En dédommagement, il offre à Reese un portrait de lui-même, dessiné de mémoire suite à leur première rencontre. Ce portrait, plein d'affection et d'une stupéfiante ressemblance, signale non seulement la fascination éprouvée par l'adolescent pour le guérisseur, mais annonce également l'ambivalence de leur relation future : au verso du dessin est en effet représenté le visage, également "croqué" par Billy, de Lars Hoeglin, le fermier à l'allure démoniaque qui lui inspire une crainte instinctive. En découvrant cette sinistre figure, Reese éprouve un premier malaise -- l'association des deux visages sur une même feuille de papier est un symbole transparent de la dualité profonde de Reese, dont ce dernier n'a que trop conscience. D'un côté, le bon docteur affable et souriant ; de l'autre, un être démoniaque -- en réalité, un malheureux ermite en qui Reese et Billy croient distinguer l'incarnation du Mal, et qu'ils n'auront de cesse de détruire.
Les deux visages du docteur Reese. Recto...
... verso.
Vous : Et alors ? Où est l'homosexualité, là-dedans ?...
BBJane : Comme tout hétéro qui se respecte, vous me tendez une perche que je m'empresse de saisir... L'homosexualité, c'est d'abord le portrait amoureusement dessiné puis offert par le jeune garçon à son mentor. Ce sont ensuite les visites nocturnes de Billy à Reese, et les longues heures d'apprentissage de la lecture par l'adolescent, sur un petit ouvrage cher au coeur du guérisseur et intitulé "The Long lost friend" (L'ami depuis longtemps perdu). C'est aussi, pour ces deux êtres pétris de croyance religieuse et effrayés par les sentiments qu'ils découvrent en eux, le rejet de ce qu'ils croient être leur faute sur une tierce personne : Lars Hoeglin, qu'ils suspectent d'incarner le Démon, quand il n'est que l'incarnation de leur refoulé... Et puis, il y a la fiancée de Billy...
Roméo et Roméo
Vous : Alors comme ça, Billy a une petite amie ?... C'est la preuve qu'il n'est pas pédé !...
BBJane : C'est surtout la mission fréquemment dévolue aux petites amies : démontrer que le héros est hétéro. Notez que celle de Billy, Alice Spangler, lui apparaît pour la première fois dans un accoutrement masculin (salopette, fichu masquant la chevelure). Mais passons...

Mia SARA, plus mignon que jamais.
Le comportement du jeune garçon envers la demoiselle s'avère encore plus éloquent. Elle est la fille de la logeuse de Reese, et c'est sous les fenêtres du guérisseur -- non sous celles d'Alice -- que Billy opère ses factions nocturnes (elle ne manque pas de le lui reprocher...) Il met, du reste, un temps assez long avant de céder à ses avances (un hétéro aux inclinations assurées ne lanternerait pas tant que ça, croyez-moi -- d'autant que Mia SARA est plutôt craquante... habillée en mec.) Lorsqu'Alice lui propose de s'enfuir avec elle à Philadelphie, Billy ne cesse de barguigner (synonyme de "lanterner", employé plus haut... j'ai les répétitions en horreur...) ; il n'y consent d'ailleurs qu'accompagné de Reese, au grand désespoir de sa belle.
Regard désapprobateur de la Belle sur les Bêtes.
(Notez qu'elle tient le parapluie comme d'autres la chandelle.)
L'attitude de Reese est encore plus significative à cet égard. Elle ruine totalement l'allégation de "sentiments paternels" évoqués tout à l'heure. Connaissez-vous beaucoup de pères manifestant un attachement aussi exclusif à leur fils ? La plupart seraient enchantés qu'il se dégotte une belle et bonne épouse -- qu'ils ne rechigneraient pas à lutiner un brin. Tel n'est certainement pas le cas de Reese. Non seulement il n'éprouve aucun attrait pour Alice, mais il lui manifeste une hostilité résolue, bien que silencieuse. Si l'on considère Reese comme un père de substitution, force est de constater qu'il adopte un comportement peu commun, et se conduit en vraie mère-poule, jalouse et castratrice.
Vous : Vous voulez à tout prix que Reese soit amoureux de Billy !... Qu'est-ce qui le prouve ?...
BBJane : Une foule d'indices, qu'à moins d'être un crétin fini le réalisateur n'a pu glisser innocemment.
A commencer par ces phrases du guérisseur à son disciple : "J'ai rêvé de toi, Billy...
Les hommes vieux auront des rêves, dit le Livre Sacré... Je peux t'apprendre plus que l'écriture..."
Reese demande au jeune garçon de lui dessiner des hexagrammes. Lorsqu'il examine l'un de ceux-ci, la toile sur laquelle est peint le motif se soulève "magiquement", de manière carrément évocatrice d'une érection.

Qu'est-ce qui se cache sous l'hexagramme ?Enfin -- et plus important que le reste --, lorsque Billy énonce, sans grande conviction, son intention d'aller vivre à Philadelphie, Reese se trouve en proie à de subites convulsions (qu'il attribuera au "démon" Hoeglin), signes d'une "possession" manifeste, et argument fort pratique pour convaincre le jeune garçon de l'emmener avec lui, sous le prétexte qu'il pourra recourir, dans la grande ville, aux services d'une exorciste réputée. La possession de Reese est révélatrice de deux choses : d'une part, sa détermination à suivre Billy où qu'il aille ; d'autre part, la nécessité de rejeter ce qu'il croit être sa
faute sur un bouc émissaire (Lars Hoeglin).
"Deviendrais-je folle, gentil miroir ?"
Lorsqu'il prend conscience de la vraie nature de ses sentiments pour Billy, Reese commence à perdre ses pouvoirs de guérisseur, et s'attire la haine des villageois. Plus que jamais, il devient un paria -- aux yeux de la communauté comme aux siens propres. En conflit avec sa Foi, il réagit en l'affirmant avec plus d'ardeur. C'est le processus habituel de la formation de tout fanatisme : on ne s'accroche aussi vigoureusement à ses croyances que lorsque l'on commence à en percevoir l'inanité. Tout est dit dans la formule que Reese lance aux mécréants : "Dieu ? Impuissant ? Quelle arrogance !" L'impuissance, pour le guérisseur, résulte du trouble causé par la tentation homosexuelle, qu'il identifie non seulement à la perte de ses dons, mais aussi à celle de sa virilité.
Vous : Du délire !... Vraiment n'importe quoi !...
BBJane : Voyez le film... Son finale est éloquent... Je ne veux pas jouer les "spoileuses", mais je dois signaler que le combat de Reese et Billy contre le "démon" -- et ce sur quoi il aboutit -- est on ne peut plus limpide. Tout n'est que mascarade, faux semblants, auto-aveuglement.
Cette dernière scène peut d'ailleurs être envisagée comme métaphorique du film lui-même, des conditions de son exploitation, et de sa postérité. Pour avoir trop joué la carte du "fantastique" afin de dissimuler son propos, pour l'avoir encombré d'une bimbeloterie d'épouvante, il s'est condamné au Purgatoire cinéphilique... A vous de l'en tirer !...
Vous : Faudrait d'abord pouvoir le voir !...
BBJane : Il est parfois diffusé sur le câble, et peut être commandé
ici.
Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous.LIENS :Je ne vois guère que la fiche
imdb et ses commentaires, dont l'un semble plus avisé que les autres... Si je maniais la langue anglaise avec suffisamment d'aisance, je pourrais presque l'avoir écrit...
Ah !... Et puis, la redoutable
bande-annonce, avec sa musique (absente du film !) démarquant sans complexes celle de
L'Exorciste... Procédé d'autant plus stupide que la bande originale de Charles GROSS est une pure merveille !