mardi 7 avril 2009

THE NIGHT DIGGER (1971)


Très agréable redécouverte que celle de ce thriller psychologique anglais datant de 1971, et totalement oublié (je l'avais vu pour la première fois il y a une dizaine d'années). Inédit en France, il est parfois diffusé au cœur de la nuit sur TCM, mais il convient d'être particulièrement vigilant si vous voulez le choper -- voire extralucide, car il n'est pas toujours inscrit sur la grille des programmes de la chaîne.


Maura Prince (Patricia NEAL) vit avec sa mère aveugle (Pamela BROWN) dans une vaste demeure délabrée. Victime d'une attaque cérébrale dans sa jeunesse, Maura s'occupe d'adolescents ayant subi le même traumatisme, et tente de les rééduquer. Du moins, quand sa mère lui laisse assez de temps pour cela -- ce qui est rare. "Mother" est en effet particulièrement demandeuse en matière d'attention et de soins, et ne concède à sa fille qu'un minimum de liberté.
Jusqu'au jour où un jeune homme vient postuler à un emploi de jardinier, et parvient à arracher le consentement de la mère, par la grâce d'un hasard sans doute soigneusement calculé : il prétend être originaire de la même région qu'elle, et pourquoi pas apparenté ?
D'abord hostile à sa présence dans la maison, Maura finit par succomber au charme de Billy (Nicholas CLAY), en dépit de ses bizarreries de comportement. Chaque nuit, il enfourche sa moto pour de mystérieuses randonnées, dont ni Maura ni sa mère n'ont aucune idée, mais que le spectateur du film sait très vite meurtrières. Billy aime à séduire des jeunes femmes qu'il attache ensuite sur leur lit pour s'adonner à des jeux rien moins qu'innocents...

"Mother" finit par enrager de voir sa fille sympathiser d'un peu trop près avec son protégé. D'autant que Maura, suite à cette idylle tardive, commence à s'émanciper gaillardement...

Je m'attendais à un film dans la grande lignée des thrillers gériatriques, initiée par Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (un sous-genre que j'affectionne particulièrement, en bon cinéphile gay qui se respecte...)
Tout laissait supposer que ce Night Digger en relevait : une vieille dame et sa fille d'âge mûr dans une vénérable demeure gothique, des crimes, des conflits familiaux...
Que nenni !... The Night Digger ne relève, à vrai dire, d'aucun genre précis. Il anticipe le slasher (les meurtres commis par Billy -- qui nous valent une scène assez glauque), flirte avec le drame psychologique (l'éveil sexuel de la célibataire endurcie, et les conflits familiaux qui en découlent), s'adonne au néo-gothique (la demeure usherienne décrépite), mais ne s'inscrit résolument dans aucune catégorie. C'est d'ailleurs ce qui fait son attrait, à mes yeux.
Un bel exemple de film inclassable, partagé entre une esthétique et une morale réactionnaires typiquement british, et leur contestation. Beaucoup de films de ce type furent réalisés en Angleterre au cours des années 70, des œuvres a priori bâtardes, mais qui étaient surtout lucides, dans leur renoncement à l'attirail fantastique traditionnel et leur refus des codes (dans cette catégorie, le cinéaste le plus représentatif -- et véritablement génial -- est sans doute Peter WALKER.)
Le scénario, adapté d'un roman de Joy COWLEY, est signé Roald DAHL, célèbre auteur de contes pervers pour enfants affranchis (Charlie et la chocolaterie, entre des dizaines d'autres), et de nouvelles fantastico-humoristiques d'une noirceur profonde (voir leur adaptation télévisuelle dans la série Bizarre, Bizarre).
DAHL était l'époux de Patricia NEAL à l'époque, ce qui explique sans doute qu'elle tienne ici le rôle principal -- sa carrière marquait sérieusement le pas dans les années 70. Elle y effectue une performance étonnante d'équilibre et d'authenticité, qui n'est pas sans évoquer celles de Charlotte RAMPLING chez François OZON (je pense particulièrement ici à The Swimming Pool, 2003).


Patricia NEAL

Beaucoup moins connue, Pamela BROWN surprend dans le rôle de la matriarche castratrice. Elle n'avait que neuf ans de plus que NEAL, ce qui crée un certain déséquilibre. Son jeu tout en retenue, presque en "gentillesse", n'aide guère à nous convaincre du caractère redoutable de son personnage. Il se dégage pourtant, à la longue, un trouble insidieux de cette frêle silhouette au visage enfantin, et l'on finit par éprouver un malaise tenace devant cette (relativement) vieille dame à la méchanceté larvée et rampante. Notons que Pamela BROWN finit ses jours dans une maison de retraite pour artistes impécunieux, où elle voisina avec le cinéaste Michael POWELL -- lui aussi déchard après l'échec critique et commercial de son insoutenable chef-d'œuvre Le Voyeur (Peeping Tom, 1960). Il déclara, à propos de la comédienne : "C'était une sorcière. Les femmes l'adoraient, les hommes la craignaient, et, pour la même raison - elle les fascinait."


Pamela BROWN

Nicholas CLAY (le Lancelot du Excalibur de John BOORMAN, 1981) tient son emploi de serial-killer angélique et embobineur avec un charme veule qui aurait pu en faire - l'élégance aristocratique en moins - l'équivalent d'un Terence STAMP. CLAY mourut prématurément en 2000, et demeure l'un des plus énigmatiques jeunes premiers du cinéma anglais des seventies.


Nicholas CLAY

La musique est de Bernard HERRMANN, compositeur-fétiche d'HITCHCOCK, Grand Maître de la Bande Originale (de moins en moins originale au fil des années, puisque le bougre avait tendance à replaquer des accords ayant fait leur preuve dans chaque thriller qu'il illustrait musicalement...) Avouons que sa partition s'accorde assez mal au climat du film -- il y répète une routine certes brillante, mais un peu redondante.
Notons que le metteur en scène Alastair REID porta à l'écran, bien des années plus tard (en 1993, pour être exact), le classique et best-seller de la littérature gay, Les Chroniques de San Francisco de Armistead MAUPIN... Pas vraiment étonnant, vu la très forte coloration queer de ce Night Digger...
Pour conclure, signalons que ce film est très nettement inspiré par Night Must Fall, remarquable pièce de théâtre écrite par le comédien et dramaturge gay Emlyn WILLIAMS, qui fut portée par deux fois à l'écran, en 1937 par Richard THORPE, et en 1964 par Karel REISZ.
Dans la pièce comme dans les deux films, un jeune et sémillant tueur en série abuse de la confiance d'une vieille dame et séduit la nièce de celle-ci, dans l'intention de dérober leur pactole.
On peut légitimement considérer The Night Digger comme un remake inavoué de ces trois chefs-d'oeuvre (pièce et films)... bien oubliés, eux aussi...


Nicholas CLAY et ses jeux pervers
(en slip sur cette photo publicitaire, alors que dans le film, il est à poil !...)


Les deux adaptations de NIGHT MUST FALL,
monuments INDISPENSABLES du cinéma queer :

Night must fall (1937) de Richard THORPE


Night must fall (1964) de Karel REISZ