jeudi 16 décembre 2010

JEAN, AU FILM DE LA PLUME


Jean ROLLIN n'est pas mort. La mort est un concept auquel il n'adhéra jamais. Tout au plus, l'on disparaît. L'on disparaît pour s'immerger enfin dans notre imaginaire, tissé de souvenirs recomposés...
Votre imaginaire est médiocre, trivial, anémié ? Bienvenue en Enfer !... Vous n'avez jamais su rêver, ni n'avez tenté de lutter contre la sclérose du réel ? Le Purgatoire sera votre lot... Vous êtes riche d'un univers onirique et créatif ouvert à tous les impossibles ? Il n'est pas d'autre Paradis ; vous vous l'êtes forgé, pénétrez-y sans crainte...
Telle était sa philosophie, sa conception de l'issue dite "fatale", qui ne l'est qu'aux esprits rabougris, stériles, terre à terre. Aux âmes pleutres. L'homme est la somme de ses fictions, et c'est en elles qu'il s'absorbe, au terme de son parcours terrestre.
"Ce sont les morts qui rêvent des vivants, pas l'inverse." Aujourd'hui plus que jamais, je me sens un rêve de Jean.




Jean ROLLIN a disparu, s'est éclipsé comme le cinéaste Michel Jean, héros inaccessible de son avant-dernier film, La Nuit des horloges. La nouvelle ne m'a pas surpris. Depuis plusieurs semaines, ses amis le savaient hospitalisé, et au plus mal. Depuis une quinzaine d'années, la maladie ne lui laissait guère de répit, sans pour autant altérer sa puissance créatrice, son irrépressible besoin de donner corps, encre et pellicule, à l'univers qu'il portait. Farouche adversaire de l'informatique, il s'offrit un ordinateur portable afin de pouvoir écrire sur son lit d'hôpital, durant ses interminables séances de dialyse. Il dirigea une partie des Deux orphelines vampires depuis une civière, entre deux séjours à l'hosto. Sa santé s'était vaguement améliorée au cours des années 2000, sans jamais retrouver le beau fixe, mais assez pour lui permettre de participer aux hommages qui lui étaient rendus à l'étranger, et, bien tardivement, en France. Assez pour qu'il puisse enrichir sa production littéraire de dizaines de textes, romans et nouvelles, et pour qu'il réalise deux films, sans aide financière notable, sans soutien critique, presque à l'arraché, à la sueur de sa foi...



Cet homme dont l'œuvre a transfiguré (le mot n'est pas trop fort) et nourri mon adolescence, dont l'amitié fut l'une de mes plus grandes fiertés, dont le soutien m'a permis d'accéder au rêve (bien fallacieux) de tout aspirant écrivain : être édité ; cet homme d'une fidélité exigeante à ses passions, ses convictions, et ses amitiés, restera l'un des êtres à la fois les plus singuliers et les plus "évidents" qu'il m'ait été donné de côtoyer.
Je veux lui rendre hommage aujourd'hui, de la façon la plus simple et spontanée possible -- la seule dont je me sente capable à cette heure -- : en notant quelques souvenirs par bribes, en paragraphes épars, sans souci de littérature. Et en observant, pour une fois, l'un des principes qui lui étaient chers et auquel je n'ai jamais su m'astreindre : se fier au premier jet, ne pas trop se relire, ne pas s'autoriser de "repentirs".


Février 1985 : Fan inconditionnel du cinéma de Jean ROLLIN, que j'ai découvert grâce à la vidéo (quelques cassettes poussiéreuses dénichées dans l'arrière-boutique d'un vidéo-club de Somain), je discute de ses films avec le libraire et critique de cinéma Norbert MOUTIER. Ce dernier s'étonne de ma connaissance d'un cinéaste dont on ne parle plus guère dans la presse, sinon pour railler ses travaux. "Je le connais, me dit MOUTIER, nous sommes amis. Je peux vous donner son adresse." Je dois quitter Paris dans la soirée, mais je n'imagine pas de le faire sans avoir essayé de rencontrer cet homme dont les films me hantent depuis deux ans. La tentation est trop forte. Une heure plus tard, je sonne à sa porte, en me disant qu'il est bien incorrect de me pointer sans crier gare, et que je n'aurai pas volé de me faire rabrouer !... La porte s'ouvre, et le maître des lieux apparaît, plus grand que je ne l'imaginais, plus souriant que je n'osais l'espérer.
Comment me suis-je présenté à lui ?... Comme "un admirateur qui passait dans le quartier" ? Je ne m'en souviens plus, mais je n'oublierai jamais, en revanche, l'affabilité de son accueil, sa générosité et son étonnement. "A votre âge ?... Vous connaissez mes films ?... Vous avez entendu parler de moi ?... C'est tellement vieux, tout ça !... Je ne tourne plus désormais... J'écris... Tenez, voilà mon premier livre..." Il m'offre un exemplaire de son premier roman, Une Petite fille magique. Nous discutons une heure durant... de ses films, du fantastique, de littérature. Il pousse la gentillesse jusqu'à s'intéresser à mes "activités", mes "projets", mes "rêves d'avenir"... sans se douter qu'il concrétisera le plus cher d'entre eux neuf ans plus tard, et sans avoir conscience qu'il réalise à l'instant l'un de ceux qui me tenaient le plus à cœur : le rencontrer.
Au cours des trois années suivantes, son œuvre fera l'objet d'une redécouverte passionnée en Angleterre et surtout aux Etats-Unis, où il sera le premier des cinéastes européens du fantastique à obtenir le statut "culte".

La dédicace qui m'a fait réaliser aujourd'hui que notre première rencontre datait de 1985, et non 87

FANZINE : "Je veux vous consacrer tout un numéro de fanzine. Avec filmographie détaillée, analyses de vos films, interviews de vous et de vos collaborateurs." Rien de tel n'avait été fait depuis plusieurs années, et Jean s'intéresse au projet. Il m'ouvre ses archives, me fait lire ses premiers scénarios jamais tournés, celui d'un film inachevé (L'Itinéraire marin, co-dialogué par Marguerite DURAS), et un roman non publié. Il me file les coordonnées de ses acteurs, actrices, techniciens, complices de tous ses films. Durant trois ans, je ne quitte plus son univers. Chacun de mes séjours à Paris donne lieu à une rencontre avec l'un des membres de sa fidèle équipe, tous totalement dévoués aux projets de leur ami Jean, prêts à tout quitter à tout moment pour le rejoindre sur un tournage. Et justement, stimulé par la reconnaissance qui lui vient enfin de l'étranger, il se remet à tourner. Un moyen-métrage, Perdues dans New York. Il me fait découvrir le film sur la moviola, en plein montage aux vieux studios Pathé, en présence de Janette KRONEGGER, sa monteuse, qui jubile en assemblant ces bouts de pellicule insolemment oniriques...
Le fanzine ne verra jamais le jour. Il m'est alors impossible d'écrire sur Jean. Je suis trop habité par son univers, je manque du recul nécessaire, mon enthousiasme me garrotte, j'échoue à trouver les mots justes. Piteux, je lui annonce un jour que j'y renonce pour l'heure, qu'il est sans doute trop tôt. "Vous ne m'en voulez pas ?..." "-- Mais non ! Ce n'est pas grave. Rien n'est jamais perdu. Ça deviendra peut-être un livre un jour..."


VOUS : Il m'a fallu neuf ans pour me décider à lui dire "Tu". Cela s'est produit, je crois bien, lorsqu'il a publié mon premier livre. J'étais pourtant conscient que ce "vous" le gênait... J'ai dû faire un terrible effort. Mais ensuite, dans ma tête, je n'ai jamais cessé de le vouvoyer.

Louise d'HOUR

LOUISE D'HOUR : Je ne puis penser à Jean ROLLIN sans aussitôt songer à "sa famille", son équipe de tournage, ses amis, les "Rolliniens". Parmi eux, Louise d'HOUR reste à mes yeux la plus emblématique.
Je veux la rencontrer, je la cherche à Paris, Jean n'a plus son adresse. Durant des mois, j'enquête en vain. Et un jour, Jean me téléphone : "J'ai l'adresse de Louise ! Tu sais quoi ? Elle vit près de chez toi !..." A Douai, où je me rends chaque semaine, à douze kilomètres de la ville où j'habite. Je la contacte sans retard, mais j'apprends par sa mère que Louise est... à Paris, où elle a conservé un studio à Montparnasse. C'est là que nous nous rencontrons une première fois, avant que Douai ne devienne notre lieu de rendez-vous familier. Louise d'HOUR est, dans la vie comme à l'écran, un personnage de Jean ROLLIN. Elle a connu une existence démentielle, fut l'une des grandes figures de Montparnasse dans les années 80. Un peu vampire, un peu sorcière, beaucoup médium, mais moins magicienne que magique. Le Fantastique est son quotidien. Sa vie est tout entière constituée de ces "intersignes" chers à Villiers de L'Isle-Adam.
Nous pénétrons dans la boutique d'un antiquaire douaisien ; la porte est reliée à un piano mécanique qui se met à jouer dès que quelqu'un entre. Je suis sidéré : dans Les Démoniaques de Jean ROLLIN, le personnage interprété par Louise meurt en s'effondrant sur le clavier de son piano, qui achève seul la mélodie qu'elle jouait. Chacune de nos rencontres est marquée par l'une de ces coïncidences rolliniennes. "C'est toujours comme ça, avec moi, me dit-elle. Que veux-tu, faut s'y faire..."


PÈRE LACHAISE : 1999 ou 2000, un jour d'automne : Voilà plusieurs mois, peut-être plus d'un an, que je n'ai pas pris de nouvelles de Jean. J'ai relu les premiers romans du cycle des Orphelines vampires avant de venir à Paris, il me manque, j'aimerais aller le saluer, mais je sais qu'il traverse une période difficile, que sa santé est à nouveau déclinante. Je me rends au cimetière du Père Lachaise, l'un de ses lieux favoris de la capitale, histoire de respirer quelques effluves rolliniennes. Dans une allée écartée, sur les sommets du cimetière, je distingue une silhouette qui me semble familière. Je m'approche et reconnais mon Jean, en arrêt devant un mausolée en ruine. "Tiens ! Tu es là ?... Eh bien ça, par exemple !...", me dit-il en souriant. Je prononce quelques mots sur le hasard qui fait rudement bien les choses, même dans les cimetières. "Surtout dans les cimetières ! me dit-il. Tu vois, ce mausolée, c'était la résidence d'un de mes amis, un type complètement excentrique et à demi clodo, que j'ai fait jouer dans mon premier film, Le Viol du vampire. Il vivait là, dans le caveau, avec un petit réchaud et des chats. Je pensais à lui hier, et j'ai voulu revoir sa maison." Nous cheminons vers les allées principales, et je lui rappelle cette phrase qui m'a toujours ravi, extraite du Frisson des Vampires, concernant les cimetières : "C'est ici que ceux que l'on croit morts pratiquent le culte de la vie ; c'est ici que ceux que l'on croit vivants pratiquent le culte de la mort." Il me regarde en biais et fronce les sourcils : "Tu te trompes ; la vraie phrase est : "C'est ici que ceux qui SE CROIENT vivants pratiquent le culte de la mort." Je l'assure du contraire -- j'ai vu le film 30 fois, j'en connais les dialogues par cœur. Deux jours plus tard, il me téléphone : "J'ai revu le film, et tu avais raison. Mais maintenant, je préfère ma nouvelle version. Si tu dois citer cette phrase, emploie plutôt celle-là que l'originale." Je lui ai obéi dans le livre que je lui ai consacré, où la phrase apparaît. J'informe aujourd'hui les puristes qu'il ne s'agit pas d'une erreur, mais d'une révision...


PETITES FILLES ET PETITS GARÇONS : Jean ROLLIN n'aimait guère les petits garçons. Il ne jurait que par les petites filles. L'un de ses reproches favoris au sujet du dernier de mes romans qu'il publia, était que ses héros étaient deux garçonnets, et non pas deux gamines. "Tu devrais le réécrire en changeant leur sexe. Ce serait bien plus touchant avec des fillettes ! Tel quel, ça n'émeut pas... Pourquoi donc préfères-tu les amitiés entre garçons ?"
Je doute qu'il ait jamais rien su de mon homosexualité. Du moins n'en avons-nous jamais parlé. Il était trop fervent du lesbianisme...


JEAN ROLLIN, CINEASTE ECRIVAIN : La rédaction de ce livre m'apporta l'un de mes plus grands plaisirs d'écriture. Durant six mois, Jean et moi eûmes des échanges plus fréquents que jamais auparavant. Il m'avait demandé de l'écrire pour "qu'au moins, il existe un travail de fond sur mes films en France, que je puisse lire avant ma mort." Pour la première fois, il s'étendit longuement, durant toute cette période, sur sa vie personnelle, son passé, ses souvenirs. Il me parla de Georges BATAILLE, l'amant de sa mère, qui s'occupa beaucoup de lui lorsqu'il était enfant ; de Maurice BLANCHOT, de Jacques PREVERT, qu'il côtoyait régulièrement dans sa jeunesse. Toute ces informations n'entraient pas dans le cadre du livre, qui est une analyse de son œuvre, non une biographie (il écrivit lui-même ses mémoires en 2008, sous le titre "Moteur, coupez ! Mémoires d'un cinéaste singulier", aux édition é-dite) Peu avant que le manuscrit parte chez l'imprimeur, Jean me téléphona : "Je crois bien qu'il manque un chapitre. Tu n'as rien écrit sur le surréalisme ! Quand même ! Il faut ajouter quelque chose là-dessus ! On ne peut pas ignorer ça !..." Le surréalisme, à vrai dire, n'a jamais été mon dada, tel que théorisé, cadastré, dictatorisé par Breton. "Tu sais, Jean, si tu relis attentivement le manuscrit, tu verras qu'il n'est question que de ça. De ton surréalisme à toi, qui est autrement plus stimulant et riche de perspectives que celui des surréalistes attitrés..." Je crus l'entendre se gratter le crâne. "Oui, peut-être qu'on peut voir ça comme ça... Mais quand même ! Magritte ! Ernst ! Tous les peintres ! Dali ! Et Bunuel ! Ce sont mes influences ! Il faut toujours citer ses inspirateurs... Je vais t'écrire à ce sujet-là..."
Il m'écrivit. Longuement. Et je bénis mon oubli (ou ma réticence) qui me valut cette lettre de sa main -- qui, si je m'en étais inspiré point par point, aurait doublé le volume de l'ouvrage !

Vous pouvez commander ce livre en m'écrivant à :
bbjane@neuf.fr

DEUX ROSES BLANCHES : 1996, dans les bureaux de l'éditeur Florent Massot. Nous sommes quelques auteurs publiés par Jean ROLLIN qui attendons sa venue avant de nous rendre au Salon du Livre de Paris. Nous avons appris il y a quelques mois qu'il est atteint d'une grave maladie, et nous nous demandons dans quel état il nous apparaîtra. Il arrive, escorté par sa collaboratrice. Le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas bonne mine. Je ne sais pourquoi, nous en venons à parler d'une célèbre photographie montrant deux enfants juifs, frère et sœur je crois, pendus par les nazis et entourés de leurs bourreaux hilares. L'histoire de ces enfants l'obsède. Il dit vouloir écrire une nouvelle à leur sujet, inventer leur histoire, se raconter leur vie et, bien sûr, leurs aventures posthumes et fantomatiques. "Il paraît, nous dit-il, qu'il existe une tombe où ces enfants ne reposent pas, mais que l'on peut fleurir de roses blanches." La conversation dévia, je ne sais comment, sur cette tradition de fleurir les tombes. "Quand je mourrai, dit Jean, ne m'en apportez pas... Ou alors, si... Deux roses blanches, comme pour ces enfants-là... Rien que deux roses blanches..."
Cher Jean, elles seront là...


DERNIÈRE RENCONTRE : Je viens lui apporter la reproduction d'une vieille affiche du théâtre du Grand Guignol, qui servira d'accessoire décoratif dans son prochain film, Le Masque de la Méduse. Nous discutons du tournage autour d'un verre de genièvre, qui lui est interdit mais dont il raffole, et dont, en conséquence, il ne se prive pas. "Ça me fatigue, mais je suis heureux de tourner. On a des maquilleurs qui se débrouillent pas mal avec des bouts de ficelle. Le titre est un hommage à mon ami Alain PETIT et au fanzine qu'il écrivait dans les années 70... Et toi, tu écris en ce moment ? Tu travailles sur quoi ?..." Je lui parle de mon étude sur le cinéma Camp qui m'occupe depuis deux ans ; il ne connait ni le terme ni le concept et me demande de les lui expliquer. "C'est excellent ! Tu crois que mes films sont Camp ?..." Je lui réponds qu'ils peuvent entrer dans la catégorie, par certains aspects mineurs, mais qu'ils en sont globalement éloignés -- à l'exception du Frisson des vampires. "J'aime bien ce film, dit-il. Je trouve qu'il vieillit pas trop mal, et puis Robiolles et Delahaye en font tellement des tonnes !" C'est justement par le jeu de ces deux acteurs que, selon moi, le film s'apparente au Camp. Il me demande ensuite si j'écris un roman, parce que "la fiction, ça c'est important !" Je lui parle d'un livre en mal d'éditeur, dont l'héroïne est son actrice fétiche, Louise d'Hour. "C'est bien ; ça va lui faire plaisir, à Louise... Tu devrais aller la voir, quelquefois..." Après trois heures d'une conversation qui me semble avoir duré trois minutes, il me raccompagne à la porte, en maudissant sa démarche pesante et douloureuse. "Ça fait combien de temps qu'on se connaît, dis-moi ?" "-- Je suis venu ici pour la première fois en 87. Ça fait donc 23 ans..." (Je rajeunissais notre amitié de deux ans, je m'en aperçois aujourd'hui...) "-- Tant que ça !... Tu devais être bien jeune à l'époque ! Et moi, je marchais mieux que ça !..." Nous nous embrassons, il m'accompagne jusqu'à l'ascenseur, et au moment où les portes coulissantes sont sur le point de se refermer, il me fait un petit salut de la main. "A bientôt !", lui dis-je.
Lui, dans un petit rire : "Oui, mais ne tarde pas !..."

jeudi 21 octobre 2010

7 FILMS POUR UN HALLOWEEN QUEER


Comme chaque année, votre BB chérie vous propose sa sélection de films idéaux pour une semaine d'Halloween
très gay-frightly...



HOUSE OF WAX (L'Homme au masque de cire, André DE TOTH, 1953)



Ni plus ni moins que le film qui suscita ma passion pour le cinéma fantastique et ma fascination pour Vincent PRICE. Comme vous l'avez tous vu, je ne vous dirai pas qu'il raconte comment un émule d'Alfred GREVIN, devenu fou après l'incendie de son musée, en recrée un tout neuf à partir de cadavres dérobés à la morgue du coin, qu'il recouvre de cire (les cadavres, pas la morgue). Remake d'un classique de 1933, House of Wax fut tourné en 3 Dimensions (selon le processus des images anaglyphiques) par un cinéaste borgne qui ne put jamais profiter des effets de relief, puisque, comme chacun sait, les borgnes, ça voit tout en plat. Vincent PRICE y peaufine le personnage d'esthète névropathe qu'il promena à l'écran tout au long de sa carrière dans l'épouvante. Quand il ne parle pas amoureusement à ses statues, il poursuit Phyllis KIRK dans les rues brumeuses d'un New York ressemblant à s'y méprendre à Whitechapel, ou apprend à Frank LOVEJOY comment sculpter une grimace d'agonie sur le visage d'un supplicié. Quand sa future victime lui martèle la tronche à coups de poings, sa face tombe en morceaux, révélant le terrifiant maquillage de grand brûlé réalisé par George BAU (et non son frère Gordon, comme le prétend le générique). Son assistant, répondant au nom férocement inventif d'Igor, est joué par un Charles BUCHINSKI pas encore pseudonymisé en Charles BRONSON.



Vincent PRICE maquillé par George BAU

Comme l'écrivait F.A. LEVY dans un brillant article de « Starfix » n°2 : « Le film pose, avec certes l'ironie macabre de rigueur dans un film d'épouvante, la question même de la création artistique, et annonce, bien en avance, le débat qui ne manque pas de se poser aujourd'hui à propos des films de gore. Jusqu'où l'art doit-il et peut-il imiter la réalité, particulièrement lorsque celle-ci est repoussante ? » La scénario se tape également le luxe d'une réflexion sur le jeu des apparences et les ambiguïtés du réel : les personnages de cire cachent des corps de chair, les êtres de chair passent pour des statues de cire. Pour débuter dans la cinéphilie fantastique, avouez que j'aurais pu tomber plus mal... Notons que le film fit l'objet d'un excellent plagiat treize ans plus tard, dont il est question ci-dessous. En revanche, le très bon House of Wax de Jaume COLLET-SERA n'a pratiquement rien à voir avec le film de De TOTH, hormis un titre original similaire. Là encore, méfions-nous des apparences...

La bande-annonce (où l'on ne voit pas une seule image du film, mais où l'on peut entendre une partition composée tout exprès par Max STEINER) : c'est ici.
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CHAMBER OF HORRORS (La Chambre des horreurs, Hy AVERBACK, 1966)



Le film s'ouvre par cet avertissement solennel :
« Mesdames et messieurs, le film que vous allez voir aujourd'hui contient des scènes si terrifiantes, qu'un avertissement sérieux doit être donné au public. A cet effet, il a été établi un signal visuel et auditif au départ des quatre scènes d'horreur, aussi terribles qu'impressionnantes. Un éclair rouge sera pour vous le signal visuel. Et le bruit d'un klaxon, le signal auditif. Fermez les yeux en voyant l'éclair rouge ! Détournez-vous en entendant le bruit du klaxon ! »
En 1966, ce bon vieux gimmick à la William CASTLE devait faire son effet sur les petits n'enfants et accentuer l'impact de séquences plus elliptiques qu'horrifiques. Aujourd'hui (et depuis pas mal de lustres), il est surtout désopilant, mais n'entame en rien la beauté de cette bande extravagante. A la fin du XIXème siècle, Jason Cravette, un gentleman dépravé, est arrêté pour avoir voulu épouser le cadavre de sa fiancée, étranglée par ses soins. Condamné à perpét, il parvient à s'évader du train qui le mène en prison, en sectionnant sa main droite menottée à la roue de freinage d'un wagon. Peu de temps après, il réapparaît sous une nouvelle identité, bien décidé à se venger de ceux qui l'ont condamné. Son arme : un poignet-prothèse sur lequel il adapte une panoplie de coutelas, hachoirs, crochets, et autres objets tranchants. Son surnom : « Le Boucher de Baltimore » ! (avouez que ça vous en colle plein l'imaginaire, autant que l'éclair rouge et le bruit du klaxon !)



Patrick O'NEAL

Chamber of Horrors fut conçu par la Warner comme le pilote d'une série télévisée inspirée par House of Wax. Au final, c'est le climat général du film d'André DE TOTH qui est conservé, plutôt que son intrigue et ses personnages. Le trio de criminologues amateurs chargé de résoudre l'affaire dirige un musée de cire consacré à l'histoire du crime. Pas question ici de sculpteur fou trempant ses victimes dans des cuves de cire bouillante. En revanche, le sublime Patrick O'NEAL, dans le rôle du vengeur dément, effectue un numéro éminemment pricéen, retrouvant tous les maniérismes, froncements de sourcils et gestes onctueux du Maître. Cette composition aurait logiquement dû faire de lui une nouvelle icône du cinéma d'épouvante, n'eut été le refus des chaînes de télévision de diffuser cette bande jugée trop extrême (nécrophilie et dépeçages n'étaient guère au goût du jour), qui n'eut finalement droit qu'à une distribution bâclée en salles. Dommage : l'œuvre est visuellement splendide, le sujet traité de façon très grinçante, et les trois enquêteurs (incarnés par Cesare DANOVA, Wilfrid HYDE-WHITE et le nain José René RUIZ) ne manquaient ni d'étoffe, ni d'originalité. Un bijou à redécouvrir d'urgence (disponible en Zone 1).

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SLEEPAWAY CAMP (Massacre au camp d'été, Robert HILTZIK, 1983)



Ce film abyssalement crétin, sublimé en version française par un doublage québécois au pittoresque accentué, constitue un parfait exemple de plaisir (très) coupable. Son résumé peut aisément tenir en 5 mots : « massacre au camp d'été » (ça tombe bien, c'est son titre). Le script, plus ténu qu'un encéphalogramme d'Arielle DOMBASLE, rassemble donc : un été, un camp de campigne pour jeunes campeurs, et le massacre desdits jeunes campeurs. Tout l'intérêt du film réside dans l'identité du tueur. Un peu aussi dans son mode d'action, bucolique et rural, vu le cadre de l'intrigue (pour les alzheimeriens : un camp de campigne estival pour campeurs). Par exemple, à un moment donné, le tueur tue au moyen d'un essaim de guêpes qu'il laisse tomber dans les chiottes où sa victime coule un bronze en toute insouciance. C'est original, c'est frais, et ça ne manque pas de piquant. A un autre moment donné, il (le tueur) profite de son passage en cuisine pour plonger un importun dans une marmite d'eau bouillante. Le spectateur inverti (qui en vaut deux) ne manquera pas de noter avec émotion le goût du réalisateur pour les jeunes garçons qui s'ébattent sans rien sur le râble (avec quand même le minimum acrylique syndical entre cuisses et bas-ventre), et trouvera peut-être la chose suspecte. Il sera confirmé dans ses intuitions par les images finales (« traumatisantes » m'écrivait récemment Valentine DELUXE), d'autant moins attendues que gratuites : le tueur se révèle être un trans (ou une ?... ou un travesti ?... ou un hermaphrodite ?... on ne sait...) Dans un plan fulgurant d'abruptitude (?), nous voyons celle que tout nous désignait comme une gentille jeune vierge effarouchée brandir l'arme de son dernier forfait, nue comme un ver, le zigouigoui ballottant gaiement dans la brise estivale. Je me sens d'autant moins coupable de vendre la mèche que cette révélation est le seul intérêt du métrage, et mérite d'ailleurs d'être connue avant son visionnement pour mieux en apprécier la farfelure (Ségolène, sort de mon corps !) A voir près d'un feu de camp en faisant griller des marshmallows.

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A NIGHTMARE ON ELM STREET PART 2 : FREDDY'S REVENGE (La Revanche de Freddy, Jack SHOLDER, 1985)



Freddy, le croquemitaine-en-chef des années 80, sort ses griffes pour la deuxième fois dans ce film de Jack SHOLDER, non plus pour taillader de la pucelle en chaleur, mais pour lacérer la mauvaise conscience d’un jeune pédé placardisé. Las de squatter les cauchemars de donzelles acnéiques, notre Grand Brûlé préféré tente ici de pénétrer la sphère du réel par l’entremise d’un charmant blondinet, Jesse, dont il s’approprie le corps. Possession surnaturelle ou schizophrénie d’un teenager mal dans son slip kangourou et rêvant de boxers Calvin Klein ? La question reste ouverte, de même que les plaies infligées par Freddy à la brochette de twinks passant à portée de ses lames. On ne peut qu’être sidéré par l’homophilie décomplexée de cet hymne aux pectoraux glabres et aux aisselles moites, où les symboles phalliques pleuvent plus dru que les mecs dans la chanson des Weather Girls. Moins effrayant que le premier opus de la saga, le film nous offre néanmoins deux scènes mémorables : le labourage dorsal du prof d’éducation physique, ligoté sous la douche par une corde à sauter ; le jaillissement de Freddy hors du corps de Jesse, sous l’œil éberlué d’un pote inapte à calmer ses ardeurs. Avec sa horde de bogosses torses nus, ses touffeurs de vestiaires et la chaleur musquée de ses chambres d’ados en pleine poussée de testostérone, La Revanche de Freddy anticipe d’une bonne décennie l’horreur en calbute pratiquée par l’éphèbologue David DeCOTEAU.

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CURSE OF THE QUEERWOLF (Mark PIRRO, 1988)



Avec un titre pareil (La Malédiction du pédé-garou), on sait tout de suite où l'on met les escarpins. Amateurs de lycanthropes ou adversaires des stéréotypes gays, passez votre chemin : ce film n'est résolument pas pour vous. Un indice qui ne trompe pas : le loup-garou vedette des films Universal s'appelait Larry Talbot ; il est ici rebaptisé Larry Smalbut (Petitderge) – c'est tout dire... Ce séducteur invétéré lève un soir une donzelle qui s'avère être un travesti atteint d'homothropie. Mordu aux fesses, il devient queerwolf à son tour dès que la lune est pleine. Mark PIRRO connaît indubitablement ses classiques, et se sent d'autant plus à l'aise pour les saccager gayment. Lors de sa transformation en folle-garou, notre hétéro voit ses poignets plier irrésistiblement tandis que ses ongles s'allongent en virant au carmin, que sa bouche se farde de lipstick, et que son fessier se bombe délicieusement sous son jean. Ses nuits sont hantées de cauchemars où il se fait violer par une bande de bouseux échappés de Delivrance. Pour empêcher sa métamorphose, la voyante de service lui remet une amulette à l'effigie de John WAYNE. La horde de villageois en colère est remplacée par un quarteron d'homophobes qui ne se séparent jamais de leurs torches enflammées, même lorsqu'ils vont bouffer au resto ou téléphoner dans une cabine. Au lieu des traditionnelles balles d'argent, ils sont armés d'un gode du même métal dont ils menacent le postérieur du monstre (« Il faut l'enfoncer dans cet endroit obscur où aucun homme n'est jamais censé être allé », explique l'un des vengeurs). Un exorciste appelé en renfort tente de calmer le possédé en lui balançant, en guise d'images pieuses, des photos de Burt REYNOLDS, de Mr T, et de Clark GABLE. Le vénérable Forrest J. ACKERMAN, éditeur de "Famous Monsters of Filmland", et l'épouvantable Conrad BROOKS, cachetonneur vétéran de la série Z d'épouvante, font des apparitions-éclair au milieu du foutoir. A la fin, le héros se retrouve en taule pour avoir tué la voyante gypsie, et tandis que le générique se déroule, nous l'entendons s'initier aux coutumes de ses camarades de cellule. Comme le remarquait un commentateur de l'imdb : nous sommes ici dans du cinéma de « derrière-garde ». Qui délire sec, et sans vaseline.

L'hilarante scène de transformation.
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CLOWNHOUSE (Victor SALVA, 1988)



Premier long-métrage de Victor SALVA (après son court Something in the Basement en 1986, et bien avant sa reconnaissance internationale avec Jeepers Creepers), Clownhouse fut le premier film d'horreur à être projeté au prestigieux festival du cinéma (pseudo) indépendant de Sundance. Pas mal pour un slasher tardif lorgnant férocement sur le Halloween de John CARPENTER, mais substituant un trio de lunatiques en cavale et grimés en clowns au tueur solitaire et masqué de blanc du modèle. Autre substitution : les victimes ne sont pas d'accortes pétasses aux panties accueillants, mais trois frérots chamailleurs en pleine crise d'adolescence. C'est suite au tournage de ce film que le père SALVA fut condamné à trois ans de taule (il purgea 15 mois) pour rapports oraux avec un mineur – le dodu Nathan FORREST WINTERS, alors âgé de douze ans. On pourrait s'abstenir de rappeler le fait à chaque évocation du film, si ce dernier ne trahissait de façon aussi transparente les obsessions de son auteur. Fréquents décrochages de la caméra vers le slip du cadet des frangins (qui apparaît aussi cul nu), fétichisme uro, ados dessapés fuyant la menace d'adultes concupiscents : Clownhouse a tout de la confession angoissée, et parle à son cœur défendant de peurs bien moins conventionnelles et balisées que celles revendiquées par le scénario. La hantise du jeune Casey pour les clowns fait écho à celle du cinéaste pour ses propres démons, et, significativement, c'est en s'identifiant à son enfant-victime que Salva nous (et se) révèle combien pédophilie rime avec nostalgie d'un état d'enfance impossible à étreindre. Moins efficace et maîtrisé que ne le prétend sa réputation, Clownhouse distille néanmoins une savoureuse atmosphère nocturne et automnale (l'action se déroule quinze jours après Halloween, que les gosses tentent de faire perdurer en laissant un faux pendu se balancer à l'arbre du jardin), en particulier lors de son générique, superbe.

Visible en intégralité sur YouTube (mais qualité médiocre...)
Téléchargeable ici (V.F.)

TRICK 'R TREAT (Michael DOUGHERTY, 2007)



Le nec plus ultra du Halloween flick. Sa structure évoque la tradition du film à sketchs, à ceci près que les cinq histoires effroyables qui nous sont racontées (plus une lors d'un flash-back glaçant) s'imbriquent plus ou moins par un habile effet gigogne. Dans une petite ville en proie à la frénésie d'Halloween (c'est peut-être la première fois que l'événement est filmé comme une telle fiesta, un peu à la façon de la Fête des Morts mexicaine), un tueur d'enfants commet son ultime forfait, un vampire profite de la bamboula générale pour agresser ses victimes au grand jour (pardon : « au grand nocturne »), un cercle de louves-garous s'offre une garden party sanglante, un groupe de gamins s'amuse à réveiller les spectres d'un affreux accident, et un vieil alcoolo mal luné reçoit la visite d'un enfant-citrouille trop porté sur les friandises. Scénariste et réalisateur, Michael DOUGHERTY fait montre d'un sens sidérant des « ambiances atmosphériques », sans jamais sacrifier le rythme pour autant (la bande ne dure que 80 minutes, trépidantes de bout en bout). Pour ne rien gâter, il n'hésite pas à se montrer politiquement très incorrect (le meurtre du mioche vaut son pesant d'humour saumâtre) et inventivement roublard (l'élimination du vampire). L'amour du genre et l'ivresse de filmer éclatent au détour de chaque séquence, et deux grands comédiens nous livrent des prestations de haute volée, en prenant manifestement un panard colossal : Dylan BAKER en assassin pédophobe compulsif et BCBG, Brian COX en cousin biberonneur et débraillé d'Ebenezer Scrooge. A la fois insolent et classe : de l'horreur haut de gamme.

La bande annonce : c'est ici.
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samedi 21 août 2010

LE DIPTYQUE CULTE DE JIM SHARMAN



THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW (Jim SHARMAN, 1975)

Scén : Jim SHARMAN, Richard O'BRIEN - Photo : Peter SUSCHITSKY - Mus: Richard O'BRIEN - Mont : Graeme CLIFFORD - Cost : Sue BLANE Avec : Tim CURRY, Barry BOSTWICK, Susan SARANDON, Richard O'BRIEN, Patricia QUINN, Charles GRAY...

Film culte par excellence, The Rocky Horror Picture Show généra un phénomène atypique et rarement signalé : il est l'un des seuls films conçus majoritairement par des gays et dans une optique gay, à s'être acquis le statut culte au sein d'une autre communauté : celle des fantasticophiles – souvent réfractaires aux thématiques homosexuelles ostensibles. Ironie de la chose : les fans de fantastique et de science-fiction qui le vénèrent pour ses multiples références à leurs genres favoris, font assez peu de cas -- lorsqu'ils ne l'ignorent pas totalement -- du plaidoyer bisexuel, voire transsexuel, que le film développe avec une ferveur tonitruante ! A croire que l'imagerie Camp est ici d'une telle exubérance qu'elle atteint à une sorte d'abstraction, dans laquelle se dissout le message sexuel et politique du film.
Le rituel des séances nocturnes où les fans se rendent déguisés en leurs personnages préférés est scrupuleusement observé pour Rocky Horror (en France, le Studio Galande le perpétue depuis plus de trente ans), contrairement à la majorité des autres cult movies. Ainsi des spectateurs hétéros enfilent-ils sans rechigner le bustier, les bas résilles et les chaussures à hauts talons de Frank-N-Furter, le Gentil Travesti de Transsexuel, en Transylvanie, assouvissant le vieux goût masculin du travestissement « pour de rire ».
La comédie musicale de Richard O'BRIEN ayant été l'un des grands succès de la scène londonienne en 1973, les producteurs Lou ADLER et Michael WHITE de la Twentieth Century Fox croyaient jouer sur du velours en la portant à l'écran. Contre tout espoir, les entrées s'avérèrent insatisfaisantes, et il fallut plusieurs années et l'élaboration de son statut « culte » pour que le film engrange des bénéfices. Le public théâtral était sans doute mieux disposé que les cinéphiles envers cette histoire extravagante où l'outrance domine de bout en bout. Les représentations mimétiques ayant lieu dans la salle durant les projections semblent confirmer combien l'œuvre est étroitement liée au domaine scénique : devenue spectacle filmé, elle engendre à son tour du spectacle vivant.





L'intrigue, entrecoupée de numéros musicaux, nous est racontée par un criminologue (Charles GRAY), depuis son luxueux bureau. Brad Majors et Janet Weiss (Barry BOSTWICK et Susan SARANDON) vont annoncer leur union prochaine à leur professeur de science, Everett V. Scott (Jonathan ADAMS), dans la classe de qui ils se rencontrèrent. Un pneu de leur voiture éclate en chemin, et le couple se réfugie dans le château de Frank-N-Furter (Tim CURRY), un émule de Frankenstein doublé d'une flamboyante drag queen. La demeure est peuplée par une foule d'excentriques que Furter a conviés pour assister à la « naissance » de sa créature, Rocky (Peter HINWOOD), un musculeux éphèbe en slip doré, destiné à lui servir d'objet sexuel. Au cours de la nuit, Furter force le lit de Janet en se faisant passer pour Brad, puis celui de Brad en se faisant passer pour Janet, initiant l'une à l'infidélité et l'autre à l'homosexualité. Pendant ce temps, le domestique Riff Raff (Richard O'BRIEN) malmène Rocky, qui rompt ses chaînes et se réfugie dans le laboratoire. Survient alors le professeur Scott, à la recherche de son neveu Eddie (Meat Loaf), un ancien amant de Furter, qui l'a cryogénisé. A l'issue de multiples péripéties, nous apprenons que les habitants du château sont des extra-terrestres dont Furter est le chef. Accusé d'avoir échoué dans sa mission sur Terre en raison de son style de vie dissolu, celui-ci est tué par Riff-Raff, de même que Rocky. Brad, Janet, et le professeur Scott parviennent à s'enfuir avant que le château -- qui dissimile un vaisseau spatial -- ne décolle pour regagner la planète Transsexuel, dans la galaxie de Transylvanie.





Le film est dominé par la personnalité extravertie et charismatique de Frank-N-Furter, apôtre de l'amour libre sans distinction de sexe, à la libido exacerbée. Le crédo énoncé dans l'une de ses chansons, « Don't dream it, be it » (« Ne le rêve pas, sois-le »), eut un profond impact sur le public gay qui put y voir une incitation au coming out et à la revendication de sa différence. Pour les cinéphiles en général (et les fantasticophiles en particulier, souvent mis au ban de la cinéphilie officielle, et stimulés par le caractère ultra-référentiel du film), cette profession de foi constitue également un encouragement à vivre leur passion et à l'exprimer au grand jour. Le lien opéré par le film entre gays et amateurs de fantastique est transparent, et corroboré par la popularité de cette chanson auprès des uns comme des autres.
Défi vivant à la pudibonderie comme aux règles culturelles et sociales, Frank-N-Furter devint naturellement le champion des deux causes, icône gay et symbole d'une cinéphilie déviante. Quelques commentateurs ont néanmoins pointé certaines ambiguïtés du personnage ; ainsi Gaylyn STUDLAR estime-t-elle qu'il « récupère les promesses révolutionnaires de l'hédonisme homosexuel à travers les politiques sexuelles d'agression masculine ». (cf. Midnight S/excess, cult configuration of feminity and the perverse, in "In the Eye of the Beholder : critical perspectives in popular films and television", 1997, Popular Press) « En dépit de son accoutrement féminin et de ses manières extravagantes, Frank reste une figure de travesti à laquelle les mâles peuvent s'identifier sans danger. "Maître" dans son château, Frank affirme sa masculinité par la séduction et la destruction. Quand ses serviteurs lui désobéissent, il sort un fouet. Quand son ancien amant, Eddie, jaillit en hurlant d'une immense chambre froide, Frank l'accommode en repas. » De même ses rapports avec Brad et Janet, qu'il séduit tour à tour, sont-ils marqués, selon notre auteure, par une attitude dominatrice qui permet à Furter d'échapper au danger que la transformation de genre recèle aux yeux de la société, à savoir le risque que « la pluralité de la perversion puisse rendre le mâle passif, non phallique, et vraiment "féminisé" ». En d'autres termes, Frank-N-Furter, sous ses dehors de grande folle, serait un modèle de machisme, ce qui peut expliquer l'adoubement de ce film de tonalité gay par un public a priori réservé envers des œuvres ainsi connotées.



Frank-N-Furter (Tim CURRY)

Phallocrate ou non, Frank-N-Furter n'en est pas moins un parangon de Camp, jusque dans l'expression de sa masculinité. Il arbore fièrement son tatouage, aime faire saillir ses biceps autant que bomber sa croupe, exerce son autorité avec le même plaisir qu'il s'abandonne aux bras de sa créature. Chez lui, tout n'est que jeu, exhibition et artifice, notions prévalentes dans sa façon de régenter son entourage. Chacun de ses actes exprime un goût immodéré de la mise en scène : sa première apparition dans une cape noire draculéenne est digne d'une rock star ; il orchestre la création de Rocky comme un show devant l'assemblée des Transylvains ; il s'inspire de Shakespeare en faisant manger Eddie par ses convives à leur insu, comme dans le repas cannibale de « Titus Andronicus » ; enfin, ayant momentanément changé ses adversaires en statues, il règle soigneusement le numéro musical qu'il leur fera exécuter en travestis sur la scène de théâtre du château. Comme le docteur Phibes et Edward Lionheart, les esthètes queers et justiciers incarnés par Vincent PRICE au début de la décennie, Frank-N-Furter fait de sa vie un spectacle permanent, s'inscrivant ainsi dans une longue lignée de héros décadents dont l'esprit et les sens ne sauraient se satisfaire d'un quotidien par trop émoussé.


Frank-N-Furter (Tim CURRY) et sa créature, Rocky (Peter HINWOOD)

Le couple ingénu et propret formé par Brad et Janet, concentré de niaiserie issu de l'Amérique nixonienne (l'intrigue se déroule durant la nuit qui suit le discours de démission de Nixon), ne personnifie pas seulement l'innocence égarée dans un monde de perversion, mais aussi la confrontation du kitsch au Camp, qui se solde assez rapidement par l'abdication du premier. Le film s'ouvre par une chanson d'amour guillerette et sucrée entonnée par nos jeunes héros, au sortir d'une cérémonie de mariage ; deux personnages (joués par Richard O'BRIEN et Patricia QUINN, que l'on retrouvera plus tard en tant que domestiques de Furter) tiennent lieu de chœur et reproduisent le célèbre tableau de Grant WOOD, « American Gothic ». D'emblée, Brad et Janet sont placés dans la sphère du kitsch, comme Furter sera assimilé au Camp. Son comportement et celui des Transylvains inspireront à Brad une indignation toute verbale, tandis que Janet ne tardera pas, pour sa part, à en goûter la séduction. Leur pétrification et leur travestissement forcé lors du finale consacreront la victoire de Furter sur ces âmes benoites et gourmées. Après sa nuit au château, le couple sémillant des premières séquences se traînera, guenilleux et souillé, sur le sol déserté par le vaisseau spatial. Vision misérable à laquelle font écho les derniers mots du narrateur : « Ils rampent à la surface de la Terre, ces insectes qu'on appelle la race humaine, perdus dans le temps, l'espace et la signification. »





VIDEO :
La bande-annonce :




SHOCK TREATMENT (Jim SHARMAN, 1981)


Scén : Jim SHARMAN, Richard O'BRIEN - Photo : Mike MOLLY - Mus : Richard O'BRIEN, Richard HARTLEY - Mont : Richard BEDFORD - Cost : Sue BLANE Avec : Jessica HARPER, Cliff DE YOUNG, Richard O'BRIEN, Patricia QUINN, Charles GRAY, Nell CAMPBELL, Barry HUMPHRIES...

Six ans plus tard, le culte entourant The Rocky Horror Picture Show étant solidement établi, ses producteurs décidèrent de lui donner une suite. Convaincus que seuls Jim SHARMAN et Richard O'BRIEN (auteur de la comédie musicale originale) pouvaient réactiver l'alchimie du modèle, ils leur confièrent les rênes du projet en leur laissant carte blanche pour l'élaboration du scénario. On peut s'étonner d'une telle démarche : l'échec public initial de Rocky Horror était sans nul doute imputable au tempérament subversif de ses deux auteurs, et sauf de renoncer à cet aspect de leur créativité, ils ne pouvaient qu'accoucher d'un nouvel ovni appelé à faire un nouveau bide.
Le résultat fut Shock Treatment, fausse séquelle n'ayant pas grand-chose à voir avec Rocky Horror, et qui témoigne d'autant d'ambition que d'essoufflement. Aucune continuité n'est établie entre les deux films, sinon par la présence de Brad et Janet, interprétés par d'autres comédiens (Cliff DE YOUNG et Jessica HARPER) ; et bien que quelques acteurs de Rocky Horror se retrouvent au générique de Shock Treatment (Richard O'BRIEN, Patricia QUINN, Charles GRAY), ils y tiennent des rôles différents, qui plus est dans un contexte très éloigné du modèle.


Cosmo McKinley (Richard O'BRIEN) et Janet (Jessica HARPER)

L'action se situe dans la ville de Denton, convertie en un gigantesque studio de télévision où les habitants se répartissent entre spectateurs et protagonistes des émissions. Brad et Janet, désormais mariés et en crise, participent à un talk show à l'issue duquel Brad, déclaré névrosé, est confié aux soins de Cosmo et Nation McKinley (Richard O'BRIEN et Patricia QUINN), dont la clinique psychiatrique est le cadre d'une autre émission très populaire. Tandis que son époux, enfermé dans une cage, est abruti par les tranquillisants, Janet est promue pop star par le patron de la chaîne, Farley Flavors (Cliff DE YOUNG), qui la convoite. Grisée par le succès, elle se laisse happer par le monde factice des médias, mais recouvre finalement ses esprits lorsque la vraie personnalité de Flavors est révélée : il est le frère jumeau de Brad, jaloux de son bonheur conjugal et résolu à le détruire.





Shock Treatment
se veut avant tout une satire de la télévision, de ses gourous et de ses adeptes. En ce sens, on peut créditer SHARMAN et O'BRIEN d'une sagacité visionnaire, puisque leur film annonce d'une bonne dizaine d'années les débordements cathodiques des reality shows et de la Trash TV. De fait, le style de programmes qu'ils décrivent et conspuent nous semble beaucoup moins caricatural aujourd'hui qu'à la sortie du film, dont le surréalisme est devenu notre réalité et perd donc de son impact. Quand Rocky Horror était sous-tendu par un sentiment d'hommage affectueux (à la S.F. et à l'épouvante), Shock Treatment est habité par un esprit de critique sarcastique ; la charge amère et grinçante succède à l'euphorie libératrice, l'humeur est aux grimaces et aux quolibets rageurs, non aux clins d'œil complices. Le personnage de Janet est particulièrement révélateur sur ce point : dans chacun des deux films, la jeune femme connaît un changement de personnalité radical, mais alors qu'il s'agissait dans le premier d'une libération morale et physique, le second montre son ralliement à des valeurs et une éthique avilissantes. Plutôt sympathique dans Rocky Horror, elle est ici franchement déplaisante, comme le sont tous les protagonistes du film, depuis le mégalomane Farley Flavors, magnat du fast food et des médias, jusqu'à Cosmo et Nation McKinley, frère et sœur incestueux, psychiatres d'opérette et acteurs ratés, en passant par Bert Schnick (Barry HUMPHRIES), le présentateur cabotin qui simule la cécité pour faire croire à un miracle lorsqu'il recouvre la vue.


Bert Schnick (Barry HUMPHRIES) et Cosmo McKinley (Richard O'BRIEN)


Mais là où Shock Treatment s'éloigne encore plus radicalement de son prédécesseur, c'est dans sa quasi totale absence de Camp, d'autant plus surprenante que plusieurs facteurs se trouvaient réunis pour qu'il s'épanouisse : l'exploration des coulisses du spectacle, le traitement sous forme de comédie musicale, l'outrance des situations et le jeu sur les apparences. C'est que SHARMAN et O'BRIEN ont renoncé à introduire deux données essentielles au concept : l'ambiguïté des genres, et le sous-texte gay.
Pour ce qui est de l'esthétique, elle est ici partagée entre la froideur aseptisée de la clinique psychiatrique aux murs capitonnés de blanc, et les décors criards mais déshumanisés du plateau de télévision. Seul le personnage de Bert Schnick, présentateur hystérique et efféminé au maquillage clownesque, met une touche de "follitude" dans un ensemble que l'exagération finit par rendre abstrait. A ce titre, il est l'unique équivalent du Frank-N-Furter de Rocky Horror, mais de façon superficielle et idéologiquement divergente, puisque Bert Schnick se veut le chantre des conventions et de la médiocrité. Ajoutons que le rôle est tenu par Barry HUMPHRIES, comédien australien célèbre pour son incarnation de Dame Edna Everage, vieille dame excentrique à l'ego sur-dimensionné, qu'il créa à la fin des années 50 et continue d'interpréter. S'il doit sa popularité à un rôle travesti, HUMPHRIES n'en est pas moins solidement hétéro, alors que Tim CURRY (l'interprète de Frank-N-Furter), qui apparut rarement en drag, reste l'un des « célibataires irréductibles » de Hollywood. La personnalité des deux comédiens influa de toute évidence sur la tonalité de leurs films respectifs : autant The Rocky Horror Picture Show est irrigué de sensibilité gay et Camp, autant Shock Treatment atténue ces aspects.



Nation McKinley (Patricia QUINN) et Bert Schnick (Barry HUMPHRIES)

Une autre source de désappointement tient au manque évident de conviction des transfuges du premier film, particulièrement Richard O'BRIEN et Patricia QUINN, dont les prestations dans leurs numéros musicaux expriment une pesante lassitude. On peut enfin déplorer des emprunts trop marqués à l'autre film culte référentiel des années 70 : Phantom of the Paradise, l'opéra rock de Brian DE PALMA (1974). Il semble que les auteurs jugèrent astucieux de reprendre certains ingrédients du film concurrent pour s'assurer un statut culte, à commencer par sa vedette féminine, Jessica HARPER. Mais l'emprunt ne se borne pas au casting, puisque le scénario reproduit une partie de la trame liée au personnage joué par HARPER chez DE PALMA : dans Shock Treatment comme dans Phantom of the Paradise, elle est une jeune femme anonyme qu'un mentor catapulte au rang de star ; à cette fin, il n'hésite pas à faire incarcérer le prétendant de la demoiselle, puis projette de la supprimer lorsqu'elle ne lui donne plus satisfaction -- le tout se déroulant dans le milieu du showbiz, avec stars capricieuses, complots de coulisses, et public en délire. On avouera que les similitudes ne sont plus d'ordre anecdotique, mais frôlent le démarquage pur et simple...

VIDEO :
Un petit joyau, la chanson "Lullaby" :



vendredi 20 août 2010

DEUX ANS DEMAIN !


Demain, 21 août, FEARS FOR QUEERS fêtera ses deux ans.
Qu'en est-il des belles promesses que je formulais l'an dernier, à l'occasion du premier anniversaire du blog ?... Pas grand-chose, hélas... 20 posts en douze mois, c'est peu...
Les occupations annexes, la poursuite de l'écriture d'un copieux essai sur le cinéma Camp, la création d'un autre blog (Mein Camp) en compagnie de la précieuse Valentine DELUXE, m'ont tenue trop souvent éloignée de FEARS, et je parierai gros qu'il en ira de même d'ici août 2011.
Pour autant, pas question de baisser les bras ni de fermer boutique. En attendant des jours plus aérés -- et la fin de la rédaction de ce fichu essai, qui devrait m'occuper encore pendant une bonne année --, je continuerai de publier ici, bon mois mal mois, quelques chroniques, quitte à en réduire la longueur, et à donner dans la notule si chère au monde des blogueurs (mais que je peine à adopter...)
Pour fêter dignement l'événement, je mettrai en ligne demain une copieuse étude consacrée à deux films emblématiques du "fantastique gay", dont un au moins est connu par cœur, réplique par réplique, par nombre d'entre vous... D'autres surprises sont annoncées et en cours d'élaboration pour les mois à venir, dont deux entretiens avec des amis américains familiers des écrans fantastiques et Camp...
Dans cette attente, je remercie du fond du cœur ceux qui restent fidèles au blog, et dont les encouragements répétés font mon bonheur et, je l'avoue, ma fierté...
Amitiés à tou(te)s !... Et vive la gaypouvante !...



Vincent PRICE, en plein accès de follitude...

vendredi 4 juin 2010

SOMETIMES AUNT MARTHA DOES DREADFUL THINGS (Thomas CASEY, 1971)





FICHE TECHNIQUE :

Réal : Thomas CASEY - Scén : Thomas CASEY - Photo : Edmund GIBSON - Mont : Jerry SIEGEL.
Avec : Abe ZWICK, Scott LAWRENCE (a.k.a. Wayne CRAWFORD), Don CRAIG, Robin HUGHES, Yanka MANN...

L'HISTOIRE :

Deux minables voleurs de bijoux se réfugient à Miami après leur dernier braquage. Paul (Abe ZWICK), le plus âgé, enfile perruque, robes imprimées et bas de contention pour devenir Tante Martha, tandis que son ami Stanley (Wayne CRAWFORD, sous le pseudonyme de Scott LAWRENCE) se fait passer pour son neveu. Irascible et jaloux, Paul/Martha tolère difficilement les frasques de Stanley, qui passe l'essentiel de son temps à se droguer et à courir les filles – bien qu'il soit incapable de les honorer. Toute avance sexuelle féminine le plonge dans l'hystérie, et oblige Tante Martha à intervenir, couteau en main. Le père d'une de leurs victimes parvient à s'immiscer dans le couple, en prétendant être un truand traqué par la police. La situation s'envenimera rapidement, et débouchera sur une conclusion pathétique et sanglante.



L'AVIS DE BBJANE :

Sometimes Aunt Martha Does Dreadful Things – qui rassemble à son générique plusieurs familiers du cinéma d'horreur floridien, comme Brad F. GRINTER, réalisateur des mythiques Flesh Feast (1970) et Blood Freak (1972), ou William KERWIN, l'un des acteurs fétiches de H.G. LEWIS – fut inexplicablement la seule réalisation de Thomas CASEY, de qui l'on ne sait rien.
"Inexplicablement", car ce coup d'essai est une réussite digne des meilleurs auteurs trash et Camp, et justifiait amplement une carrière plus nourrie. Il est clair que les ambitions de CASEY n'étaient pas uniquement mercantiles, contrairement à nombre de ses confrères. Plus qu'un film d'exploitation, Aunt Martha est une appropriation Camp de l'univers et des codes du polar urbain des seventies.




Paul et Stanley sont deux truands ringards organisant des « coups » modestes, comme il en pullulait dans les séries télévisées de l'époque (Les Rues de San Francisco, Mannix, etc...) La différence est qu'ils sont gays, une donnée que CASEY ne juge pas nécessaire de mettre en exergue, mais qu'il présente le plus naturellement du monde ; le comportement quotidien des deux hommes, leurs échanges et leurs prises de becs sont typiques d'un vieux couple – en crise et plutôt mal assorti, certes, mais tout ce qu'il y a de plus banal.



Paul (Abe SWICK) au naturel -- ou presque...

La violence de Paul/Martha est l'exutoire de sa souffrance et de sa frustration face au délabrement de leur relation. S'il assassine les jeunes filles que Stanley ramène à la maison, c'est moins par crainte de l'infidélité de ce dernier (il le sait incapable de leur faire l'amour), que parce qu'elles sont le vecteur du comportement pathologique de son ami, mélange d'attirance compulsive et de rejet phobique des femmes, source de leurs ennuis et cause du déclin de leur couple.
Parallèlement à ces actes criminels (qui ne versent jamais dans le gore), le cinéaste se plaît à multiplier les notations réalistes, et ménage des plages d'intimisme inattendues dans le contexte, comme lorsque Paul confie ses peines de cœur à l'homme qu'il héberge, en éclusant force canettes de bière. Le fait qu'il soit grimé en Martha et parle librement de sentiments homosexuels à un auditeur hétéro (qui ne s'en offusque aucunement), ne suscite aucun effet distanciateur ou humoristique ; au contraire, la scène est traitée avec une ingénuité et un naturel surprenants. Le Camp est réservé aux moments de crise, lorsque les incartades de Stanley font perdre pied à Paul, et le déconnectent de la réalité.


Conversation entre hommes

C'est alors que le film se rattache au mélo gériatrique « à la Baby Jane », à cette différence près que la mégère homicide est ici un drag. Il faut d'ailleurs noter que le spectateur en est immédiatement informé, contrairement à de nombreux films où l'on s'applique à nous faire croire que l'assassin est une femme, jusqu'à la révélation finale de son identité masculine (Psychose d'Alfred HITCHCOCK, 1960, ou Pulsions de Brian De PALMA, 1981). Cette approche frontale et non manipulatrice du sujet n'est pas la moindre des originalités de Aunt Martha, et renforce ses implications queer.


Tante Martha (Abe ZWICK)

Lors du dernier quart d'heure, le rythme s'accélère et la spirale de la violence se resserre inéluctablement, poussant Paul dans l'ultime retranchement de la folie. Contraint d'admettre l'incurabilité des névroses de Stanley (désemparé devant une femme sur le point d'accoucher, celui-ci pratique sur elle une césarienne sauvage), il décide d'immoler leur couple lors d'un finale assez poignant et teinté de sadomasochisme. Pour ce faire, il abandonne l'accoutrement de Tante Martha, et tue Stanley dans un élan de rage désespérée, en déployant une agressivité toute masculine, avant de se supprimer. A l'heure cruciale où l'amour ne peut se perpétuer que dans la mort, le Camp n'a plus droit de cité.

VIDEOS :

Le générique :




Petite scène de ménage entre amis :



BONUS :

Un article sur le site Bleeding Skull
Un article sur le site Trash Film Orgy



Abe ZWICK