mardi 2 février 2010

FLOWERS IN THE ATTIC (Jeffrey BLOOM, 1987)


Flowers in the Attic
est adapté d’un best-seller américain de Viriginia C. ANDREWS (1923-1986), traduit en une dizaine de langues durant les années 80 (en français sous le titre « Fleurs captives ») et initiateur d’une pentalogie consacrée à la famille Dollanganger. Peut-on parler à son propos de roman « culte » ? Rappelons qu’à l’origine, le terme désigne des œuvres qui, ayant essuyé un échec commercial notoire, suscitent l’admiration fanatique d’une poignées d’initiés ; il n’est plus aujourd’hui qu’un simple argument commercial, visant à titiller la fibre consumériste de masses anesthésiées. De nos jours, tout est « culte » : livres, films, séries télévisées, tee shirts, chaussures, bientôt camemberts et capotes. Pourquoi pas un best-seller ?... La dévotion dont ses innombrables lecteurs entourent « Flowers in the Attic » n’est d’ailleurs pas moindre que celle entretenue par certaines chapelles « cultistes » autour d’œuvres obscures et méprisées. Lorsqu’il fut porté à l’écran, la réaction desdits lecteurs ne se fit pas attendre : ils descendirent le film en flammes, jugeant l’adaptation indigne du modèle et infidèle au possible (les commentaires sur l’Imdb reflètent majoritairement cette opinion, même si une réhabilitation du film commence à se faire jour—peut-être est-il en passe de devenir « culte », à son tour ?) Je n’ai pas lu le livre—mais espère combler cette lacune incessamment. Aussi ai-je abordé le film avec l’esprit libre de toute velléité de comparaison—j’en ignorais jusqu’au sujet. Je le considère comme une petite merveille.



Fiche technique :
Réal : Jeffrey BLOOM - Scénario : Jeffrey BLOOM - Musique : Christopher YOUNG - Photo : Frank BYERS, Gil HUBBS
Avec : Louise FLETCHER, Victoria TENANT, Kristy SWANSON, Jeb Stuart ADAMS, Ben Ryan GANGER, Lindsay PARKER, Marshall COLT, Nathan DAVIS.




L’intrigue
:

Après la mort de leur père, Chris, Cathy, et les jumeaux Cory et Carrie, sont emmenés par leur mère, Corinne, chez les parents de cette dernière, qu’elle ne fréquente plus depuis son mariage. Le but de ce séjour est de reconquérir les faveurs de son père grabataire, afin de pouvoir prétendre à son héritage. Pour ce faire, les visiteurs devront se plier aux lois drastiques de la grand-mère Olivia, fanatique religieuse qui exècre ses petits-enfants. Ceux-ci sont aussitôt enfermés dans le grenier, privés de tout contact avec les habitants de la demeure—hormis les visites de la grand-mère, aux heures des repas—, jusqu’à ce que leur mère ait expié ses péchés. Olivia instaure un règne de brimades, de tortures morales et physiques, tant sur les enfants que sur leur mère, qui subit ce traitement avec une inquiétante passivité. Lors de ses rares visites au grenier, elle supplie les enfants de ne pas se rebeller, de crainte qu’elle ne soit à nouveau répudiée. Quand l’un des jumeaux meurt de faim, ses frères et sœurs décident de s’enfuir, et découvrent que, non seulement leur mère est sur le point de se remarier, mais que, complice d’Olivia, elle compte bien se débarrasser d’eux.




Le retour au bercail

Le film :


Flowers in the Attic a de quoi allécher (et satisfaire) au moins trois catégories de spectateurs—qui comptent un grand nombre de gays : 1) les fans de la « hagsploitation » (thrillers mettant en scène des harpies homicides et des bourrelles castratrices), 2) les contempteurs du matrocentrisme, 3) les amateurs de films explorant le monde de l’enfance, ses beautés, ses angoisses et ses turpitudes.

Pour ce qui est de la première catégorie, le film de Jeffrey BLOOM nous gratifie du personnage haut en noirceur d’Olivia Foxworth, la grand-mère sadique et austère interprétée par l’une des « méchantes » les plus cinégéniques des années 70/80 : Louise FLETCHER, qui fut la détestable Nurse Ratched de Vol au-dessus d’un nid de coucou (Milos FORMAN, 1975). Caparaçonnée de noir et trimbalant partout sa Bible, maniant le fouet avec une dextérité redoutable, l’œil reptilien et la bouche fielleuse, Olivia mérite de figurer au panthéon des salopes ménopausées de la « hagsploitation », auprès de Sheila KEITH dans les films de Pete WALKER, ou de Tallulah BANKHEAD en Mrs. Trefoyle dans Fanatic / Die ! Die ! My Darling (Silvio Narizzano, 1965). Les admirateurs de FLETCHER savent qu’ils ne faut pas attendre d’elle une exhibition tapageuse et cabotine ; son registre est celui de la malignité larvée, de la cruauté froide et hautaine, qui la protègent de l’écueil de la caricature, et l’autorisent à maintenir son personnage au seuil de l’humanité. Olivia Foxworth est cinglée, c’est un fait, mais également prisonnière de ses idéaux de pureté morale et domestique. Si cet aspect de sa personnalité n’est pas vraiment exploré par le scénario—peut-être l’est-il davantage dans le roman…—, il est néanmoins perceptible dans le jeu de l’actrice, dont quelques expressions saisies en gros plans trahissent la possible nostalgie de sentiments authentiques, affranchis des dogmes qu’elle s’impose et fait observer à son entourage. Haïssable et charismatique, FLETCHER se montre une fois de plus à la hauteur de l’Oscar qu’elle reçut pour sa composition dans le film de FORMAN. Selon son propre témoignage, elle adopta sur le tournage la même attitude intraitable que son personnage, seule façon, selon elle, d’en transmettre toute la vilenie à l’écran.



Quelques expressions de Louise FLETCHER

Le discours antimatriarcal de Flowers in the Attic s’exprime d’abord par une virulente matrophobie. Les mères ne sont ici qu’engeances oppressives et destructrices. Si Corinne Dollanganger nous apparaît dans un premier temps comme victime d’une éducation rigoriste subie à l’ombre d’un père tout-puissant, nous constatons que sa génitrice constitue une figure encore plus dominatrice, dont la bigoterie fut probablement cause de tous les maux. Tout porte à croire que son retour dans le giron familial est imposé à Corinne par la précarité financière consécutive à la mort de son mari : c’est l’argument qu’elle fournit à ses enfants, en ne cachant pas combien cette décision lui est douloureuse. Mais nous soupçonnons vite ce que cette résignation cache de masochisme, en particulier lors de la scène de flagellation où elle se prête sans broncher au supplice imposé par ses parents—sa mère lui administre dix-sept coups de fouet devant son père alité et mourant, pour la punir de ses dix-sept années de mariage.
Par la suite, nous comprendrons que Corinne, loin d’envisager ce retour au bercail comme une contrainte, souhaite refaire sa vie dans la sécurité bourgeoise que lui garantit le patrimoine familial, et surtout, sans la charge de ses enfants. Plutôt que d’user de l’autorité conférée par son statut de mère, comme le fait Olivia, elle joue sur l’affection filiale pour mieux dominer sa progéniture, qu’elle contraint à une obéissance aveugle en lui faisant croire qu’elle sera la première à pâtir de leur rébellion. Calculatrice, vénale et hypocrite, elle est une figure maternelle encore plus répugnante qu’Olivia, car infiniment plus dissimulatrice.


Le châtiment

Comme Chaque soir à neuf heures (Our Mother’s House, 1967), le chef-d’œuvre de Jack Clayton, Flowers in the Attic décrit les efforts d’une fratrie pour s’organiser une vie nouvelle en l’absence de leurs parents. Ici, les quatre enfants reçoivent les visites ponctuelles de leur grand-mère, qui leur apporte les repas, les assaille de réprimandes et s’assure qu’ils ne cherchent pas à s’enfuir ; mais ils sont livrés à eux-mêmes l’essentiel du temps (trois ans et demi d’enfermement dans le roman, contre une année dans le film). D’abord cloîtrés dans une chambre, il accèdent au grenier qu’ils aménagent de leur mieux en un véritable foyer, dans lequel ils ne tardent pas à rétablir un ersatz de structure familiale. Les aînés assument le rôle de parents auprès de Cory et Carrie, les jeunes jumeaux, avec toute l’ambiguïté que cela induit. La relation incestueuse de Chris et Cathy est, paraît-il, crûment désignée dans le roman d’ANDREWS, ce qui valut au film d’être sévèrement critiqué pour avoir escamoté cet aspect du récit. Il n’est ici que suggéré, mais sans pudibonderie, et même avec suffisamment de transparence pour qu’on ne puisse l’ignorer. Les scènes où Cathy prend son bain sous l’œil de Chris, leurs discussions au sujet de la nouvelle direction qu’ont prise leurs rapports, les injonctions de la grand-mère qui n’ignore pas ce sur quoi peut déboucher l’isolement des deux adolescents, enfin leur statut assumé de père et mère de substitution pour les jumeaux, sont autant d’indicateurs qui ne laissent guère de place au doute. Contrairement à ce que prétendent les admirateurs du roman, le thème de l’inceste est donc bien évoqué, certes sans insistance ni complaisance, mais avec un certain naturel qui, au fond, ne laisse pas d’être plus troublant qu’un traitement démonstratif. Il sous-tend d’ailleurs toute l’intrigue, puisque les enfants sont eux-mêmes issus d’une liaison incestueuse : leur père était l’oncle de leur mère, d’où la répudiation de Corinne par ses parents.
Les rapports d’amour et de sang prennent un tour obsessionnel tout au long du film, et sont magnifiquement exprimés dans la scène où Chris n’hésite pas à s’ouvrir les veines pour nourrir de son sang son petit frère malade de privations—la grand-mère les affame depuis plusieurs jours. Flowers in the Attic n’est pas avare de telles séquences, qui en font l’une des plus dérangeantes explorations cinématographiques du monde de l’enfance.







Quelques informations supplémentaires :

L’acceptation préalable du scénario fut confiée à V.C. ANDREWS, qui rejeta une première adaptation rédigée par Wes CRAVEN (un temps pressenti comme réalisateur), en faveur de celle de Jeffrey BLOOM. Elle mourut avant la sortie du film, dans lequel elle fait néanmoins une fugitive apparition en domestique nettoyant les vitres de la maison—un rôle qui se veut symbolique, ANDREWS estimant que le travail d’un auteur est de maintenir propres les fenêtres d’un roman, afin que le lecteur puisse mieux scruter l’âme des personnages.
Après le succès de « Flowers in the Attic », elle se spécialisa dans les sagas familiales et gothiques en cinq volumes, bâties sur des structures et des thèmes identiques à ceux de son premier succès (incestes, mères abusives, claustration, sévices corporels). Elle est l’une des auteures populaires américaines les plus vénérées dans son pays.

Jeffrey BLOOM semble s’être rendu à l’opinion des lecteurs du roman, et considère son film comme un semi-échec. Il affirme n’être pas responsable du finale (différent de celui du livre), qu’il désapprouva et refusa de réaliser—la scène fut tournée par un assistant.

Un remake est actuellement en projet. Bien que Jeffrey BLOOM n’ait jamais caché son souhait de diriger une éventuelle nouvelle version du roman, la réalisation semble devoir échoir à … Wes CRAVEN (si tant est que le projet aboutisse). Sigourney WEAVER y reprendrait le rôle de la grand-mère Olivia, et Nicole KIDMAN celui de Corinne.

La bande-annonce :



Liens :

Le site de V.C. ANDREWS
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