jeudi 18 août 2011

LA BÊTE IMMONDE (Jann HALEXANDER, 2011)




FICHE TECHNIQUE :

Réalisation : Jann HALEXANDER - Scénario : Jan HALEXANDER - Images : Jolyon DERFEUIL, Mickey KUYO, Chris MAHON, Jeff BONNENFANT - Montage : Mickey KUYO, Gildas JAFFRENNOU - Musique : Jann HALEXANDER, Cheo FELICIANO, Francis POULENC.

L'HISTOIRE :

Hector Da Silva (Jann HALEXANDER) est retrouvé mort aux abords de la Forêt des Charniers, près de la ville de Maggelburg. Sa sœur Ariane (ARIANE) enquête sur son décès, avec le soutien de Severia Bourgeois (Maïk DARAH), auteure d'un livre consacré aux meurtres et disparitions qui se sont produits dans ce lieu à la sinistre réputation.

L'AVIS DE BBJANE :

Avec La Bête immonde, Jann HALEXANDER clôt la trilogie consacrée au personnage de Statross Reichmann, qu'il incarna pour la première fois dans un court-métrage de Rémi LANGE basé sur son scénario (Statross le Magnifique, 2006), et dont il réalisa le second opus en 2008 (Occident).
Nous retrouvons ici les thèmes obsessionnels du chanteur-vidéaste : la difficulté de vivre son métissage et sa bisexualité, le racisme, les secrets de famille, le poids du passé. Alors que les deux films d'HALEXANDER extérieurs à la trilogie (J'aimerais j'aimerais, 2007, et Une Dernière nuit au Mans, 2009) sont de facture strictement réaliste, La Bête immonde ancre de nouveau la figure de Statross à la lisière du fantastique, par le truchement de meurtres non élucidés ayant lieu dans une forêt fréquentée non seulement par des néo-nazis et des dealers, mais aussi par une inquiétante silhouette encapuchonnée de blanc, tel un membre du Ku-Klux-Klan, et peut-être hantée par les esprits des habitants d'un village disparu depuis 600 ans.


La notion de "lisière" déborde celle d'un genre cinématographique pour devenir le leitmotiv secret du film : c'est d'abord celle de la forêt, que l'on franchit à ses risques et périls ; ce sont aussi celles qui marquent le passage de la négritude à la "blanchitude", de l'homosexualité à l'hétérosexualité, du mensonge à la vérité (la mère qui tait l'existence d'un premier fils), du reportage à la fiction (le film est entrecoupé d'interviews d'habitants de Maggelburg, filmés par la télé locale). Les personnages de Jann HALEXANDER errent en funambules sur cette zone intermédiaire, hésitant à risquer le pas qui les engagerait d'un côté ou de l'autre de leur destin, et se confortant -- non sans un certain malaise -- dans un entre-deux qui, pour être inconfortable, leur procure un illusoire sentiment de protection.
Si Hector ose s'engager dans la forêt, c'est poussé par la volonté de conjurer la peur qu'elle lui inspire ("J'aime avoir peur (...) C'est un défi que je me lance", déclare-t-il à son amant) ; le fait que son audace soit sanctionnée par la mort ne donne que plus de poids à la nécessité, pour les protagonistes, de demeurer sur la ligne neutre qui marque la jonction de leurs sentiments, de leurs désirs, et de leurs identités potentielles.


Mais ce point de clivage où l'on se tient en équilibre instable est nécessairement un lieu de confusion, et peut générer de véritables aberrations mentales, comme dans le cas de Statross, qui, absent de l'intrigue jusqu'à son dénouement, nous apparaît beaucoup plus perturbé que dans les films précédents, et résout dans le sang l'écartèlement de son métissage, en revêtant les oripeaux du racisme le plus primaire et brutal.
Du reste, le Statross de La Bête immonde n'est plus vraiment celui du court-métrage de Rémi LANGE, non plus que celui d'Occident (qui, lui-même, différait de l'original) ; personnage protéiforme (et, plus que personnage, concept d'un métissage tenté par la négation dans la haine raciale), Statross consomme ici sa désincarnation, en devenant un épouvantail de slasher n'ayant plus que la rancœur pour repère et pour but.


On notera qu'à la schizophrénie de Statross répond, de manière révélatrice, la désincarnation de son créateur, qui n'a jamais été aussi peu présent dans l'un de ses films, et va jusqu'à confier à un autre acteur le rôle de Jann HALEXANDER, dont nous voyons brièvement l'extrait d'un concert. Ce brouillage/estompage conjoint des figures du vidéaste et de son personnage témoigne d'un paradoxal narcissisme (puisqu'HALEXANDER n'hésite pas à apparaître en tant que lui-même) doublé d'une troublante fragilité identitaire (il est "lui-même" sous les traits d'un autre), qui font du film son œuvre à la fois la plus arrogante et la plus humble -- et à coup sûr la plus singulière à ce jour (la plus fantomatique aussi, par son jeu perpétuel sur les notions du double et de la lisière).


Constatons enfin qu'avec La Bête immonde, HALEXANDER poursuit le virage amorcé par Une Dernière nuit au Mans, en accordant à nouveau une place centrale à un personnage féminin, en l'occurrence Ariane, la sœur d'Hector ; il va même beaucoup plus loin, en nous donnant un quasi-"film de femmes". Les hommes n'y tiennent que des rôles subalternes (l'amant d'Ariane et d'Hector, dont la fuite a permis l'assassinat de ce dernier ; le voisin venu présenter ses condoléances), ou sont morts ou dépouillés de leur identité propre (Hector et Statross, tous deux incarnés par HALEXANDER).
L'action se noue dès lors autour du trio féminin formé par Ariane, sa mère neurasthénique, détentrice des clefs du mystère, et Severia Bourgeois, gardienne des secrets de la Forêt des Charniers et sorcière multicentenaire. A cet égard, il faut saluer la justesse de ton des trois interprètes (respectivement Ariane, Marlène PONS et Maïk DARAH), qui contribuent à crédibiliser une intrigue parfois un tantinet relâchée, et dont l'élucidation tient davantage dans les échanges dialogués que dans l'action proprement dite. De film en film, Jann HALEXANDER s'avère plus attentif au choix de ses comédiens, ce dont il ne peut que se féliciter, et qui compense les quelques approximations encore décelables ici et là (l'étirement de certaines scènes ; la répétition inutile de certains arguments, comme les propos outrageusement racistes et homophobes des participants au reportage).


Placé sous le patronage de Jean ROLLIN (l'un des deux dédicataires du film), La Bête immonde perpétue dignement l'esprit d'indépendance et l'acharnement créatif de l'auteur du Frisson des vampires, tout en confirmant Jann HALEXANDER comme l'un des représentants les plus personnels d'un cinéma fantastique d'auteur à micro-budget, mais à généreuse inspiration.