samedi 19 mars 2011

OCCIDENT (STATROSS LE MAGNIFIQUE II) (2008)

Propos de Jann HALEXANDER publiés sur le site Les Toiles Roses :

« De Dracula à Batman, en passant par Wonder Woman ou Candyman, ces personnages qui jalonnent nos vies, nos paysages culturels, nos esprits ont un point commun : ils sont le fruit de l'Occident. Ils oscillent entre le bien et le mal, la raison et la folie, et quand ce n'est pas le Mal qui les emporte, c'est la Mort. Statross appartient à cette galerie de personnages. En tout cas je le souhaite. Il est l'enfant non voulu de l'Afrique et de l'Europe. Manque d'amour d'une mère, manque d'amour d'un père, manque d'amour tout court. Névrosé métis, se raccroche sans conviction au protestantisme, taciturne, au fil de la trilogie s'enfonce dans la Folie… sa destinée sera funeste. »

FICHE TECHNIQUE :

Réal : Jann HALEXANDER - Scén : Jann HALEXANDER - Caméra : Jean-François BONNENFANT - Avec : Jann HALEXANDER, Philippe R., Ester de PARIS, Serge de La VALETTE.

L'HISTOIRE :

Statross Reichman (Jann HALEXANDER), fils d'une jeune autrichienne issue d'une famille nazie et d'un Noir inconnu, fut élevé par son oncle Adolf, « un homme haïssable, violent, dur, pervers », qui abusa de lui. Des années plus tard, Statross est contraint de vendre le manoir familial. Tout en vivant une relation conflictuelle avec Hans, un jeune homme blanc d'extrême-droite, il tente d'apprivoiser son passé et de retrouver sa mère, qu'il n'a jamais vue depuis sa naissance. Mais une présence malveillante rôde autour de lui, et décime peu à peu son entourage.

L'AVIS DE BBJANE :

Deuxième moyen-métrage de Jann HALEXANDER (après J'aimerais j'aimerais [2007]), Occident est aussi le deuxième opus filmique – et dernier à ce jour – consacré au personnage de Statross, découvert dans Statross le Magnifique (2006), court-métrage érotico-kitsch et queer de Rémi LANGE, sur un scénario d'HALEXANDER.

Des trois films du chanteur-vidéaste, Occident est le seul ouvertement apparenté au fantastique à tonalité horrifique, un genre très apprécié d'HALEXANDER, même s'il ne l'aborde pas ici frontalement et favorise une approche métaphorique ouvrant une possibilité d'interprétation réaliste. On peut ainsi se demander si le spectre de l'oncle/père adoptif, qui apparaît au héros dans la dernière scène du film après avoir commis trois crimes, n'est pas une vision hallucinatoire de Statross, hanté par un passé lancinant, et peut-être véritable auteur des meurtres en question.

Occident est empreint d'un romantisme noir à la fois clichéique (le manoir ancestral ; la présence fantomatique ; la déréliction de Statross, dandy métis en proie au mal de vivre) et « déconstruit » par son ancrage dans un quotidien d'une banalité déprimante (la scène où Statross fait la vaisselle en essuyant les injures racistes de son amant ; ses problèmes d'argent et la conversation laborieuse autour de la vente du manoir ; l'insistance sur les actes familiers et triviaux [se doucher, pisser, vomir]...) Le film s'ouvre par un grondement de tonnerre sur fond d'écran noir, avant que la voix d'HALEXANDER ne nous raconte les origines épineuses de Statross (contraction de « C'est atroce ») dans un style narratif proche du conte de fées ; mais la suite du métrage s'installe majoritairement dans un climat plus prosaïque, malgré quelques brefs effets de montage empruntés au cinéma d'horreur contemporain (plans accélérés quasi subliminaux censés faire monter la tension, qui sont eux aussi devenus des clichés formels depuis les années 90). On retrouve ici les accents d'un « cinéma vérité » dont on sait combien sont fallacieux la dénomination et le concept, et que Jann HALEXANDER traite, tout comme les aspects néo-romantiques de son scénario, avec une certaine dérision, accentuant ses tics au-delà du plausible (la scène hallucinante de la rencontre avec la mère, où les deux protagonistes restent face à face, immobiles et muets, dans un plan fixe de 2 minutes 30 !)

Le ton très personnel du film naît de ce jeu ambigu avec les stéréotypes littéraires, cinématographiques, raciaux, dont on se sait jamais trop si HALEXANDER les estime légitimes, ou si l'apparente candeur avec laquelle il les emploie cache une forme de distanciation. La réponse est peut-être ailleurs, dans la personnalité même des personnages et de leur auteur.

Le drame de Statross et d'Hans est d'être prisonniers de clichés sociaux et sexuels, desquels ils souhaiteraient s'extirper tout en éprouvant la tentation de les incarner jusqu'à l'absurde – jusqu'à la lie. Hans abreuve son amant de propos outrageusement racistes (« Ta mère s'est fait baiser par un gros nègre qui puait la merde », « Tu es pathétique à vouloir changer de couleur. Quoi que tu fasses... »), et s'il se laisse aller à un peu de tendresse (dans la promenade qui suit la visite au cimetière), c'est pour éclater ensuite d'un rire sardonique en faisant le salut nazi et criant « Heil Hitler ! » Statross se complaît dans le ressassement du passé, dans une neurasthénie à la fois fataliste et désinvolte, et dans l'affirmation nonchalamment affectée de ses troubles identitaires – métissage et bisexualité. Il pose au maudit, peut-être par crainte d'affronter ses contradictions et de découvrir qu'elles ne découlent pas forcément des clivages imposés par la société, mais d'une volonté personnelle (d'un besoin ?) d'incohésion.

Voici comment HALEXANDER définit son personnage : " Statross est triste, toujours triste, il ne fait rien d'autre, c'est simple, il est ennuyeux, c'est bien, c'est facile à jouer, pour moi qui suis piètre acteur. " (in Les Toiles Roses) Cette facilité à jouer le personnage pour son « piètre » interprète signifierait-elle que Statross est le double de son créateur, ce qui rend tout effort de jeu superflu ? L'hypothèse est aussi séduisante que simpliste : autant Statross apparaît comme un être velléitaire et lymphatique, autant HALEXANDER est animé d'une véritable boulimie de création et de travail ; autant Statross, tout en se morfondant sur ses contradictions, est incapable de les résoudre, autant HALEXANDER parvient à les harmoniser en accusant paradoxalement leurs dissonances dans son univers artistique, musical et cinématographique.

Si les protagonistes d'Occident, à force d'être des clichés vivants, criants d'inauthenticité, finissent pas incarner la mort des clichés, il en va de même des idéologies débattues dans le film, peintes de façon trop extrême pour ne pas être suspectées d'inanité. L'imagerie et les discours nazis sont réduits à leur caricature (leur assimilation un peu simplificatrice au racisme anti-noir ; la croix gammée sanglante peinte sur la poitrine du spectre d'Adolf Reichmann, à l'emplacement du cœur ; celle qui est gribouillée sur la page de garde d'une sorte de grimoire national-socialiste ; la harangue de Hitler résonnant aux oreilles de Statross dans un bar), et l'on peine à comprendre comment Statross, âgé d'environ 25 ans dans les années 2000, a pu être élevé par un dignitaire du IIIème Reich mort en 1998, mais dont le fantôme n'accuse qu'une soixantaine d'années. Ces confusions et exagérations amènent elles aussi une forme de déconstruction des arguments fascistes et antifascistes (la scène où Statross le métis fait le salut nazi dans un bar gay renvoie à la séquence célèbre et controversée de Shock Corridor de Samuel Fuller, où un Noir coiffait une cagoule du Ku-Klux-Klan pour se lancer une diatribe raciste), et ajoutent finalement au climat fantastique du film.

Celui-ci culmine dans un finale déconcertant : Statross entend la voix de son oncle et, regardant par le judas de sa porte, découvre le spectre nu du vieil homme qui l'appelle dans le couloir et ne tarde pas à s'introduire dans l'appartement. Le corps de Reichmann évoque audacieusement celui d'un déporté des camps de la mort, et la scène rappelle irrésistiblement les visions de l'héroïne du Répulsion de Roman POLANSKI – faisant de Jann HALEXANDER, craintivement réfugié sous une table, un singulier émule de Catherine DENEUVE !... C'est alors qu'Occident bascule vraiment dans l'épouvante la plus queer, mêlant sexualité « déviante » (les sollicitations homosexuelles incestueuses et transgénérationnelles de l'oncle, qui appelle Statross à le rejoindre), fantastique psychologique (ou paranormal, selon l'interprétation favorisée par le spectateur), et humour distanciateur (la féminisation-« deneuvisation » d'HALEXANDER, par référence cinéphilique interposée). Une tonalité que l'on espère retrouver bientôt dans le prochain film du chanteur-vidéaste, La Bête immonde, qui reprendra nombre des thèmes d'Occident.