l'aide de Billy.

L'AVIS DE BBJANE :

Les producteurs d'APPRENTICE TO MURDER se sont donnés un mal de chien pour vendre leur produit en tant que film d'horreur parfaitement calibré aux attentes des fanatiques du genre. Affiches, bande-annonce, jaquettes des éditions VHS puis DVD, tout concourait à racoler (avec quelques années de retard) la clientèle de L'Exorciste, Rosemary's baby ou Evil dead (et pourquoi pas celle de la fantasy, le visage du "sorcier" sur l'affiche allemande n'étant pas sans évoquer Gandalf.)
Résultat de cette mascarade : le film n'a jamais trouvé son public, que l'on situerait plutôt parmi les amateurs d'un fantastique en demi-teinte, à la fois suranné, poétique et élégiaque. Toutes proportions gardées, APPRENTICE TO MURDER évoque plus volontiers le climat nostalgique et la peur subtile de L'Autre de Robert MULLIGAN ou le "fantastique-réel" de L'Enfant miroir de Philip RIDLEY, que la grosse artillerie du demon-flick.
Rien, hormis les apparences, n'est à proprement parler surnaturel dans ce film. Chaque scène relevant du fantastique peut-être interprétée comme une hallucination émanant du cerveau de plus en plus troublé et instable de John Reese -- on notera d'ailleurs que le guérisseur est toujours seul lorsque les forces occultes se déchaînent ; il est l'unique témoin de leurs manifestations.
Et d'où vient, me demanderez-vous, que le bon docteur Reese ait l'esprit si troublé ?
C'est -- vous répondrai-je -- qu'il est tout bonnement amoureux de son jeune disciple.
Ca recommence ! protesterez-vous. Décidément, vous voyez des pédés partout !
Ce à quoi je repartirai : Je n'en vois que là où ils se montrent, ou mettent trop d'insistance à se dissimuler.

Vous : Alors comme ça, SUTHERLAND kiffe Chad LOWE ?... Développez, qu'on rigole un peu...

BBJane : John Reese est épris de Billy Kelly, parfaitement. Au départ, il ne s'agit, semble-t-il, que de l'élan de sympathie éprouvé par un homme vieillissant, pèlerin solitaire marginalisé par ses dons, pour un jeune garçon au profil similaire. Billy est mal à l'aise au sein de la communauté et de sa propre famille (père alcoolique, mère soumise) ; il dissimule ses dons artistiques, éprouve peu d'attrait pour l'existence rurale et laborieuse qui lui est promise. Reese se lie à lui et le prend sous son aile, en vertu d'une sorte de reconnaissance : il distingue, chez le jeune garçon, un tempérament semblable au sien.
Sentiments paternels ?... Pas si sûr...
Leur première rencontre a lieu lors de l'irruption d'un chien enragé dans une rue du village. Reese parvient à calmer la bête par des signes de croix et quelques paroles apaisantes. "Dieu nous a créés, toi et moi", lui dit-il. Les premiers mots de Reese et sa première action appellent à l'union, et à la négation de la notion de différence entre les créatures vivantes -- message n'ayant aucun poids sur les villageois : l'un d'eux abattra froidement l'animal, pourtant apaisé.
Billy se rend ensuite chez le rebouteux pour lui demander un remède pouvant guérir son père de l'alcoolisme, et pour faire soigner une blessure que ce dernier lui a infligée.

"Avec cette baguette et le sang précieux du Christ, je chasse la douleur et fais le Bien"
(Chad LOWE et Donald SUTHERLAND)

En dédommagement, il offre à Reese un portrait de lui-même, dessiné de mémoire suite à leur première rencontre. Ce portrait, plein d'affection et d'une stupéfiante ressemblance, signale non seulement la fascination éprouvée par l'adolescent pour le guérisseur, mais annonce également l'ambivalence de leur relation future : au verso du dessin est en effet représenté le visage, également "croqué" par Billy, de Lars Hoeglin, le fermier à l'allure démoniaque qui lui inspire une crainte instinctive. En découvrant cette sinistre figure, Reese éprouve un premier malaise -- l'association des deux visages sur une même feuille de papier est un symbole transparent de la dualité profonde de Reese, dont ce dernier n'a que trop conscience. D'un côté, le bon docteur affable et souriant ; de l'autre, un être démoniaque -- en réalité, un malheureux ermite en qui Reese et Billy croient distinguer l'incarnation du Mal, et qu'ils n'auront de cesse de détruire.

Les deux visages du docteur Reese. Recto...

... verso.

Vous : Et alors ? Où est l'homosexualité, là-dedans ?...

BBJane : Comme tout hétéro qui se respecte, vous me tendez une perche que je m'empresse de saisir... L'homosexualité, c'est d'abord le portrait amoureusement dessiné puis offert par le jeune garçon à son mentor. Ce sont ensuite les visites nocturnes de Billy à Reese, et les longues heures d'apprentissage de la lecture par l'adolescent, sur un petit ouvrage cher au coeur du guérisseur et intitulé "The Long lost friend" (L'ami depuis longtemps perdu). C'est aussi, pour ces deux êtres pétris de croyance religieuse et effrayés par les sentiments qu'ils découvrent en eux, le rejet de ce qu'ils croient être leur faute sur une tierce personne : Lars Hoeglin, qu'ils suspectent d'incarner le Démon, quand il n'est que l'incarnation de leur refoulé... Et puis, il y a la fiancée de Billy...

Roméo et Roméo

Vous
: Alors comme ça, Billy a une petite amie ?... C'est la preuve qu'il n'est pas pédé !...

BBJane : C'est surtout la mission fréquemment dévolue aux petites amies : démontrer que le héros est hétéro. Notez que celle de Billy, Alice Spangler, lui apparaît pour la première fois dans un accoutrement masculin (salopette, fichu masquant la chevelure). Mais passons...

Mia SARA, plus mignon que jamais.

Le comportement du jeune garçon envers la demoiselle s'avère encore plus éloquent. Elle est la fille de la logeuse de Reese, et c'est sous les fenêtres du guérisseur -- non sous celles d'Alice -- que Billy opère ses factions nocturnes (elle ne manque pas de le lui reprocher...) Il met, du reste, un temps assez long avant de céder à ses avances (un hétéro aux inclinations assurées ne lanternerait pas tant que ça, croyez-moi -- d'autant que Mia SARA est plutôt craquante... habillée en mec.) Lorsqu'Alice lui propose de s'enfuir avec elle à Philadelphie, Billy ne cesse de barguigner (synonyme de "lanterner", employé plus haut... j'ai les répétitions en horreur...) ; il n'y consent d'ailleurs qu'accompagné de Reese, au grand désespoir de sa belle.

Regard désapprobateur de la Belle sur les Bêtes.
(Notez qu'elle tient le parapluie comme d'autres la chandelle.)

L'attitude de Reese est encore plus significative à cet égard. Elle ruine totalement l'allégation de "sentiments paternels" évoqués tout à l'heure. Connaissez-vous beaucoup de pères manifestant un attachement aussi exclusif à leur fils ? La plupart seraient enchantés qu'il se dégotte une belle et bonne épouse -- qu'ils ne rechigneraient pas à lutiner un brin. Tel n'est certainement pas le cas de Reese. Non seulement il n'éprouve aucun attrait pour Alice, mais il lui manifeste une hostilité résolue, bien que silencieuse. Si l'on considère Reese comme un père de substitution, force est de constater qu'il adopte un comportement peu commun, et se conduit en vraie mère-poule, jalouse et castratrice.

Vous : Vous voulez à tout prix que Reese soit amoureux de Billy !... Qu'est-ce qui le prouve ?...

BBJane : Une foule d'indices, qu'à moins d'être un crétin fini le réalisateur n'a pu glisser innocemment.
A commencer par ces phrases du guérisseur à son disciple : "J'ai rêvé de toi, Billy... Les hommes vieux auront des rêves, dit le Livre Sacré... Je peux t'apprendre plus que l'écriture..."
Reese demande au jeune garçon de lui dessiner des hexagrammes. Lorsqu'il examine l'un de ceux-ci, la toile sur laquelle est peint le motif se soulève "magiquement", de manière carrément évocatrice d'une érection.

Qu'est-ce qui se cache sous l'hexagramme ?

Enfin -- et plus important que le reste --, lorsque Billy énonce, sans grande conviction, son intention d'aller vivre à Philadelphie, Reese se trouve en proie à de subites convulsions (qu'il attribuera au "démon" Hoeglin), signes d'une "possession" manifeste, et argument fort pratique pour convaincre le jeune garçon de l'emmener avec lui, sous le prétexte qu'il pourra recourir, dans la grande ville, aux services d'une exorciste réputée. La possession de Reese est révélatrice de deux choses : d'une part, sa détermination à suivre Billy où qu'il aille ; d'autre part, la nécessité de rejeter ce qu'il croit être sa faute sur un bouc émissaire (Lars Hoeglin).

"Deviendrais-je folle, gentil miroir ?"

Lorsqu'il prend conscience de la vraie nature de ses sentiments pour Billy, Reese commence à perdre ses pouvoirs de guérisseur, et s'attire la haine des villageois. Plus que jamais, il devient un paria -- aux yeux de la communauté comme aux siens propres. En conflit avec sa Foi, il réagit en l'affirmant avec plus d'ardeur. C'est le processus habituel de la formation de tout fanatisme : on ne s'accroche aussi vigoureusement à ses croyances que lorsque l'on commence à en percevoir l'inanité. Tout est dit dans la formule que Reese lance aux mécréants : "Dieu ? Impuissant ? Quelle arrogance !" L'impuissance, pour le guérisseur, résulte du trouble causé par la tentation homosexuelle, qu'il identifie non seulement à la perte de ses dons, mais aussi à celle de sa virilité.

Vous : Du délire !... Vraiment n'importe quoi !...

BBJane : Voyez le film... Son finale est éloquent... Je ne veux pas jouer les "spoileuses", mais je dois signaler que le combat de Reese et Billy contre le "démon" -- et ce sur quoi il aboutit -- est on ne peut plus limpide. Tout n'est que mascarade, faux semblants, auto-aveuglement.
Cette dernière scène peut d'ailleurs être envisagée comme métaphorique du film lui-même, des conditions de son exploitation, et de sa postérité. Pour avoir trop joué la carte du "fantastique" afin de dissimuler son propos, pour l'avoir encombré d'une bimbeloterie d'épouvante, il s'est condamné au Purgatoire cinéphilique... A vous de l'en tirer !...

Vous : Faudrait d'abord pouvoir le voir !...

BBJane : Il est parfois diffusé sur le câble, et peut être commandé ici.

Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous.

LIENS :

Je ne vois guère que la fiche imdb et ses commentaires, dont l'un semble plus avisé que les autres... Si je maniais la langue anglaise avec suffisamment d'aisance, je pourrais presque l'avoir écrit...

Ah !... Et puis, la redoutable bande-annonce, avec sa musique (absente du film !) démarquant sans complexes celle de L'Exorciste... Procédé d'autant plus stupide que la bande originale de Charles GROSS est une pure merveille !


mercredi 3 septembre 2008

Heu-reuse !


Un jour à marquer d'une bière blanche -- ou d'une pierre rose ! Ce matin, BBJANE a l'insigne honneur de voir sa prose relayée par le site Les Toiles roses.
Allez-y donc voir si j'y suis !
Un grand merci à Daniel C. HALL pour cette encourageante attention.