mardi 22 décembre 2009

WHO ARE YOU VERA BERKSON ?


Voici quelques mois, je découvrais par le plus grand des hasards une vidéo des plus intrigantes sur Dailymotion. Son auteur(e) : Vera BERKSON, réalisatrice, compositrice, interprète, muse, sorcière, gorgone, descendante probable de la Comtesse Bathory et de The Wicked Witch of the East, et se définissant elle-même, non sans raison, comme "The Gorgeous Witch of Modern Times".
Si vous daignez consacrer 3 minutes à la vidéo qui suit, vous comprendrez sans peine en quoi elle a pu me séduire. Entre MURNAU et Guy MADDIN, et avec une touche queer plus que prononcée, elle a parfaitement sa place ici, tout comme sa créatrice sera la bienvenue sur nos pages virtuelles, si elle accepte de répondre à l'appel de votre servante -- et promet de ne pas se montrer trop cruelle...



Je ne saurais trop vous inciter à visiter le MySpace de la BERKSON, où vous pourrez écouter plusieurs de ses compositions purement fantastiques et atmosphériques, plus envoûtantes et stupéfiantes les unes que les autres -- que je me passe en boucle régulièrement depuis des mois. Il ne fait aucun doute que nous sommes en présence d'une véritable artiste, inspirée et inspirante ; aussi... laissez-vous surprendre !




samedi 19 décembre 2009

INTERVIEW : ALAN ROWE KELLY


Cette interview fait suite à deux posts consacrés à I'll Bury You Tomorrow et The Blood Shed, les deux premiers films réalisés par Alan ROWE KELLY. Pour en savoir plus sur son univers filmique, vous pouvez vous reporter à ces articles.
Pour mieux connaître l'homme et l'artiste, c'est ici et maintenant que ça se passe...


Réalisateur, comédien, scénariste, producteur de films fantastiques et d'horreur indépendants, Alan ROWE KELLY est né le 13 janvier 1959 à Wharton, dans le New Jersey. Il exerce durant vingt ans la profession de maquilleur pour divers magazines prestigieux comme Vogue ou Bazaar, ainsi que pour des émissions télévisées, des publicités, des catalogues de vente par correspondance, etc...
En 1999, une équipe d'amis cameramen propose de lui fournir le matériel nécessaire à la réalisation d'un film ; ce sera I'll Bury You Tomorrow, dont le tournage s'étalera sur trois ans, et qui rencontrera un vif succès d'estime auprès des amateurs d'un fantastique vraiment macabre et dérangeant. Non content de diriger le film et d'en rédiger le scénario, Alan y effectue ses débuts de comédien dans un rôle...
féminin -- ce qui deviendra sa spécialité.
Immédiatement remarqué dans le milieu du film d'horreur indépendant, il enchaîne sur une seconde réussite, The Blood Shed, et fait bientôt l'objet d'un culte grandissant, explicable à plusieurs titres. Tout d'abord
par l'exigence et la qualité de son travail, peu courants dans le créneau du direct-to-DVD ; ensuite par une volonté très nette de bâtir un univers personnel, diversifié mais cohérent, sans souci des modes et vogues du moment. Enfin, par une personnalité à nulle autre pareille dans le paysage du cinéma fantastique américain, où il introduit sans tapage un esprit doucement transgenre et subtilement queer -- dans tous les sens d'un terme qui ne se borne pas à la question homosexuelle, mais couvre tous les domaines du bizarre et de l'incongru.
Son dernier film, A Far Cry from Home, a raflé plusieurs prix dans divers festivals du cinéma fantastique au cours de l'année écoulée, et vient de lui valoir celui du "Nouveau Cinéaste le plus Excitant" au Long Island Gay & Lesbian Film Festival.
C'est quelques jours avant de recevoir cette récompense qu'Alan m'a accordé l'entretien qui suit.



Te considères-tu comme un acteur jouant des rôles de femmes, un artiste travesti dans la lignée de Charles BUSCH... ou une actrice n'ayant pas le sexe adéquat ?


Je me suis toujours considéré comme un acteur jouant des personnages féminins. Je ne suis ni un fantaisiste ni un travesti. Mais je me sens assez à l'aise dans les deux genres [genders : masculin et féminin]. Cela a toujours fait partie de moi, du plus loin que je me souvienne.

Avais-tu écrit d'autres scénarios avant I'll Bury you Tomorrow, où est-ce celui que tu souhaitais filmer dès le départ ? Y a-t-il eu des modifications substantielles entre le script original et le film achevé ?

I'll Bury You Tomorrow fut mon premier script. L'opportunité s'est présentée de faire un film, et j'ai sauté dessus. J'écrivais déjà depuis quelques années, et j'ai rédigé le scénario en trois mois. J'ai essayé de conserver le charme gothique de la "vieille école", car c'était le genre de films que j'aimais à l'époque. J'ai voulu tenter un retour aux sources du vieux cinéma d'horreur indépendant des années 70 et début 80. Bien sûr, le scénario a connu plusieurs remaniements quand nous avons débuté le tournage ; il a fallu trois ans pour achever le film, du commencement à sa sortie. J'étais totalement amateur en matière de réalisation et j'ai tout appris en travaillant. Aujourd'hui, je considère ce film avec beaucoup d'affection ; je le remasteriserai dans quelques années et j'y apporterai quelques retouches de montage nécessaires, des corrections au niveau de la couleur, et un nouveau son pour son 10ème anniversaire en 2012, ainsi qu'un commentaire bien justifié.

avec Tom LANIER (d.) et... Rock HUDSON (g.) Photo : Greg LESHE

La plupart des films d'horreur indépendants jouent beaucoup sur les aspects comiques ou parodiques. I'll Bury You Tomorrow est au contraire un film sérieux et mature, avec quelques touches d'humour noir, mais ce n'est résolument pas une comédie (c'est d'ailleurs l'une des choses qui me l'ont fait aimer...) On perçoit également, comme tu l'as dit, une forte influence gothique. En tant que spectateur, et aussi artiste, quelle école du fantastique t'a le plus influencé ? Le gothique (Universal ou Hammer), l'horreur pure (Herschell GORDON LEWIS, Tobe HOOPER, etc...), ou un fantastique plus naturaliste (des films comme Ne vous retournez pas, L'Autre, ou Le Cercle infernal...) ?

J'aime tous ceux que tu as cités. J'ai été particulièrement influencé par un film intitulé The Uninvited, (La Falaise mystérieuse, Lewis ALLEN, 1944) avec Ray MILLAND et Ruth HUSSEY, comme par les travaux de Val LEWTON dans les années 40 - de merveilleuses œuvres d'atmosphère et des histoires inhabituelles orientées vers l'horreur, mais qui privilégiaient toujours la psychologie des comportements humains dans la dernière bobine. En grandissant, j'ai adoré tous les films de monstres des années 50 et 60, et je suis rapidement devenu un grand fan de John LLEWELLYN MOXEY (Horror Hotel, 1960), Curtis HARRINGTON (The Killing Kind, 1973) et de tout ce qu'a produit Roger CORMAN.

J'ai lu que I'll Bury You TOMORROW a été partiellement filmé à Staten Island. As-tu rencontré le fantôme d'Andy MILLIGAN, là-bas ? [Staten Island était le fief de ce cinéaste.] Plus sérieusement, comment considères-tu l'œuvre de MILLIGAN, en tant que réalisateur gay spécialisé dans le fantastique ?

Nous n'avons tourné qu'une scène à Staten Island (celle de l'enterrement), parce que nous pouvions utiliser le cimetière gratuitement. Et j'ai parfois lu que je pouvais être comparé à un "Andy MILLIGAN contemporain". La chose amusante, c'est que je n'ai JAMAIS vu un seul de ses films.
Je trouve très drôle que dans tous les articles que j'ai lus sur ses films, son travail est considéré comme "de la daube". Mais quelques critiques (principalement anglais) trouvent aussi que je fais "de la daube". (rires) Donc, je crois que lui et moi sommes du même bord. Andy avait incontestablement de très bons titres d'exploitation, lui aussi ! Il faut que je me mette à voir ses films.


Contrairement à I'll Bury You Tomorow, The Blood Shed est Camp à cent pour cent. On y trouve de nombreuses références-hommages à des films des années 70 et 80, et l'humour est constant. Le ton est beaucoup plus décontracté... Ce film prouve ton éclectisme et ta capacité à changer de registre. L'ambiance du tournage fut-elle différente ? Te sentais-tu plus confiant en réalisant ce deuxième film, et avais-tu le sentiment qu'une équipe commençait à se former ?

Il fallait que j'accouche de mon film dingue ! (rires) En outre, je ne voudrais jamais faire deux fois le même film, et je continuerai d'explorer tous les sous-genres de l'horreur tant que je pourrai tourner. The Blood Shed était une sorte d'hybride qui est arrivé par accident. A l'origine, ce devait être un court-métrage pour une anthologie [film à sketches] sur laquelle je travaillais avec deux autres réalisateurs, mais le projet a capoté, et comme nous avions assez de scènes et de métrage en boîte, nous en avons fait un long métrage. Et bien sûr, mes influences se retrouvent tout au long du film, de The Bad Seed (Mervyn LeROY, 1956), à American Gothic (John HOUGH, 1987), en passant par Massacre à la Tronçonneuse (Tobe HOOPER, 1974) et Pink Flamingos (John WATERS, 1972).
Pour ce qui est de l'équipe, nous nous sommes tellement amusés, la camaraderie et le professionnalisme étaient si élevés entre nous, que nous avons réalisé combien nous formions une chouette équipe de cinéma, et que nous devions toujours faire des films ensemble. Nous avons continué depuis, et notre travail s'améliore de film en film. Je suis vraiment béni et chanceux de pouvoir travailler avec ces gens, les comédiens comme les techniciens ! Nous partageons tous la même conception de la manière de faire du cinéma.

Experiment 7 (Joe DAVISON, 2009)

L'homosexualité n'est pas une question centrale dans tes deux premiers films. Hormis le fait que tu tiens des rôles féminins, il n'y a pas de personnages gays ni d'allusions au sujet. Ton dernier film, A Far Cry from Home, est beaucoup plus engagé sur ce point. Cette fois, tu parles de la violence à laquelle les homosexuels sont confrontés, et tu en parles violemment. Comment la communauté gay réagit-elle au film, qui semble extrême et sans concession ?

Eh bien, je ne me considère pas comme un cinéaste homosexuel. Je suis un réalisateur de films d'horreur qui EST gay. Je ne crois pas non plus que l'homosexualité doit imprégner tous mes films. Bien sûr, elle est perceptible dans chacun d'eux à travers mes choix esthétiques, parce que je suis qui je suis. A Far Cry from Home (qui fait partie de l'anthologie Gallery of Fear, qui sortira en 2010) se distinguait clairement de mes précédents travaux, et je crois que c'est ma meilleure œuvre à ce jour. Je voulais faire un film hardcore, brutal, violent, où la haine est la véritable horreur. Il n'a PAS été bien accepté du tout par la communauté gay. En vérité, il a été refusé par tous les festivals Gays & Lesbiens, à l'exception d'un seul -- le Festival du Film Gay & Lesbien de Long Island [ndlr : Alan vient d'y remporter le prix du meilleur cinéaste !] -- qui possède une catégorie "horreur", et fut assez courageux et ouvert pour le projeter. On ne peut jamais présumer de la température de son public. C'est pourquoi je me borne à faire les films que j'ai vraiment envie de faire en espérant une réaction -- bonne ou mauvaise -- des spectateurs. Mais nous avons eu beaucoup de chance avec ce film auprès des fans de films d'horreur, qui l'ont vraiment aimé ; nous avons été récemment récompensés par le prix des meilleurs effets spéciaux, et j'ai reçu celui du meilleur acteur au Festival du Film de Terreur de Philadelphie, en octobre dernier ! Un grand honneur !

Vilaine sorcière dans Kodie (Abel BERRY, 2009), avec Shawn EWERT

Depuis quelques années, la "gay horror" rencontre un certain succès, avec, entre autres, les films de David DeCOTEAU. Personnellement, j'ai le sentiment que ces films se contentent de reprendre de vieux thèmes en y introduisant des personnages gays. Ils n'ont aucune sensibilité authentiquement queer, même si leurs héros sont homosexuels. Ils pourraient être filmés par des réalisateurs hétéros, ça ne changerait rien à leur fond. Tu es actuellement le seul cinéaste du genre, à ma connaissance, qui transcrive une sensibilité gay dans des films qui ne le sont pas spécifiquement (à l'exception de A Far Cry from Home). Quelle est ton opinion à ce sujet ? Crois-tu qu'une "gay horror" adulte puisse exister, et connais-tu d'autres cinéastes indépendants (ou scénaristes) qui travaillent en ce sens ?

Bien sûr, je crois que c'est possible tant qu'on ne tombe pas dans les clichés et standards démographiques américains sur ce que les gays devraient être dans un film -- c'est tellement ridicule ! Nous n'avons plus besoin de stéréotypes gays. Nous sommes dans un nouveau siècle et une ère d'acceptation, où les gens sont autorisés à être ce qu'ils doivent être, sans préjudice. Certes, la haine existera toujours dans certains esprits étriqués, mais si tu laisses ce fait te dicter ta manière de décrire les personnages de tes films, alors c'est que tu n'as pas réellement évolué non plus. Je crois que nous sommes TOUS membres de la race humaine -- égaux, intelligents, bons et mauvais, et avec beaucoup à offrir en tant qu'individus. D'accord, je décris dans mes scénarios des personnages outranciers, démesurés, et "un peu trop" aux yeux de certains -- mais dans dix ans, plus personne ne pensera comme ça.
J'y vais assez franchement dans les portraits de mes personnages -- ils ont tous des forces et des faiblesses. Un bon et un mauvais côté. Ils sont humains. Il existe une telle voie pour la "gay horror" adulte, et je continuerai à l'emprunter dans mes films. Mais à long terme, on ne saurait plaire à tout le monde. Alors faisons le mieux possible pour filmer ce que l'on estime être sa vérité et sa réalité au sujet des personnes humaines.


Peux-tu me parler des films dans lesquels tu as joué pour d'autres cinéastes (Opening the Mind, Dead Serious, Vindication, etc...) ? As-tu une préférence pour l'un d'entre eux ?

Jouer dans la production d'un autre réalisateur est toujours une expérience très instructive. Premièrement, c'est génial de travailler dans un film en n'ayant qu'un seul boulot à faire -- connaître son texte, jouer, et faire ce que veut le réalisateur. En tant qu'acteur, je suis une éponge, et si le réalisateur attend plus ou moins de moi, je lui donne ce qu'il/elle veut. C'est pour cela qu'on me paie. De plus, j'aime voir les autres cinéastes diriger leur plateau et leur équipe. Quelques-uns sont formidables et j'apprends beaucoup, d'autres sont des égocentriques qui n'offrent rien sur un plateau qu'une indigestion, et d'autres encore laissent simplement les choses couler autour d'eux. Quand je suis sur un tournage, j'aime que le metteur en scène me prenne en charge -- je déteste qu'on me dise : "Tu sais ce que tu as à faire", parce que je ne le sais vraiment pas. Je ne suis pas dans la tête du réalisateur, alors comment pourrais-je deviner quel genre de performance on attend de moi ?
Dead Serious (Joe SULLIVAN, 2005) était mon deuxième film et fut intéressant, parce que le réalisateur était gay, faisait un film d'horreur gay, mais estimait que j'étais trop EXTREME pour son film, et voulait que j'atténue mon apparence -- en même temps, il prétendait vouloir dépeindre tous les aspects de la communauté. J'ai trouvé cela insultant, mais étant un nouveau venu, j'ai fait ce qu'on m'a dit. Vindication de Bart MASTRONARDI (2006) fut une grande expérience, parce que Bart nous faisait répéter encore et encore, comme pour une pièce de théâtre, et nous aidait à trouver le centre de nos personnages. Opening the Mind (toujours en production depuis 8 ans), est un film de serial killer très viscéral, qui m'a poussé dans mes retranchements au niveau des cascades et des tortures, un peu comme A Far Cry from Home. J'ai consacré beaucoup d'énergie et de travail à ce film, et j'attends toujours sa sortie. Exceptées mes prestations dans mes propres films, pour lesquelles je détenais tout le contrôle, j'aime celles que j'ai faites dans Sculpture, River of Darkness, Kodie, She Wolf Raising et W.O.R.M. Je peux facilement oublier le reste. En tant qu'acteur, on ne s'investit jamais dans un film en pensant qu'il sera mauvais. C'est un défi, et on doit tout donner. J'ai refusé plusieurs rôles parce que je les trouvais contraires à mon éthique et insultants. Je dois être très scrupuleux sur la façon dont j'apparais dans un film, et ne pas devenir un objet de plaisanterie.

Opening the Mind, de Michael TODD SCHNEIDER

avec Bart MASTRONARDI (g.) et Jerry MURDOCK (d.)

Tu dirigeras bientôt un remake de Don't Look in the Basement (S.F. BROWNRIGG, 1973). Ce choix m'a beaucoup surpris, parce que le film d'origine est un slasher classique, pas très inventif. Je t'aurais plutôt vu t'atteler à un remake de The Baby de Ted POST (1973), par exemple. Tu aurais été formidable dans le rôle de Ruth ROMAN, la mère délicieusement abusive ! Pourquoi avoir choisi Don't Look in the Basement ? Est-ce que le film original t'attire particulièrement -- et pour quelles raisons ?

C'est marrant que tu mentionnes The Baby ! A chaque fois que quelqu'un le voit, il m'écrit pour me dire : "Là, il y a vraiment un rôle pour toi !" Et c'est très drôle parce que j'adore ce film et j'ai toujours pensé que Ruth ROMAN et moi partageons un look, des attitudes et un style de jeu similaires devant la caméra -- le côté un peu dur, roublard, et têtu comme une mule. Je tuerais pour recréer ce rôle dans un film -- spécialement pour porter ces combinaisons en jean ! (rires)
Don't Look in the Basement a une signification spéciale pour moi. J'ai aimé ce film dès que je l'ai vu pour la première fois dans les années 70. En fait, je crois que ce fut le premier splatter [film gore] que j'aie vu. C'est pourquoi il m'a marqué, tout comme la grande performance d'Annabelle WEENICK dans le rôle du Dr. Masters. Mon scénario est très proche de l'histoire originale, mais j'ai ajouté de nouveaux personnages et de nouveaux rebondissements pour l'actualiser, et, je l'espère, créer un film neuf qui suscitera chez le public la curiosité de voir le modèle. Ce sera également un petit budget pour maintenir l'esprit "indépendant" de la production originale. J'ai toujours estimé que l'histoire était très forte et ne devait pas donner lieu à l'un de ces remakes clinquants, envahis d'effets numériques, que le public oublie cinq minutes après les avoir vus.
De plus, sur le plan professionnel et en tant que producteur, puisque Don't Look possède une solide base de fans, on peut espérer que davantage de fans et de spectateurs voudront le voir, et lui donner une meilleure chance pour un plus large contrat de distribution. Je dois être attentif à l'avenir de tous mes films, et m'assurer qu'ils seront bien placés pour obtenir une meilleure visibilité.
Je te promets que tu ne seras pas déçu quand tu verras ce que nous avons fait à ce classique. Et tous mes acteurs-stars sont à bord, comme Jerry MURDOCK, Zoë DAELMAN CHLANDA, Katherine O'SULLIVAN, et d'autres grands de la production indépendante comme Terry WEST et Debbie ROCHON. Avoir l'opportunité de travailler encore et encore avec tous ces gens formidables est tellement gratifiant.


Ne dois-tu pas réaliser un autre film pour l'anthologie Gallery of Fear ? J'ai entendu parler de Down the Drain... Ce film est-il déjà tourné, et que peux-tu nous en dire ?...

Gallery of Fear est presque terminé -- ce fut une grande expérience de travailler avec autant de pros sur des histoires si différentes, et mon partenaire Anthony SUMNER, qui a dirigé le segment By Her Hand, She Draws You Down, n'est pas le dernier venu en matière de talent. J'ai presque fini le montage de Down the Drain, l'histoire d'un enseignant solitaire (Jerry MURDOCK) qui se trouve un "ami" vivant dans une bouche d'égout voisine. C'est une charmante petite histoire de monstre, très différente des autres histoires de l'anthologie. Le film a encore besoin de quelques retouches de montage, de musique et de mixage sonore, et devrait être prêt pour le printemps 2010 ! Je crois que c'est un vrai retour aux vieux films à sketches de la fin des années 60 et du début des années 70 -- très fignolé, joliment produit et merveilleusement joué par plusieurs stars du cinéma indépendant comme Debbie ROCHON, Jerry MURDOCK, Raine BROWN, Katherine O'SULLIVAN, Don MONEY, Terry WEST, Zoë DAELMAN CHLANDA, moi-même et quelques brillants nouveaux venus.

Entre tes travaux de réalisateur, de scénariste, d'acteur, de producteur, tu n'as guère le temps de t'ennuyer. Comment se déroule une journée-type pour Alan ROWE KELLY ?

Travail, Travail, Travail... (rires) C'est ce que je fais et ferai jusqu'à ce que j'expire ! J'aime tellement ce métier. Mais ce que je hais après toutes ces années est d'être si sacrément fauché... (rires)


Tu sembles très attaché au New Jersey. Tu as d'ailleurs écrit un livre sur ta ville natale, avec ta mère. Dans quelle mesure le New Jersey inspire-t-il ton travail ?

J'ai habité New York pendant de nombreuses, nombreuses années, mais c'est tout bonnement trop onéreux d'y vivre tout en étant le cinéaste que je souhaite être. Alors, j'ai franchi deux miles à travers la Hudson River pour gagner le New Jersey. J'aime y tourner pour plusieurs raisons. La première : c'est simplement beaucoup plus économique pour mes budgets, et très abordable sur le plan des autorisations, des assurances, et de la liberté de filmer tranquille. Secundo : le New Jersey possède tous les éléments nécessaires à des décors parfaits, sur un périmètre couvrable en deux heures de voiture : paysages ruraux, urbains, ou de banlieue. Grandes cités, petites villes, champs, fermes, lacs, l'Océan et son long littoral de plus de 400 kilomètres, montagnes, plaines, marais, et même vieilles villes et villages abandonnés.
De plus, c'est un vieil état très curieux, avec plus de légendes et de folklore que dans n'importe quel autre état de ma connaissance -- dans certains endroits, on peut littéralement respirer cela... du moins, moi, je le peux. Ma famille descend des Indiens Lénapes, qui ont vécu là durant des centaines d'années. J'ai une profonde affinité avec cette terre, parce que mes racines y sont profondément ancrées -- un sentiment de déjà vu, si tu veux.
Mais je n'y suis pas pour autant englué, et je suis prêt à me déplacer dans n'importe quel endroit pour tourner un film -- n'importe quel état, pays ou planète ! (rires) Je suis prêt à partir ! Et pour l'heure, je ne peux rien envisager de mieux que de tourner dans la campagne française, un film "à la" Haute Tension ou And Soon the Darkness !

Pour finir : si la vie d'Alan ROWE KELLY devait être adaptée à l'écran un jour, et si on te demandait quel acteur tu souhaiterais pour jouer ton personnage, et quel metteur en scène pour diriger le biopic, qui suggèrerais-tu ?

Je ne peux pas imaginer que ça se produise ! (rires) Je crois que j'ai encore beaucoup de choses à vivre et de scandales à accumuler avant qu'on puisse écrire mon histoire. Et puis, il me faut encore réaliser quelques très bons films d'horreur, avec l'espoir que l'un d'eux restera dans les annales du genre et sera considéré comme un classique, des années après. Je crois que c'est ce que nous souhaitons tous, cinéastes : faire une grande œuvre dont on se souviendra longtemps après notre disparition.

Joalan Rowford
(photo : Robert NORMAN)


Le Site Officiel d'Alan : ici

Thank you infinitely, dear Alan, for your cooperation, your friendship and... your great work ! Good continuation !


vendredi 18 décembre 2009

ROLLIN AT WORK


Quelques images volées au tournage du dernier film de Jean ROLLIN, Le Masque de la Méduse, avec son épouse Simone ROLLIN dans le rôle titre, et la participation de quelques-uns de ses vieux complices, dont Jean-Pierre BOUYXOU et Bernard CHARNACE.
Bon pied, bon œil, et toujours guidé par la passion, Jean ROLLIN nous réserve, semble-t-il, et une fois de plus, bien des surprises. Je l'en remercie d'avance, sans dissimuler les frissons que me procurent ces images inestimables d'un homme acharné à la poursuite et au partage de ses rêves. Bonne chance, cher Jean, au fruit de cette nouvelle aventure filmique !




Merci à l'excellent blog Fascination, The Jean Rollin Experience.

vendredi 4 décembre 2009

PAUL NASCHY (1934-2009)


Comédien, scénariste, réalisateur espagnol spécialisé dans le fantastique, Paul NASCHY (de son vrai nom Jacinto MOLINA), est décédé d'un cancer le 30 novembre 2009.
N'ayez crainte, les médias de vous en rabattront pas les oreilles. Et pourtant, Naschy est un mythe. La dernière « horror star » du cinéma d'épouvante, ayant interprété tous les grands rôles du répertoire : le loup-garou d'abord (en tant que scénariste et acteur, il créa le personnage de Waldemar Daninsky, lycanthrope « à l'ancienne », héritier direct du Larry Talbot interprété par Lon CHANEY Jr. dans les films Universal des années 40), Dracula, Dr Jekyll et Mister Hyde, la Momie, la créature de Frankenstein, Jack l'Eventreur, les docteurs Fu Manchu et Petiot, le serial killer Juan Andrés Aldije (dans El Huerto del Frances, qu'il réalisa en 1977), sans parler d'autres personnages directement issus de sa plume, comme Alaric de Marnac (un avatar de Gilles de Rais), ou Gotho, le Bossu de la Morgue (qui lui valut le prix d'interprétation masculine au Festival International de Paris du Film Fantastique et de S.F., en 1973).

La Furia Del Hombre Lobo (José Maria ZABALZA, 1970)

D'aucuns diront que j'exagère en présentant Naschy comme la dernière grande star de l'épouvante, puisque Christopher Lee est toujours parmi nous. Soit. Le problème avec Lee, c'est qu'il fut un peu trop porté à cracher dans la soupe. Le fantastique était pour lui essentiellement alimentaire (quand bien même il s'intéressa un temps à l'occultisme), et somme toute indigne du grand comédien qu'il rêvait d'être – et fut souvent. Bref, il me semble que Lee s'est désolidarisé du genre il y a longtemps, et ce ne sont pas ses prestations récentes dans les guignolades boursouflées de Lucas et Jackson qui changeront quoi que ce soit à la donne. Tandis que Naschy était un amoureux du fantastique, un pur, un éperdu. Durant les années 70, il fut le seul en Espagne – et l'un des rares en Europe, avec les artisans de la Hammer Films – à pratiquer une approche gothique du cinéma d'épouvante, tout d'abord en tant qu'interprète, puis, lorsque le classicisme fut passé de mode, en passant à la mise en scène par amour du genre, pour défendre des conceptions qui n'intéressaient plus grand-monde. Ce qui le différencie de la plupart des autres cinéastes et comédiens de l'"écran fantastique", c'est la sincérité de sa démarche, uniquement guidée par la passion, et faisant fi de tout mercantilisme – ce qui ne fut pas toujours le cas de la Hammer.

El Espanto surge de la Tomba (Carlos AURED, 1972)

Tout cela, répétons-le, dans l'Espagne des années 70, ce qui lui attira les foudres de la censure franquiste, évidemment hostile à un genre peu conforme à l'orthodoxie du régime (« Des loups-garous et des vampires ? Dans notre chère Espagne catholique et chrétienne ?... Vous plaisantez, mon brave !... ») Le seul moyen pour Paulo d'obtenir l'aval des autorités culturelles fut de « délocaliser » régulièrement l'action de ses scénarios dans d'autres pays d'Europe (ce qui nous valut quelques œuvres croquignolettes, comme une Furie des Vampires (La Noche de Walpurgis, Leon KLIMOVSKY, 1970) se déroulant dans un Nord de la France planté de magnifiques palmiers !)
Lorsque le Caudillo cassa sa noble pipe, ce fut encore pire pour Paulo. Les nouvelles instances ne finançaient plus que des films engagés et gauchisants, et le fantastique, cette distraction bourgeoise tout juste bonne à satisfaire les déviances de quelques attardés psychotiques, se retrouva banni encore plus farouchement qu'au bon vieux temps du père Franco. Autre époque, autres diktats – même opprobre pour un artiste farouchement attaché à sa passion pour l'étrange et son patrimoine. La politique peut bien changer ; la censure, elle, est immuable.

Le Bossu de la Morgue (Javier AGUIRRE, 1972)

Pour ce qui est de l'homosexualité dans l'œuvre de notre homme, désolée mes chéries, mais à moins d'extrapoler gravement, je n'en vois nulle trace. Paulo était solidement hétéro, bien loin des thématiques qui nous occupent à Fears for Queers, et si le lesbianisme apparaît parfois dans ses films, c'est dans l'optique bandulatoire chère aux fanatiques du beau sexe, qui n'aiment rien tant que d'en voir deux représentantes se gougnotter pour la beauté du geste. Seule exception, El Transexual (José Jara, 1977), sur le cas de Lorena Capelli, un travesti qui mourut des suites de son opération de changement de sexe. Le film étant introuvable à ma connaissance, je ne m'attarderai pas sur son cas.

El Retorno del Hombre Lobo (Jacinto MOLINA/NASCHY, 1981)

S'il fallait désigner mes titres préférés dans sa copieuse filmographie (et on me signale qu'il le faut), je citerais donc : El Caminante (Jacinto Molina/NASCHY, 1979), aventures picaresques d'un diable vagabond dans l'Espagne médiévale, Inquisicion (Jacinto MOLINA/NASCHY, 1976), qui, comme son titre l'indique, s'intéresse moins à l'élevage des cervidés en milieu aquatique qu'aux crapuleuses exactions des chasseurs de Carabosses, El Aullido del Diablo (Jacinto MOLINA/NASCHY, 1988), fabuleux hommage à la Universal, dans lequel Naschy joue les frégolis de cauchemar en incarnant tous les grands monstres du répertoire (le film lui valut d'être accusé de plagiat par le critique Salvador SAINZ qui se disait auteur du scénario, et plomba sa carrière durant les années 90), et le sublimement émouvant Rojo Sangre (Christian MOLINA, 2004), son testament artistique, dans lequel il joue plus ou moins son propre rôle, celui d'un vieil acteur méprisé par la génération montante, et qui décime sauvagement les responsables de sa mouise. Cette méditation campy et vénère sur le déclin d'un genre et de ses artisans permit à Naschy de tirer une magistrale révérence. Il y livre, sans aucun doute, la plus belle prestation de sa carrière.

Rojo Sangre (Christian MOLINA, 2004)

mardi 1 décembre 2009

R.I.P.

J'apprends aujourd'hui le décès de Paul NASCHY (Jacinto MOLINA), réalisateur, scénariste, comédien espagnol, qui défendit durant des décennies le cinéma que nous aimons, sous la censure franquiste comme sous l'impérialisme des marchands de soupe.


Je ne suis pas partisan des posts "R.I.P.", mais celui-ci s'impose, en attendant de rendre à ce grand monsieur l'hommage qui lui est dû...

mardi 10 novembre 2009

LE PIED D'ESTALE


Il y a deux mois de cela, Monsieur Eric ESCOFIER, vénérable spécialiste du cinéma gothique, créateur et rédacteur de multiples fanzines voués aux différents Ages d'Or de l'épouvante, m'envoyait un court mail pour me proposer, je cite : "un échange publicitaire pour nos deux sites". Je lui répondis cordialement -- mais avec un certain retard, ayant eu divers soucis informatiques qui me privaient de ma messagerie --, et l'assurai que j'orienterai mes lecteurs vers son site, Les Monstres de la Nuit.
Je le fais aujourd'hui, encouragé par le charmant message que Monsieur ESCOFIER m'a laissé cette semaine, en réaction à mes articles sur la Hammer. J'en conçois une certaine fierté. Ce mail est le premier que je reçois dans la catégorie "incendiaire", et il répond idéalement à mes attentes en ce domaine. Le conformisme, l'aporie intellectuelle, la complaisance béate dans le rabâchage poussif de vieilles antiennes, et la haine instinctive de tout ce qui déroge à une approche infantile du fantastique, s'expriment ici en plein. Monsieur ESCOFIER m'apparaît dès lors comme le parfait représentant d'une "fantasticophilie de papa", délicieusement ingénue et surannée, dont la persistance n'a d'égale que l'étroitesse de vue.
Je reproduis son mail intégralement pour votre édification, en préservant ses libertés syntaxiques et ses caprices orthographiques.



"bonsoir, je viens d'aller sur votre site et je constate la dégradation que vous osez mettre sur certains films de la Hammer alors que nous qui travaillons depuis plus de 30 ans dans le cinéma fantastique, nous nous sommes efforcés face à un public d'ignares et de sous développés à défendre le cinéma fantqstique anglais. Jene sais pas où vous voyez de l'inceste dans la FEMME REPTILE, une homosexualité latente dans "L'INVASION DES MORTS VIVANTS". Je pense que Gilling aurait apprécié... et cerise sur le gateau, vous descendez sans peur un film culte : LE BAISER DU VAMPIRE en clâmant que le Docteur Ravna est un extra terrestre, un travesti du Baron Frankenstein.... Je crois que l'auteur de cet article merdique ne comprend rien au cinéma fantastique et feerez mieux de regarder des films X Ca fait mal au coeur et ça donne envie de gerber lorsqu'on lit celà. Moi qui est cotoyé tous les grands du cinéma fantastique, je trouve celà dégoutant, mais rien ne m'étonne de nos jours où on met sur un pied d'estale des gens qui le jours où l'on mettra les cons sur orbites, ne cesseront pas de tourner..."

En conclusion, je tiens à vous rassurer sur un point, cher Monsieur ESCOFIER : j'ai moi aussi rencontré quelques "grands du fantastique" (pas TOUS, hélas... je ne suis pas canonique au point d'avoir côtoyé Tod BROWNING ou James WHALE), entre autres Monsieur Jimmy SANGSTER, avec qui j'ai longuement discuté de son film Les Horreurs de Frankenstein, en termes identiques à ceux de mon article. Je suis navrée de vous informer qu'il les approuva totalement.
Merci infiniment pour votre mail, à la lecture duquel j'ai pris un pied... d'estale !...

vendredi 30 octobre 2009

GOD SAVE THE QUEER ! Le Camp dans les films gothiques Hammer (Deuxième et dernière partie)


Dans la première partie de cet article, j'ai évoqué les aspects Camp de deux films de Terence FISHER. Durant les années fastes de la Hammer, aucun des autres cinéastes considérés comme "majeurs" ne s’adonna au Camp ; certainement pas Val GUEST, au style dépouillé et réaliste, ni John GILLING, qui, bien que plus porté sur le queer que FISHER (inceste dans La Femme reptile [The Reptile, 1966], homosexualité masculine latente dans L’Invasion des morts-vivants [The Plague of the Zombies, 1966]) se tient éloigné du lyrisme comme de la distanciation. Freddie FRANCIS se vit confier au sein de la firme d’assez ternes scénarios relevant du thriller psychologique post-Psychose, et « passa à la concurrence » en travaillant pour le compte de l’Amicus, après un Frankenstein renouant avec l’esthétique Universal des années 30 -- le Camp en moins (L’Empreinte de Frankenstein, The Evil of Frankenstein, 1964), et un Dracula visuellement superbe, mais assez languissant (Dracula et les femmes, Dracula has risen from the grave, 1968).
Don SHARP signa un Baiser du vampire (Kiss of the Vampire, 1964) sentencieux et gourmé, plein de creuse suffisance, et effroyablement réactionnaire sous de faux airs iconoclastes. Un jeune couple en voyage de noces y suscite la convoitise du chef d’une secte de vampires. Le grand mérite du scénario de John ELDER/Anthony HINDS est d’avoir – peut-être – inspiré son postulat au film culte le plus Camp des années 70, The Rocky Horror Picture Show (1975) où des jeunes mariés sont également accueillis, puis pervertis, par un émule extra-terrestre et travesti du baron Frankenstein. Autant la comédie musicale de Jim SHERMAN est un hymne facétieux à la licence sexuelle et à la pensée queer, autant le film de Don SHARP est un prétentieux apologue du puritanisme et de l’esprit petit-bourgeois. Les auteurs ont beau se targuer d’innover (les vampires sortent le jour ; leur destruction est assurée par le recours à l’occultisme plutôt qu’au pieu, à l’ail et au crucifix), leur propos est encore plus conservateur que celui de FISHER, ce qui n’est pas rien (voir le discours du Van Helsing de service sur le thème de la perdition.)


Réalisateur moins coté par les fantasticophiles, Robert DAY s’adonna à un Camp tout de façade avec La Déesse de feu (She, 1965), troisième adaptation cinématographique d’un célèbre roman d’aventures exotiques de H. RIDDER HAGGARD (1887). Ursula ANDRESS, régnant sur un peuple oublié d’Afrique, y apparaît superbement conservée malgré ses deux milles ans, et arbore une garde-robe aussi fantasque que somptueuse, pour mieux éblouir un explorateur qu’elle souhaite entraîner avec elle dans les Flammes de l’Immortalité. Face à cette splendide créature, Christopher LEE oublie d’être sobre en grand prêtre félon dont la barbiche trahit la cruauté.
Loin du gothique et du fantastique proprement dits, les mondes préhistoriques de Un Million d’années avant Jésus-Christ (One Million Years B.C., Don CHAFFEY, 1966) et de Quand les dinosaures dominaient le monde (When Dinosaurs Rules the Earth, Val GUEST, 1970) étaient d’autant plus Camp qu’ils offraient à Raquel WELSH et Victoria VETRI l’occasion de porter le dernier cri de la haute-couture en peau de bête, et permettaient à de jeunes mâles plus ou moins athlétiques d’exhiber leurs pectoraux – sans parler des corps à corps d’amazones et des danses érotiques de Martine BESWICK dans Les Femmes préhistoriques (Slave Girls/Prehistoric Women, Michael CARRERAS, 1968). Encore une fois, le Camp est ici extérieur et davantage redevable au talent des costumiers et à la plastique des comédiens qu’à l’imagination des scénaristes.


Plus riche en implications queer, le cycle des « vampires lesbiennes » connut une certaine vogue à compter de The Vampire lovers (Roy WARD BAKER, 1970), adaptation du « Carmilla » de Joseph Sheridan Le FANU (1871). Suivirent, l’année suivante, Lust for a vampire (Jimmy SANGSTER), Countess Dracula (Peter SASDY) et Les Sévices de Dracula (Twins of Evil, John HOUGH). Ces films visaient davantage à séduire un public masculin toujours friand d’ébats saphiques qu’à offrir une approche originale et sensible de l’homosexualité dans un contexte fantastique ; la Hammer ne se frotta d’ailleurs jamais directement au vampirisme gay, et seul Les Cicatrices de Dracula (Scars of Dracula, Roy WARD BAKER, 1970), tout entier traversé par un courant d’homophilie sous-jacente et de sadomasochisme, répond aux très allusives Maîtresses fisheriennes sur ce point.
Décontenancés par l’évolution des mœurs et l’appétit du public pour un fantastique moins allégorique, les exécutifs de la Hammer pensèrent résoudre le problème en injectant plus de sexe et de violence dans leur vieille formule gothique. Cette reconnaissance de la modernité, pour le moins indécise, était bien différente de celle qui se faisait jour dans des films comme Rosemary’s baby (Roman POLANSKI, 1968), ou L’Exorciste (The Exorcist, William FRIEDKIN, 1973), et qu’avait préparée HITCHCOCK dix ans plus tôt avec Psychose. Bien que bâtarde, cette mixture donna lieu à plusieurs films passionnants (La Fille de Jack l’Eventreur, Peter SASDY, 1971 ; Les Sévices de Dracula, John HOUGH 1971 ; Le Cirque des vampires, Robert YOUNG, 1972 ; Demons of the mind, Peter SYKES, 1972 ; Captain Kronos, Vampire Hunter, Brian CLEMENS, 1973), et déboucha occasionnellement sur le Camp authentique, tout d’abord avec les thrillers gériatriques que j’ai déjà évoqués (Die ! Die ! My Darling, ou Conversation avec un cadavre, auxquels on peut rattacher Les Sorcières de Cyril FRANKEL, 1966), puis avec deux chefs-d’œuvre injustement méprisés lors de leur sortie : Les Horreurs de Frankenstein (Horror of Frankenstein, Jimmy SANGSTER, 1970) et Dr Jekyll et Sister Hyde (Dr Jekyll & Sister Hyde, Roy WARD BAKER, 1971).


Le scénario du premier, dû à Jeremy BURNHAM (auparavant auteur de plusieurs épisodes de la série Chapeau melon et bottes de cuir), reprend l’essentiel de celui que Jimmy SANGSTER signa en 1957 pour le premier opus frankensteinien de la Hammer : Frankenstein s’est échappé. SANGSTER, contacté par la production pour remanier le script, n’accepta la tâche que contre la promesse qu’il dirigerait le film. Son premier soin fut de lacérer l’épaisse tenture drapant généralement le sous-texte queer des films Hammer, et de l’exposer par le biais d’un humour très noir et très Camp. Il alla même plus loin en prenant le contre-pied presque systématique des codes habituels de la firme (qu’il avait aidé à définir en tant que scénariste de ses premiers succès), faisant des Horreurs de Frankenstein une sorte de pamphlet antivictorien – et anti-Hammer sur bien des points. Comme il s’agissait de revenir sur la jeunesse du baron, le presque sexagénaire Peter CUSHING fut remplacé par un comédien plus jeune, Ralph BATES – changement qui n’est sans doute pas étranger à l’insuccès du film auprès des fans.
Les expérimentations de Frankenstein ne visent plus cette fois au bien de l’humanité, mais sont l’un des moyens qu’il emploie pour manifester son indépendance d’esprit, et heurter les valeurs d’une société qu’il méprise. Le scénario s’intéresse autant à ses frasques sexuelles et à ses actes d’insubordination qu’à la fabrication de sa créature. Ses recherches ne sont ici qu’un prétexte permettant de brosser le portrait d’un libertin égotiste et sarcastique, convaincu de sa supériorité et ne vivant que pour l’affirmer aux yeux de son entourage.
Les intentions des auteurs sont exprimées dès le générique, ou nous voyons la main du baron tracer des « lignes d’amputation » sur une gravure érotique représentant un nu féminin : libido, science, et misogynie (la femme n’est que chair à plaisir et à charcutage) se conjuguent dans ce plan d’ouverture plein d’ironie Camp. L’amoralisme de Frankenstein, sa muflerie et son dédain des convenances, éclatent dans chacune de ses reparties : à un professeur qui prétend lui donner des coups de règle, il objecte qu’il ne saurait en recevoir d’un être intellectuellement inférieur ; au doyen de l’université qui l’accuse d’avoir engrossé sa fille, il rétorque calmement qu’il a suffisamment de compétences pour pratiquer un avortement ; quand son père lui déclare : « Moi vivant, tu n’iras plus parader à l’université », il sourit et se met en quête d’une carabine.

Le Baron trace des lignes d'amputation sur une gravure érotique

Il ne tolère le sexe opposé qu’en tant qu’objet de plaisir ou d’étude : « J’espère que rien n’a été changé. Mêmes meubles, même chauffe-lit », dit-il à Alys, la domestique qui remplissait ce dernier office auprès de son père. Lorsque Elizabeth (Veronica CARLSON), espérant devenir son épouse, lui demande l’hospitalité après un revers de fortune, il lui assure que « rien ne [le] réjouit davantage que [sa] présence permanente dans ce château… en tant que gouvernante. » Du reste, son seul effort pour éduquer sa créature se bornera à lui faire supprimer deux femmes : Alys, la bonne devenue encombrante, puis l’épouse de son fournisseur de cadavres.
Dans aucune autre adaptation du roman de Mary SHELLEY, le baron ne fut aussi insouciant de l’être qu’il a engendré. Que celui-ci soit une brute épaisse ne le contrarie pas outre mesure, et l’on peut même se demander s’il prend ce détail en considération. Sa réaction lorsque le monstre vient à la vie est pour le moins inconséquente : il s’avance vers lui, main tendue, pour le saluer d’un pimpant : « Enchanté de vous connaître. Je suis Victor Frankenstein. » Sa créature ne lui inspire aucune compassion, et pas davantage d’aversion. Seule compte la fierté qu’il éprouve d’avoir « réussi son coup », comme le suggère une scène précédente où il anime électriquement un bras coupé, qui brandit aussitôt l’index et le majeur pour former le V de la Victoire.

Conviction de la Bête face à la Belle
(Kate O'MARA -- avec les seins --, David PROWSE -- avec les muscles)


S’il bat en brèche la plupart des codes de la Hammer, SANGSTER respecte néanmoins celui ayant trait à l’hétérosexualité des protagonistes masculins. Lorsqu’il s’autorisa, en tant que scénariste, quelques privautés en ce domaine (The Anniversary, Roy WARD BAKER, 1968), ce fut hors du genre fantastique, au sein duquel il respecta toujours soigneusement le cryptage – par crainte, sans doute, de s’aliéner le public des fans, toujours chatouilleux sur ce point. Mais il le fait ici avec tant d’insistance que le caractère Camp du film en est finalement renforcé. Son Frankenstein est un champion du donjuanisme, une bête de sexe qui ne se résout à tempérer ses ardeurs que lorsque ses maîtresses font obstacle à sa liberté. Quand l’un de ses camarades d’étude, Stefan (qui semble secrètement épris de lui), lui reproche d’avoir séduit la fille du doyen, il répond : « Si c’était son fils, crois-moi, je m’y intéresserais pas ! », réaffirmant par là l’orthodoxie de ses penchants. Pourtant, lorsque le résurrectionniste qui l’achalande en cadavres lui demande s’il préfère un spécimen mâle ou femelle, il lui déclare sans hésiter : « Le mâle, bien entendu ! » On en vient à soupçonner que ses recherches sont pour lui un moyen détourné d’assouvir une homosexualité farouchement démentie, et l’on ne s’étonnera pas que sa créature soit un parangon de masculinité, interprété (si l’on peut dire…) par le culturiste David PROWSE, qui ne dénoterait pas dans un péplum italien ou un porno gay des eighties.

Un Monstre bodybuildé (David PROWSE)

Mieux vaut posséder une grosse seringue face à un tel bétail !

L’homosexualité du personnage de Stefan est moins lourdement cryptée que celle du baron. Quand Frankenstein demande à une jeune fille de l’aider à « étudier l’anatomie », Stefan soupire qu’il aimerait en faire autant ; il s’attire alors cette remarque d’un tiers : « Je ne crois pas qu’il [Frankenstein] apprécierait cette offre. » Ayant abandonné ses études, Stefan entrera au service de Frankenstein en qualité de cuisinier ; mais le baron, peut-être indisposé par tant de dévouement, le laissera accuser des meurtres commis par la créature.
Plus que ses implications queer, ce sont le cynisme de ses situations et son sexisme outrancier qui donnent son caractère Camp aux Horreurs de Frankenstein. Tel n’est pas le cas de Docteur Jekyll et Sister Hyde, qui revient sur le thème du transsexualisme, cinq ans après Frankenstein créa la femme.


Le sublime générique de Dr Jekyll et Sister Hyde, une valse Camp signée David WHITAKER :




Jekyll (Ralph BATES) tente cette fois de fabriquer l’élixir de la vie éternelle au moyen d’hormones féminines, car il s’est avisé que les femmes « possèdent une peau plus soyeuse que les hommes, et perdent moins rapidement leurs cheveux. » (sic !) Comme de juste, il expérimente sa formule sur lui-même, et découvre aussitôt son terrible effet secondaire : elle le transforme en une superbe jeune femme assoiffée de sexe et de sang (Martine BESWICK).
Nul besoin d’être gay pour goûter l’équivoque de la situation, d’autant que Jekyll commence par s’en accommoder : il fait passer son double pour sa sœur (baptisée Mrs Hyde), fait l’emplette de quelques robes, et profite de ses métamorphoses pour trucider en toute impunité des prostituées de Whitechapel, à qui il prélève les organes nécessaires à l’élaboration de sa potion.

Jekyll découvre son nouveau minois (Martine BESWICK)

Les premières scènes du film mettent l’accent sur l’indifférence de Jekyll à l’égard des femmes : il ignore les avances de sa voisine, dont le frère suggère qu’il est peut-être « insensible au charme féminin » ; son ami, le docteur Robertson, lui reproche de ne pas partager sa passion pour le beau sexe : « Mettez une femme convenable dans votre lit, et un beau matin, vous découvrirez un autre homme dans votre miroir ! » Mais lorsque Jekyll se regarde dans son miroir, il y découvre mieux qu’un autre homme : la femme qu’il n’osait rêver d’être.
Contrairement au roman de STEVENSON (1886) et à ses multiples adaptations, le film tarde à poser le rapport Jekyll/Hyde en terme de conflit. A aucun moment le docteur ne s’offusque des crimes commis par Sister Hyde, puisqu’ils servent ses travaux scientifiques – du reste, il les commettait lui-même auparavant, ce qui fait de ce film, à ma connaissance, le seul présentant Jekyll comme un meurtrier (ici assimilé à Jack l’Eventreur) dont Hyde devient le « suppléant ».
C’est son transsexualisme qui finit par répugner Jekyll, alors qu’il l’envisageait sereinement au départ. Il ne souhaite se débarrasser de sa « sœur » qu’après qu’elle (il) ait tenté de coucher avec leur voisin du dessus. Cette décision peut aisément être interprétée comme un repli vers l’hétérosexualité, de la part d’un homme effrayé par l’affirmation trop radicale de sa véritable nature.

Docteur Jekyll et la main de Sister Hyde (Ralph BATES, et un bout de Martine BESWICK)

Les moments les plus Camp correspondent bien sûr aux fluctuations du personnage d’un sexe à l’autre. Les mains de Jekyll, premières touchées par la métamorphose, créent un effet de contraste queer lorsque, soudain féminines, elles effleurent son visage, ou soudain masculines, elles caressent le sein de Sister Hyde. La chevelure, autre signe annonciateur de la transformation, génère également quelques plans étonnants lorsqu’elle se déroule subitement pour masquer le visage du docteur, puis révéler celui de son « autre ».
Plus humoristiques – et donc plus Camp – sont les scènes où Jekyll adopte machinalement le comportement de Sister Hyde : s’habillant pour une soirée, il sort spontanément une robe de sa penderie, puis fond en larmes, horrifié par son geste. Un peu plus tôt, quittant un magasin de corsets (!), il rencontre le voisin que Sister Hyde convoite, et veut lui effleurer amoureusement la joue, à la grande stupéfaction du jeune homme ! Nous sommes ici très loin de Frankenstein créa la femme, où Fisher, dans son traitement de la transsexualité, ne s’autorisait ni de telles audaces visuelles, ni de telles équivoques.

Le Docteur Jekyll (Ralh BATES) est amoureux...

... d'un étonnant sosie de Nicolas SARKOZY (Lewis FIANDER)

... qui veut pas qu'on le touche !

De plus – et contrairement à la très provinciale Christina du film de Fisher –, Sister Hyde est d’une féminité ravageuse, très vamp et très Camp (il faut la voir se confectionner en un tournemain une robe splendide avec un double rideau). Sa volonté est à ce point supérieure à celle de Jekyll (ou le désir d’être femme est si fort chez ce dernier) qu’elle suscitera sa chute – au sens propre – dans un finale éblouissant. Jekyll, cherchant à échapper à la police, se sauve par les toits, perd pied, et se retrouve accroché à une gouttière, à plusieurs mètres d’altitude. Il voit alors ses mains devenir celles de Sister Hyde qui, trop faibles, l’obligent à lâcher prise. Mort involontaire due à la métamorphose ? ou suicide engendré par la mauvaise conscience d’un homme qui préfère se supprimer plutôt que d’assumer sa « déviance » ?...
Lorsque les policiers se penchent sur sa dépouille, elle présente un visage androgyne à l’expression torturée, masque d’une cruelle indécision.

Le double visage du Docteur Jekyll

Au cours des cinq années suivantes, la Hammer poursuivra ses tentatives d’accommodation du gothique aux goûts du jour, et fera quelques rares incursions dans une épouvante plus contemporaine (la plus réussie étant sa dernière production, Une Fille pour le Diable, To the Devil, a Daughter, Peter SYKES, 1976), sans retrouver les faveurs du public. Une nouvelle vague de productions horrifiques indépendantes commençait de s’imposer, où de jeunes cinéastes émancipés de la tradition se signalaient par un style et des thématiques plus contestataires. Norman J. WARREN, Peter COLLINSON, Michael REEVES, Robert FUEST, et surtout Pete WALKER, en furent les plus populaires représentants. Mais ceci est une autre histoire...

Docteur Jekyll en trans (Lewis FIANDER et Martine BESWICK)


BONUS :

La bande annonce des HORREURS DE FRANKENSTEIN sur YouTube
La bande annonce de DOCTEUR JEKYLL ET SISTER HYDE sur YouTube