Août 1986. Votre BB chérie, âgée de 15 ans, pousse un hurlement de joie en tournant la page 54 du dernier numéro de L'Ecran Fantastique. On y annonce le tournage d'un nouveau film avec son idole, Vincent PRICE -- un événement espéré depuis des années. Deux photos du Maître, un peu vieilli mais toujours aussi charismatique, illustrent un article de quatre pages où l'on apprend, entre autres choses réjouissantes, que le film en question s'inscrit dans la grande tradition gothique si chère au coeur du comédien (les photos en attestent), et qu'il y sera entouré de partenaires aussi fameux que Martine BESWICK (l'une des dernières vedettes féminines des productions Hammer), Angelo ROSSITTO (le nain Angelino du Freaks de Tod BROWNING, 1932), Susan TYRELL (actrice culte d'une multitude de productions underground, dont le délirant Forbidden Zone de Richard ELFMAN, 1980), Clu GULAGER (vétéran des séries télés et second rôle emblématique du cinéma américain des sixties - l'élégant tueur aux gants noirs du A Bout Portant de Don SIEGEL, 1964), et Cameron MITCHELL, le "méchant" numéro un de la série B d'horreur des eighties.
Le metteur en scène de cette œuvre plus qu'alléchante est un inconnu de 23 ans, Jeff BURR, dont les propos font chaud au cœur : "Le cinéma fantastique souffre de la double malédiction du manque d'imagination et de la boucherie. C'est une honte. Après tout, les films fantastiques font partie intégrante du genre cinématographique. C'est un domaine dans lequel on est obligé d'être créatifs parce qu'on part d'un sujet brut, auquel il faut faire croire les spectateurs." Parmi ses influences, le jeune homme cite William CASTLE et Roger CORMAN -- qui s'est d'ailleurs rendu sur le plateau pour saluer son acteur fétiche et vieil ami Vincent PRICE. Ce dernier affirme, quant à lui : "Le sujet du film m'a tout de suite plu. J'ai beaucoup aimé le scénario et je l'ai trouvé excellent. Ce qui m'a conquis, c'est le fait que les histoires étaient reliées par un enchaînement simple et de bon goût. Pas de mièvreries fantasmagoriques." Car il s'agit d'un film "à sketches", dans la lignée des productions Amicus des années 60/70.
Dès lors, votre BB n'a plus qu'une obsession : découvrir au plus vite cette bande savoureusement intitulée (en clin d'oeil à Ingmar BERGMAN ?) From a whisper to a scream (Du chuchotement au cri d'horreur).
Elle attendra un an, et la distribution du film en VHS sous le stupide titre de Nuits Sanglantes, pour concrétiser ce souhait. Non seulement elle ne sera pas déçue, mais elle visionnera la cassette quatre fois en un seul week-end. Car l'oeuvre est une réussite totale, à la fois moderne, novatrice, et nostalgique d'une épouvante "à l'ancienne" alors négligée par les cinéastes du genre. (Pour une courte chronique du film sur FEARS, reportez-vous ici.)
Dès lors, votre BB n'a plus qu'une obsession : découvrir au plus vite cette bande savoureusement intitulée (en clin d'oeil à Ingmar BERGMAN ?) From a whisper to a scream (Du chuchotement au cri d'horreur).
Elle attendra un an, et la distribution du film en VHS sous le stupide titre de Nuits Sanglantes, pour concrétiser ce souhait. Non seulement elle ne sera pas déçue, mais elle visionnera la cassette quatre fois en un seul week-end. Car l'oeuvre est une réussite totale, à la fois moderne, novatrice, et nostalgique d'une épouvante "à l'ancienne" alors négligée par les cinéastes du genre. (Pour une courte chronique du film sur FEARS, reportez-vous ici.)

rebaptisé The Offspring lors de son exploitation en salles
(cliquez sur l'affiche pour voir la bande-annonce -- sombre, hélas !...)
Né en 1963 à Cincinnati, dans l'Ohio, Jeff BURR est attiré très tôt par le cinéma -- et le genre "fantastique" en particulier, à l'instar de nombreux cinéastes de sa génération, nourris au lait de la revue Famous Monster of Filmland, et aux rediffusions télévisées des classiques de la Universal et de l'A.I.P.. Lorsque son père, comédien de théâtre, lui offre la caméra Super 8 familiale dont il n'a plus l'utilité, le jeune Jeff se lance dans le tournage de nombreux courts-métrages. Il entre ensuite à l'University of Southern California, où il entame des études de cinéma. Il financera son premier long-métrage (dont il est ici question) avec l'aide de son frère et des commerçants de la ville où il habite depuis l'âge de trois ans - Dalton, en Georgie. Son moindre exploit n'est certes pas d'avoir réuni, pour ce qui est en somme un "coup d'essai" dans le milieu professionnel, un casting aussi prestigieux que celui décliné plus haut.
Jeff BURR (à droite) sur le tournage de From a whisper to a scream,
avec le critique et historien du cinéma fantastique David Del VALLE
avec le critique et historien du cinéma fantastique David Del VALLE
Le succès d'estime rencontré par From a whisper... auprès des fantasticophiles, et l'excellent accueil critique qui lui est réservé dans la presse spécialisée, vaut à Jeff d'être engagé par les frères WEINSTEIN de Miramax pour diriger la suite de The Stepfather (Le Beau-père de Joseph RUBEN, 1987), petit succès du thriller indépendant. C'est la première d'une série de séquelles dont il se verra confier la réalisation au cours des années 90. La reprise de franchises à succès n'est pas toujours stimulante pour un auteur de sa trempe -- car Jeff C. BURR est un véritable auteur, porteur d'un univers très personnel, comme il le confirmera avec quelques œuvres produites en toute indépendance. En 1990, il réalise le troisième opus de "Massacre à la tronçonneuse", Leatherface, où il parvient à imposer sa "patte" en dépit de multiples difficultés (le film sera soumis 11 fois à la censure -- un record ! --, et un peu plus coupé, amputé, émasculé après chaque refus de la MPAA d'accorder un visa autorisant le film aux moins de 18 ans). Avec Leatherface, il confirme son amour des comédiens et sa capacité à entretenir avec eux une complicité stimulante ; il y dirige Viggo MORTENSEN dans l'un de ses premiers rôles en vedette, et retrouve Miriam BYRD-NETHERY, l'épouse de son complice Clu GULAGER, qui incarne une terrifiante "mère tronçonneuse" clouée dans un fauteuil roulant et parlant à travers un émetteur relié à ses cordes vocales (hommage transparent au Docteur Phibes, immortalisé jadis par Vincent PRICE.)
Suivent Pumpkinhead II : Blood Wings (1993) et deux opus de la franchise Puppet Master (les 4ème et 5ème volets - 1993), autant d'occasions de diriger des comédiens emblématiques du genre, comme Ian OGILVY (jeune premier du Grand Inquisiteur de Michael REEVES [The Witchfinder General, 1968], l'un des films préférés de Jeff), Andrew ROBINSON ou Guy ROLFE.
Entre deux travaux de commande, Jeff parvient à monter des projets qui lui tiennent à coeur, et qui s'avèrent d'authentiques joyaux du cinéma indépendant. Eddie Presley (1992) se forge une enviable réputation auprès des cinéphiles américains. Un imitateur d'Elvis PRESLEY y prépare son comeback dans une boîte de nuit hollywoodienne, après des années de mouise et de dépression. Une fois encore, le casting est époustouflant : Duane WHITAKER est Eddie, le "sosie" miteux, égocentrique et dépressif du King, entouré de Clu GULAGER, Ian OGILVY, Roscoe LEE BROWNE, des très "cultes" Lawrence TIERNEY, Quentin TARANTINO, Bruce CAMPBELL, et de l'ancienne égérie "overbustée" de Russ MEYER : Kitten NATIVIDAD (excusez du peu...)
Suivent Pumpkinhead II : Blood Wings (1993) et deux opus de la franchise Puppet Master (les 4ème et 5ème volets - 1993), autant d'occasions de diriger des comédiens emblématiques du genre, comme Ian OGILVY (jeune premier du Grand Inquisiteur de Michael REEVES [The Witchfinder General, 1968], l'un des films préférés de Jeff), Andrew ROBINSON ou Guy ROLFE.
Entre deux travaux de commande, Jeff parvient à monter des projets qui lui tiennent à coeur, et qui s'avèrent d'authentiques joyaux du cinéma indépendant. Eddie Presley (1992) se forge une enviable réputation auprès des cinéphiles américains. Un imitateur d'Elvis PRESLEY y prépare son comeback dans une boîte de nuit hollywoodienne, après des années de mouise et de dépression. Une fois encore, le casting est époustouflant : Duane WHITAKER est Eddie, le "sosie" miteux, égocentrique et dépressif du King, entouré de Clu GULAGER, Ian OGILVY, Roscoe LEE BROWNE, des très "cultes" Lawrence TIERNEY, Quentin TARANTINO, Bruce CAMPBELL, et de l'ancienne égérie "overbustée" de Russ MEYER : Kitten NATIVIDAD (excusez du peu...)
Pour voir la bande-annonce, cliquez sur l'affiche
Au nombre des œuvres personnelles du cinéaste, citons également Night of the Scarecrow (La Nuit de l'Epouvantail, 1995), qui, sorti à la sauvette en vidéo en France, annonce très nettement le Jeepers Creepers de Victor SALVA (2001), tout en retrouvant l'atmosphère rurale et poisseuse de From a whisper to a scream.
Pour voir la bande-annonce, cliquez sur l'affiche
En 2004, Jeff C. BURR réalise ce que beaucoup considèrent comme son chef-d'oeuvre à ce jour, Straight into Darkness, étonnante odyssée de deux déserteurs américains de la Seconde Guerre Mondiale, trouvant refuge dans une usine désaffectée où se cache une bande d'orphelins militairement entraînés et assoiffés de vengeance (le thème est là encore très similaire à celui du dernier sketch de From a whisper..., où des soldats nordistes de la Guerre de Sécession tombaient entre les mains d'une communauté de gosses estropiés et vengeurs.) Pour l'occasion, Jeff adjoint à sa "troupe" de comédiens un nouvel acteur mythique du cinéma fantastique, David WARNER, et donne un rôle secondaire à Linda THORSON, la Tara King de la série Chapeau melon et bottes de cuir. Malgré une réputation plus qu'élogieuse aux States, le film reste inédit dans l'Hexagone, même en DVD.
Pour voir la bande-annonce, cliquez sur l'affiche
Après avoir signé le très psychotronique Mil Mascaras versus the Aztec Mummy (2007), qui suscite le délire des fans de bizarreries celluloïdiques (un catcheur mexicain y combat une momie aztèque), Jeff enchaîne avec un nouveau film totalement indépendant, Luger of the Black Sun, actuellement en post-production, où un revolver de la Seconde Guerre Mondiale (le fameux "Luger") est le réceptacle d'un esprit démoniaque, et suscite la convoitise d'un nostalgique du IIIème Reich. Si le scénario semble doucement farfelu, deux éléments en appellent à la vigilance du fantasticophile : d'une part, la référence au conflit de 39/45, qui a formidablement bien réussi à BURR dans Straight into Darkness ; d'autre part, la présence au générique de l'immense Richard LYNCH, l'un des acteurs les plus vénérés de la série B/Z américaine contemporaine, véritable mythe vivant, comédien surdoué et personnalité aussi mystérieuse qu'excessive (en 1967, sous l'empire du LSD, il s'immola par le feu dans Central Park ; d'une grande beauté, son visage marqué par d'irréparables séquelles est l'un des plus fascinants que l'écran nous ait offert.) Déjà présent dans Mil Mascaras (il y incarnait le Président des Etats-Unis !), LYNCH semble avoir rejoint à son tour la troupe de Jeff BURR. Le soutien d'un tel interprète ne pourra qu'enrichir l'univers du cinéaste -- on rêve d'un film bâti autour de sa flamboyante (sans mauvais jeu de mots) et charismatique personnalité.
(Pour visionner la bande-annonce provisoire de Luger of the Black Sun, cliquez ici.)
Jeff travaille actuellement sur un projet de documentaire, consacré aux metteurs en scène américains de télévision des années 50 à 70.
Novembre 2008. 21 ans après avoir découvert From a whisper to a scream, votre BB entre en contact avec son réalisateur, par la grâce de l'internet. Jeff C. BURR accepte de répondre à quelques questions uniquement centrées sur ce film, emblématique pour votre servante (qui le revoit rituellement une ou deux fois par an). Il fait plus qu'accepter, en fait, et témoigne d'une émotion et d'un enthousiasme spontanés. From a whisper... lui tient à coeur, très à coeur, il ne le cache pas. Au fil des mails, il répète volontiers combien ce film lui est cher, et quel plaisir il éprouve à l'évoquer.
Disponibilité, générosité et simplicité caractérisent Jeff C. BURR -- tous ses collaborateurs en témoignent. Il m'en a fourni une preuve supplémentaire en m'autorisant à publier sur ce blog des clichés de tournage inédits de From a whisper to a scream, œuvres du photographe David WHITE, aujourd'hui décédé...
Pourquoi évoquer Jeff C. BURR dans un blog consacré au cinéma fantastique ET à l'homosexualité ? Le sujet n'a jamais été abordé frontalement dans la filmographie du cinéaste, lequel, aux dernières nouvelles, n'est pas gay. Deux raisons à cela : l'oeuvre de BURR fourmille de personnages ambigus, décalés, sexuellement mal définis, et sa tonalité est radicalement queer. Enfin, elle s'inspire largement d'un cinéma fantastique classique "crypto-gay", dont elle perpétue les thèmes, la symbolique, et les figures obligées.
J'adresse mes plus sincères et chaleureuses amitiés à Mr BURR, ainsi que ma reconnaissance pour son soutien, sa patience... et sa prolixité.
Jaquette du DVD Zone 1
Le générique du film (Musique de Jim MANZIE)
(N'oubliez pas de couper le son du lecteur dans la colonne de droite !)
BBJ : Vous semblez avoir un grand intérêt pour la direction d'acteurs. On trouve deux performances particulièrement remarquables dans ce film : celle de Clu GULAGER, et celle de Cameron MITCHELL. Commençons par le premier. GULAGER crée une gestuelle très particulière pour son personnage : sa façon de fumer nerveusement ses cigarettes, le jeu avec son mouchoir quand il téléphone à Grace, ses mouvements saccadés. Et puis, sa silhouette est méconnaissable : cheveux blancs, lunettes épaisses. A-t-il apporté des éléments personnels pour ce rôle, ou ces détails physiques étaient-il dans le scénario au départ ?
Jeff C. BURR : Oui, j'ai un immense intérêt pour les acteurs, parce qu'au bout du compte, s'ils ne fonctionnent pas, le film et l'histoire ne fonctionnent pas non plus. On peut pardonner bien des choses à un film (les faiblesses budgétaires, la mauvaise photographie, etc...) tant que l'histoire fonctionne et que les comédiens aident à la rendre crédible. Il y a tellement d'acteurs avec qui j'aimerais travailler, connus ou inconnus, que ça me donne envie de faire encore 50 films !
Clu GULAGER a apporté tellement d'idées pour son rôle, il était un vrai partenaire créatif sur cette histoire. Bon, ça ne signifie pas que j'aimais toutes ses idées, ou que je pensais qu'elles convenaient systématiquement au film que j'avais en tête... mais quand elles collaient, c'était tellement excitant. Il a apporté ses lunettes de Los Angeles... il était prévu que le personnage en porte, mais il a trouvé celles-ci en particulier dans une boutique d'accessoires et les a amenées. Quand je les ai vues sur sa figure, le personnage s'est trouvé totalement bouclé. Je voulais qu'il ait les cheveux teints, et nous en sommes venus à l'idée qu'ils soient blancs, ce qui lui donnait un look vraiment intéressant. Sa façon de fumer des cigarettes est née au cours d'une petite répétition, et il l'a conservée... La nervosité et l'aspect guindé du personnage sont des choses dont Clu était vraiment responsable, c'était une parfaite extension du mental de Stanley. C'est également lui qui a eu l'idée de chanter pour Grace après l'avoir tuée, et la chanson est de lui. Il était tellement heureux d'avoir à faire ça ! Je le revois encore en train d'écrire les paroles sur un morceau de carton placé derrière la caméra, pour qu'il puisse s'en souvenir... Je crois que sa femme, Miriam (qui était une chanteuse extraordinaire), l'a aidé à créer cette chanson. Donc, c'était son interprétation de bout en bout, mais comme tout bon acteur (et c'en est un très grand), il puise son inspiration dans le personnage et le script et il se l'accapare. Immersion totale dans le personnage, et total engagement dans chaque scène. Il m'a appris une foule de choses au cours des années, et je suis fier de dire que je suis son ami et celui de sa famille.
BBJ : Comment a réagi Miriam BYRD-NETHENY (épouse de Clu GULAGER) en apprenant qu'elle allait jouer la soeur incestueuse de... son mari ?
Jeff C. BURR : Elle y a pris un pied ENORME ! Elle aimait le rôle, elle aimait tourner avec Clu (elle n'eut pas souvent l'occasion de le faire), et bosser avec elle était si drôle. J'ai eu le plaisir de travailler avec elle sur plusieurs films, et ce fut un bonheur total à chaque fois. Le fait qu'ils jouent un frère et une soeur n'a suscité aucun malaise... Ils ont fait tellement de choses "outrées" durant des années ; elle jouait dans le film inachevé de Clu, John and Norma Novack, qui est brillant. Et dont le sujet très dérangeant éclipse tout ce que l'on peut trouver dans From a whisper. Elle est décédée il y a quatre ans, et elle manque énormément à tous ceux qui l'ont connue.
BBJ : A l'époque, Cameron MITCHELL était connu pour avoir de sérieux problèmes avec l'alcool. Sa performance dans le film est pourtant impeccable, c'est sans doute la meilleure de sa fin de carrière. Il semble très impliqué, ce qui n'était pas vraiment le cas dans ses derniers films. Comment s'est déroulé le tournage avec lui ?
Jeff C. BURR : Cameron était un cas étrange... Voilà l'un des acteurs les plus talentueux de sa génération, et on peut difficilement dire que son rythme de travail a ralenti avec le temps quand on jette un oeil sur sa filmographie. Mais on parle généralement de lui comme de John CARRADINE, quelqu'un qui a gâché son talent dans une multitude de mauvais films. Je ne suis pas entièrement d'accord avec ça, même s'il y a peut-être un peu de vérité.
Ce fut un plaisir de travailler avec Cameron sur From a whisper. Il était complètement investi dans le rôle, il s'intéressait à l'histoire de la guerre civile américaine, ayant joué dans un téléfilm de référence sur le procès d'Andersonville, réalisé par George C. SCOTT (The Andersonville trial, 1970) ; c'est pourquoi il connaissait bien la question. Je crois qu'il respectait le script, et considérait qu'il était plusieurs crans au-dessus des habituels petits budgets dans lesquels il tournait. Il avait d'excellentes idées, et je sais que le film est meilleur grâce à lui. Mon but était de montrer aux gens (ou plutôt, de leur rappeler) quel formidable acteur il était. Aussi, je fus vraiment satisfait de voir que plusieurs critiques saluaient sa performance, même s'ils n'aimaient pas le film ! Je peux affirmer que pour ce film en particulier, il n'a jamais bu sur le plateau, pas une seule fois. Ce n'était d'ailleurs pas son problème spécifique, je ne pense pas, du moins pas à l'époque. Je crois qu'il prenait des pilules diététiques pour perdre du poids, car il voulait obtenir un rôle dans la série d'Aaron SPELLING, Les Colby. Mais il était très professionnel, plein de vie et de joie... c'était merveilleux de l'avoir sur le plateau.
Le seul point négatif était une chose dont les gens parlaient entre eux... il aimait l'ail, et croyait aux vertus curatives de l'ail cru. Il pouvait avaler plus de dix gousses d'ail par jour... et il était en pleine forme ! Il fumait beaucoup également ; il allumait une clope, l'oubliait, et en allumait une autre, de sorte qu'il se retrouvait à en fumer deux en même temps. Mais dans les petites pièces confinées où nous tournions ses scènes, combinée à la chaleur et à l'humidité de la Georgie en été, l'odeur d'ail était insoutenable !!! L'un des problèmes de Cameron à l'époque était qu'il aimait se rendre aux courses hippiques, et qu'il lui arrivait d'y parier tout le salaire d'un petit film. Aussi, il avait une équipe informelle de gardiens qui essayait de l'en empêcher. Il me manque vraiment, et j'aimais son travail... Jetez un œil sur La Bête hurle (André De TOTH, 1953), Mort d'un commis voyageur (Laslo Benedek, 1951), Hombre (Martin RITT, 1977), ou sur des épisodes de Chapparal... C'était un foutu bon acteur... formidable visage... grande présence... Sa performance dans Whisper est une chose dont je suis très fier, et il en était fier aussi. Je l'ai vu pour la dernière fois quelques mois avant sa mort, en 1994... J'avais essayé de l'engager dans un film d'action avec Oliver GRUNER que je devais réaliser. Le film ne s'est pas fait, et je n'ai jamais plus travaillé avec lui ensuite ; mais il a eu une grande vie, qu'il a pleinement vécue. ET il était incroyablement fier des cinq ou six films qu'il avait tournés avec Mario BAVA... il aimait BAVA et aimait l'évoquer...
(Pour visionner la bande-annonce provisoire de Luger of the Black Sun, cliquez ici.)
Jeff travaille actuellement sur un projet de documentaire, consacré aux metteurs en scène américains de télévision des années 50 à 70.
Richard LYNCH, dans Vampire de E.W. SWACKHAMER (1979)
Novembre 2008. 21 ans après avoir découvert From a whisper to a scream, votre BB entre en contact avec son réalisateur, par la grâce de l'internet. Jeff C. BURR accepte de répondre à quelques questions uniquement centrées sur ce film, emblématique pour votre servante (qui le revoit rituellement une ou deux fois par an). Il fait plus qu'accepter, en fait, et témoigne d'une émotion et d'un enthousiasme spontanés. From a whisper... lui tient à coeur, très à coeur, il ne le cache pas. Au fil des mails, il répète volontiers combien ce film lui est cher, et quel plaisir il éprouve à l'évoquer.
Disponibilité, générosité et simplicité caractérisent Jeff C. BURR -- tous ses collaborateurs en témoignent. Il m'en a fourni une preuve supplémentaire en m'autorisant à publier sur ce blog des clichés de tournage inédits de From a whisper to a scream, œuvres du photographe David WHITE, aujourd'hui décédé...
Pourquoi évoquer Jeff C. BURR dans un blog consacré au cinéma fantastique ET à l'homosexualité ? Le sujet n'a jamais été abordé frontalement dans la filmographie du cinéaste, lequel, aux dernières nouvelles, n'est pas gay. Deux raisons à cela : l'oeuvre de BURR fourmille de personnages ambigus, décalés, sexuellement mal définis, et sa tonalité est radicalement queer. Enfin, elle s'inspire largement d'un cinéma fantastique classique "crypto-gay", dont elle perpétue les thèmes, la symbolique, et les figures obligées.
J'adresse mes plus sincères et chaleureuses amitiés à Mr BURR, ainsi que ma reconnaissance pour son soutien, sa patience... et sa prolixité.

Le générique du film (Musique de Jim MANZIE)
(N'oubliez pas de couper le son du lecteur dans la colonne de droite !)
BBJ : Vous semblez avoir un grand intérêt pour la direction d'acteurs. On trouve deux performances particulièrement remarquables dans ce film : celle de Clu GULAGER, et celle de Cameron MITCHELL. Commençons par le premier. GULAGER crée une gestuelle très particulière pour son personnage : sa façon de fumer nerveusement ses cigarettes, le jeu avec son mouchoir quand il téléphone à Grace, ses mouvements saccadés. Et puis, sa silhouette est méconnaissable : cheveux blancs, lunettes épaisses. A-t-il apporté des éléments personnels pour ce rôle, ou ces détails physiques étaient-il dans le scénario au départ ?
Jeff C. BURR : Oui, j'ai un immense intérêt pour les acteurs, parce qu'au bout du compte, s'ils ne fonctionnent pas, le film et l'histoire ne fonctionnent pas non plus. On peut pardonner bien des choses à un film (les faiblesses budgétaires, la mauvaise photographie, etc...) tant que l'histoire fonctionne et que les comédiens aident à la rendre crédible. Il y a tellement d'acteurs avec qui j'aimerais travailler, connus ou inconnus, que ça me donne envie de faire encore 50 films !
Clu GULAGER a apporté tellement d'idées pour son rôle, il était un vrai partenaire créatif sur cette histoire. Bon, ça ne signifie pas que j'aimais toutes ses idées, ou que je pensais qu'elles convenaient systématiquement au film que j'avais en tête... mais quand elles collaient, c'était tellement excitant. Il a apporté ses lunettes de Los Angeles... il était prévu que le personnage en porte, mais il a trouvé celles-ci en particulier dans une boutique d'accessoires et les a amenées. Quand je les ai vues sur sa figure, le personnage s'est trouvé totalement bouclé. Je voulais qu'il ait les cheveux teints, et nous en sommes venus à l'idée qu'ils soient blancs, ce qui lui donnait un look vraiment intéressant. Sa façon de fumer des cigarettes est née au cours d'une petite répétition, et il l'a conservée... La nervosité et l'aspect guindé du personnage sont des choses dont Clu était vraiment responsable, c'était une parfaite extension du mental de Stanley. C'est également lui qui a eu l'idée de chanter pour Grace après l'avoir tuée, et la chanson est de lui. Il était tellement heureux d'avoir à faire ça ! Je le revois encore en train d'écrire les paroles sur un morceau de carton placé derrière la caméra, pour qu'il puisse s'en souvenir... Je crois que sa femme, Miriam (qui était une chanteuse extraordinaire), l'a aidé à créer cette chanson. Donc, c'était son interprétation de bout en bout, mais comme tout bon acteur (et c'en est un très grand), il puise son inspiration dans le personnage et le script et il se l'accapare. Immersion totale dans le personnage, et total engagement dans chaque scène. Il m'a appris une foule de choses au cours des années, et je suis fier de dire que je suis son ami et celui de sa famille.
Clu GULAGER (1er sketch)
(Photo de tournage, Co : David WHITE)
(Photo de tournage, Co : David WHITE)
BBJ : Comment a réagi Miriam BYRD-NETHENY (épouse de Clu GULAGER) en apprenant qu'elle allait jouer la soeur incestueuse de... son mari ?
Jeff C. BURR : Elle y a pris un pied ENORME ! Elle aimait le rôle, elle aimait tourner avec Clu (elle n'eut pas souvent l'occasion de le faire), et bosser avec elle était si drôle. J'ai eu le plaisir de travailler avec elle sur plusieurs films, et ce fut un bonheur total à chaque fois. Le fait qu'ils jouent un frère et une soeur n'a suscité aucun malaise... Ils ont fait tellement de choses "outrées" durant des années ; elle jouait dans le film inachevé de Clu, John and Norma Novack, qui est brillant. Et dont le sujet très dérangeant éclipse tout ce que l'on peut trouver dans From a whisper. Elle est décédée il y a quatre ans, et elle manque énormément à tous ceux qui l'ont connue.
Miriam BYRD-NETHERY (g.) et Clu GULAGER (d.),
protagonistes du 1er segment,se penchent sur le cadavre du deuxième sketch. (Photo de tournage, Co : David WHITE)
protagonistes du 1er segment,se penchent sur le cadavre du deuxième sketch. (Photo de tournage, Co : David WHITE)
BBJ : A l'époque, Cameron MITCHELL était connu pour avoir de sérieux problèmes avec l'alcool. Sa performance dans le film est pourtant impeccable, c'est sans doute la meilleure de sa fin de carrière. Il semble très impliqué, ce qui n'était pas vraiment le cas dans ses derniers films. Comment s'est déroulé le tournage avec lui ?
Jeff C. BURR : Cameron était un cas étrange... Voilà l'un des acteurs les plus talentueux de sa génération, et on peut difficilement dire que son rythme de travail a ralenti avec le temps quand on jette un oeil sur sa filmographie. Mais on parle généralement de lui comme de John CARRADINE, quelqu'un qui a gâché son talent dans une multitude de mauvais films. Je ne suis pas entièrement d'accord avec ça, même s'il y a peut-être un peu de vérité.
Ce fut un plaisir de travailler avec Cameron sur From a whisper. Il était complètement investi dans le rôle, il s'intéressait à l'histoire de la guerre civile américaine, ayant joué dans un téléfilm de référence sur le procès d'Andersonville, réalisé par George C. SCOTT (The Andersonville trial, 1970) ; c'est pourquoi il connaissait bien la question. Je crois qu'il respectait le script, et considérait qu'il était plusieurs crans au-dessus des habituels petits budgets dans lesquels il tournait. Il avait d'excellentes idées, et je sais que le film est meilleur grâce à lui. Mon but était de montrer aux gens (ou plutôt, de leur rappeler) quel formidable acteur il était. Aussi, je fus vraiment satisfait de voir que plusieurs critiques saluaient sa performance, même s'ils n'aimaient pas le film ! Je peux affirmer que pour ce film en particulier, il n'a jamais bu sur le plateau, pas une seule fois. Ce n'était d'ailleurs pas son problème spécifique, je ne pense pas, du moins pas à l'époque. Je crois qu'il prenait des pilules diététiques pour perdre du poids, car il voulait obtenir un rôle dans la série d'Aaron SPELLING, Les Colby. Mais il était très professionnel, plein de vie et de joie... c'était merveilleux de l'avoir sur le plateau.
Le seul point négatif était une chose dont les gens parlaient entre eux... il aimait l'ail, et croyait aux vertus curatives de l'ail cru. Il pouvait avaler plus de dix gousses d'ail par jour... et il était en pleine forme ! Il fumait beaucoup également ; il allumait une clope, l'oubliait, et en allumait une autre, de sorte qu'il se retrouvait à en fumer deux en même temps. Mais dans les petites pièces confinées où nous tournions ses scènes, combinée à la chaleur et à l'humidité de la Georgie en été, l'odeur d'ail était insoutenable !!! L'un des problèmes de Cameron à l'époque était qu'il aimait se rendre aux courses hippiques, et qu'il lui arrivait d'y parier tout le salaire d'un petit film. Aussi, il avait une équipe informelle de gardiens qui essayait de l'en empêcher. Il me manque vraiment, et j'aimais son travail... Jetez un œil sur La Bête hurle (André De TOTH, 1953), Mort d'un commis voyageur (Laslo Benedek, 1951), Hombre (Martin RITT, 1977), ou sur des épisodes de Chapparal... C'était un foutu bon acteur... formidable visage... grande présence... Sa performance dans Whisper est une chose dont je suis très fier, et il en était fier aussi. Je l'ai vu pour la dernière fois quelques mois avant sa mort, en 1994... J'avais essayé de l'engager dans un film d'action avec Oliver GRUNER que je devais réaliser. Le film ne s'est pas fait, et je n'ai jamais plus travaillé avec lui ensuite ; mais il a eu une grande vie, qu'il a pleinement vécue. ET il était incroyablement fier des cinq ou six films qu'il avait tournés avec Mario BAVA... il aimait BAVA et aimait l'évoquer...
"Les petites pièces confinées où nous tournions ses scènes"
(4ème sketch, Co : David WHITE)
(4ème sketch, Co : David WHITE)
BBJ : Vous avez employé Vincent PRICE à une époque où il était assez amer, et critiquait les films fantastiques. On sait qu'il a jugé le film trop gore, lors de sa sortie. Et Denis MEIKLE a écrit, dans son livre "Vincent Price, the Art of Fear", qu'il avait des problèmes conjugaux avec Coral BROWNE au moment du tournage. Cette tristesse se ressentait-elle sur le plateau ?
Jeff C. BURR : C'est une longue histoire que celle de Vincent PRICE dans From a Whisper. Bien sûr, nous le voulions depuis le début pour ce rôle ; j'avais donc déniché ses coordonnées dans un service d'adresses de célébrités, et je suis allé chez lui avec mon producteur Darin SCOTT, pour lui remettre le script et lui parler du film. Nous pensions qu'en passant par un agent, nous ne serions pas pris au sérieux, parce que nous n'avions pas beaucoup d'argent, étions des cinéastes inconnus, etc... Donc, nous sommes allés en voiture jusqu'à sa maison, nous nous sommes garés dans la rue, nous avons vu le facteur apporter un colis, et Vincent lui ouvrir la porte ! Nous avons attendu cinq minutes avant d'aller frapper à notre tour. Quand il nous a ouvert, nous lui avons dit que nous étions cinéastes, etc... et IL NOUS A INVITE A ENTRER... Il n'aurait pas pu être plus chaleureux et cordial qu'il ne l'a été. Rien ne l'empêchait de nous envoyer balader, de nous dire d'appeler son agent, ou ce que vous voulez. Qu'il nous ait convié à entrer est, je crois, très révélateur de sa personnalité. Il nous a parlé pendant dix minutes, a pris le script, et nous a dit qu'il le lirait. Le jour suivant, nous avions un message de lui sur notre répondeur, nous disant qu'il trouvait le film bien écrit, qu'il aimait le format de l'anthologie, mais que ce n'était pas le genre de films qu'il souhaitait faire à l'heure actuelle. Il ne disait pas :"Au Diable votre film !", mais c'était quand même une façon de fermer la porte. Du moins, dans notre esprit. Ce devait être autour de mai 1985... Bien...
Nous réalisons le film, tournant les quatre histoires à Dalton, en Georgie, en nous réservant de tourner les scènes de liaison à Los Angeles avec un acteur connu, que nous choisirions en fonction du budget qui nous resterait ! Nous procédons au montage, assemblons les quatre segments (mais sans le final cut, sans musique ni effets, etc...), et planifions les scènes de liaison. Je me disais vaguement que Max VON SYDOW pourrait être notre acteur. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée, mais je le voyais bien présider le film, spectral et intimidant. Son agent était un type nommé Walter KOHNER, qui avait représenté de grands noms d'Hollywood, comme Billy WILDER, John HUSTON, etc... Dans les années 80, l'essentiel du boulot de son agence était fourni par Charles BRONSON - qui avait pris Pancho KOHNER comme producteur - et quelques seconds rôles et vedettes plus ou moins connus. Je téléphone donc à Walter, lui parle de notre projet, lui demande de lire le script, puis il me rappelle. Il me dit que Max VON SYDOW ne ferait le film en aucune façon, mais qu'il avait le client parfait pour moi... Vincent PRICE ! Je n'ai pas mentionné le fait que nous avions déjà contacté Vincent plusieurs mois auparavant. Walter en parla à Vincent, qui demanda à voir l'un des sketches dans une salle de projection de Beverly Hills. Nous décidons de lui montrer le plus sobre des quatre, et le plus attractif sur le plan visuel (l'épisode du marais, avec Harry CAESAR), sans faire allusion à notre brève rencontre précédente. Vincent voit l'épisode et accepte de faire le film. Il devait partir en voyage pour une lecture au sujet de l'art et de la cuisine, et pendant ce temps, avec la bénédiction de Walter, nous réécrivîmes les scènes de liaison, en profitant à fond du fait que nous avions désormais Vincent. Mais voilà que dix jours avant le tournage, Walter nous appelle, paniqué... "Vincent déteste le script ! Il se retire du film !!!" (et c'était le même script dont Walter nous avait dit qu'il était brillant, et que Vincent l'aimait !) Il me fallait donc l'appeler sur son bateau, pour essayer de le convaincre. Peut-être cet appel téléphonique fut-il la meilleure direction d'acteur que j'ai jamais effectuée. Je le persuadai de faire le film, et il m'adressa tout un tas de requêtes, la plus importante étant un téléprompteur, pour qu'il n'ait pas à apprendre son texte. Je parvins à le convaincre de nous accorder une demi-journée de répétition, pour qu'il puisse voir le décor, se mettre dans l'ambiance et rencontrer ses partenaires, etc...
Ce fut un vrai triomphe quand il arriva au studio de prise de son de Roger CORMAN à Venice -- affectueusement baptisé "Le Chantier", parce qu'il ressemblait vraiment à ça. Vincent rencontra tout le monde, fit une rapide séance de photos, puis nous passâmes aux répétitions. Nous avions le téléprompteur pour lui, installé sur le plateau. Il jeta un œil dessus, puis me regarda, et dit... "Qu'est-ce que ça fait là ?" Je m'apprêtais à lui répondre, mais il m'interrompit d'un signe de la main et dit : "Je n'utilise jamais ce genre de choses", et délivra une parfaite interprétation de la première scène, à la lettre près ! J'ai bien cru tourner de l'oeil, mais à partir de ce moment, nous n'avons plus eu le moindre problème avec Vincent. Ce fut même tout le contraire. Il était MERVEILLEUX au travail, si charmant et ouvert avec tout le monde sur le plateau. Otto PREMINGER venait de mourir, et Entertainment tonight [une émission de télévision] vint l'interviewer à propos de Laura (Otto PREMINGER, 1944). Il était amusé et un peu effrayé par Susan TYRELL, qui avait apporté ses sculptures pour qu'il les critique. C'était des sortes d'icônes de la fertilité, qu'elle appelait ses "petites salopes", et tout ce que Vincent trouvait à me dire à ce propos était : "Elle est très dérangée".
Donc, l'amertume que vous évoquez n'était pas vraiment apparente. Vincent était de ces hommes qui prennent vie sur un tournage ; aussi, cela masquait tout trouble intérieur. Néanmoins, oui, dans l'une des interviews qu'il donna sur le plateau, il se mit en colère quand un journaliste le décrivit comme un "acteur de films d'horreur". Il tiquait un peu à ce sujet à l'époque.
Après le tournage de ses scènes, qui ne dura que deux jours, un article parut dans le Los Angeles Time à propos de sa participation au film, qu'il disait être "son dernier film d'horreur". Il déclara ça tel quel, et ce fut imprimé. Forrest J. ACKERMAN lut cet article sans réaliser que Vincent avait déjà tourné le film, et il lui écrivit une lettre cinglante, disant qu'il ne pourrait que regretter d'être associé à un tel film, si sanglant, si pervers et dégénéré. Forry avait vu les quatre sketches lors d'une projection où je l'avais convié, en espérant qu'il en parlerait dans son magazine. Il décréta que c'était l'un des films les plus dépravés qu'il eut jamais vu, et écrivit dans sa lettre que ça l'avait rendu littéralement malade de voir Clu avec sa femme (soeur) nue dans la baignoire ! Cette lettre influença l'opinion de Vincent sur le film jusqu'à sa mort. Je ne crois pas qu'il l'ait jamais vu. Je lui ai écrit pour lui proposer une projection privée, et il m'a répondu que sa santé ne le lui permettait pas pour l'instant, car il sortait d'une opération du pied. Mais juste après le tournage, il m'écrivit une lettre formidable, qui prouvait toute la classe de ce gentleman, disant qu'il était désolé qu'il s'agît plus d'un cri que d'un chuchotement, mais qu'il ne regrettait rien et avait hautement apprécié le tournage. C'est le clou de ma carrière de pouvoir dire que j'ai travaillé avec Vincent PRICE, et je crois qu'il a assuré au film une sorte de longévité, rien qu'en y apparaissant -- car ce fut, et de loin, le film le plus modeste économiquement auquel il ait participé !
Jeff C. BURR : C'est une longue histoire que celle de Vincent PRICE dans From a Whisper. Bien sûr, nous le voulions depuis le début pour ce rôle ; j'avais donc déniché ses coordonnées dans un service d'adresses de célébrités, et je suis allé chez lui avec mon producteur Darin SCOTT, pour lui remettre le script et lui parler du film. Nous pensions qu'en passant par un agent, nous ne serions pas pris au sérieux, parce que nous n'avions pas beaucoup d'argent, étions des cinéastes inconnus, etc... Donc, nous sommes allés en voiture jusqu'à sa maison, nous nous sommes garés dans la rue, nous avons vu le facteur apporter un colis, et Vincent lui ouvrir la porte ! Nous avons attendu cinq minutes avant d'aller frapper à notre tour. Quand il nous a ouvert, nous lui avons dit que nous étions cinéastes, etc... et IL NOUS A INVITE A ENTRER... Il n'aurait pas pu être plus chaleureux et cordial qu'il ne l'a été. Rien ne l'empêchait de nous envoyer balader, de nous dire d'appeler son agent, ou ce que vous voulez. Qu'il nous ait convié à entrer est, je crois, très révélateur de sa personnalité. Il nous a parlé pendant dix minutes, a pris le script, et nous a dit qu'il le lirait. Le jour suivant, nous avions un message de lui sur notre répondeur, nous disant qu'il trouvait le film bien écrit, qu'il aimait le format de l'anthologie, mais que ce n'était pas le genre de films qu'il souhaitait faire à l'heure actuelle. Il ne disait pas :"Au Diable votre film !", mais c'était quand même une façon de fermer la porte. Du moins, dans notre esprit. Ce devait être autour de mai 1985... Bien...
Nous réalisons le film, tournant les quatre histoires à Dalton, en Georgie, en nous réservant de tourner les scènes de liaison à Los Angeles avec un acteur connu, que nous choisirions en fonction du budget qui nous resterait ! Nous procédons au montage, assemblons les quatre segments (mais sans le final cut, sans musique ni effets, etc...), et planifions les scènes de liaison. Je me disais vaguement que Max VON SYDOW pourrait être notre acteur. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée, mais je le voyais bien présider le film, spectral et intimidant. Son agent était un type nommé Walter KOHNER, qui avait représenté de grands noms d'Hollywood, comme Billy WILDER, John HUSTON, etc... Dans les années 80, l'essentiel du boulot de son agence était fourni par Charles BRONSON - qui avait pris Pancho KOHNER comme producteur - et quelques seconds rôles et vedettes plus ou moins connus. Je téléphone donc à Walter, lui parle de notre projet, lui demande de lire le script, puis il me rappelle. Il me dit que Max VON SYDOW ne ferait le film en aucune façon, mais qu'il avait le client parfait pour moi... Vincent PRICE ! Je n'ai pas mentionné le fait que nous avions déjà contacté Vincent plusieurs mois auparavant. Walter en parla à Vincent, qui demanda à voir l'un des sketches dans une salle de projection de Beverly Hills. Nous décidons de lui montrer le plus sobre des quatre, et le plus attractif sur le plan visuel (l'épisode du marais, avec Harry CAESAR), sans faire allusion à notre brève rencontre précédente. Vincent voit l'épisode et accepte de faire le film. Il devait partir en voyage pour une lecture au sujet de l'art et de la cuisine, et pendant ce temps, avec la bénédiction de Walter, nous réécrivîmes les scènes de liaison, en profitant à fond du fait que nous avions désormais Vincent. Mais voilà que dix jours avant le tournage, Walter nous appelle, paniqué... "Vincent déteste le script ! Il se retire du film !!!" (et c'était le même script dont Walter nous avait dit qu'il était brillant, et que Vincent l'aimait !) Il me fallait donc l'appeler sur son bateau, pour essayer de le convaincre. Peut-être cet appel téléphonique fut-il la meilleure direction d'acteur que j'ai jamais effectuée. Je le persuadai de faire le film, et il m'adressa tout un tas de requêtes, la plus importante étant un téléprompteur, pour qu'il n'ait pas à apprendre son texte. Je parvins à le convaincre de nous accorder une demi-journée de répétition, pour qu'il puisse voir le décor, se mettre dans l'ambiance et rencontrer ses partenaires, etc...
Ce fut un vrai triomphe quand il arriva au studio de prise de son de Roger CORMAN à Venice -- affectueusement baptisé "Le Chantier", parce qu'il ressemblait vraiment à ça. Vincent rencontra tout le monde, fit une rapide séance de photos, puis nous passâmes aux répétitions. Nous avions le téléprompteur pour lui, installé sur le plateau. Il jeta un œil dessus, puis me regarda, et dit... "Qu'est-ce que ça fait là ?" Je m'apprêtais à lui répondre, mais il m'interrompit d'un signe de la main et dit : "Je n'utilise jamais ce genre de choses", et délivra une parfaite interprétation de la première scène, à la lettre près ! J'ai bien cru tourner de l'oeil, mais à partir de ce moment, nous n'avons plus eu le moindre problème avec Vincent. Ce fut même tout le contraire. Il était MERVEILLEUX au travail, si charmant et ouvert avec tout le monde sur le plateau. Otto PREMINGER venait de mourir, et Entertainment tonight [une émission de télévision] vint l'interviewer à propos de Laura (Otto PREMINGER, 1944). Il était amusé et un peu effrayé par Susan TYRELL, qui avait apporté ses sculptures pour qu'il les critique. C'était des sortes d'icônes de la fertilité, qu'elle appelait ses "petites salopes", et tout ce que Vincent trouvait à me dire à ce propos était : "Elle est très dérangée".
Donc, l'amertume que vous évoquez n'était pas vraiment apparente. Vincent était de ces hommes qui prennent vie sur un tournage ; aussi, cela masquait tout trouble intérieur. Néanmoins, oui, dans l'une des interviews qu'il donna sur le plateau, il se mit en colère quand un journaliste le décrivit comme un "acteur de films d'horreur". Il tiquait un peu à ce sujet à l'époque.
Après le tournage de ses scènes, qui ne dura que deux jours, un article parut dans le Los Angeles Time à propos de sa participation au film, qu'il disait être "son dernier film d'horreur". Il déclara ça tel quel, et ce fut imprimé. Forrest J. ACKERMAN lut cet article sans réaliser que Vincent avait déjà tourné le film, et il lui écrivit une lettre cinglante, disant qu'il ne pourrait que regretter d'être associé à un tel film, si sanglant, si pervers et dégénéré. Forry avait vu les quatre sketches lors d'une projection où je l'avais convié, en espérant qu'il en parlerait dans son magazine. Il décréta que c'était l'un des films les plus dépravés qu'il eut jamais vu, et écrivit dans sa lettre que ça l'avait rendu littéralement malade de voir Clu avec sa femme (soeur) nue dans la baignoire ! Cette lettre influença l'opinion de Vincent sur le film jusqu'à sa mort. Je ne crois pas qu'il l'ait jamais vu. Je lui ai écrit pour lui proposer une projection privée, et il m'a répondu que sa santé ne le lui permettait pas pour l'instant, car il sortait d'une opération du pied. Mais juste après le tournage, il m'écrivit une lettre formidable, qui prouvait toute la classe de ce gentleman, disant qu'il était désolé qu'il s'agît plus d'un cri que d'un chuchotement, mais qu'il ne regrettait rien et avait hautement apprécié le tournage. C'est le clou de ma carrière de pouvoir dire que j'ai travaillé avec Vincent PRICE, et je crois qu'il a assuré au film une sorte de longévité, rien qu'en y apparaissant -- car ce fut, et de loin, le film le plus modeste économiquement auquel il ait participé !
Rosalind CASH et Vincent PRICE (photo de plateau)
Courtney JOYNER (g.), Tony CLAY et David Del VALLE (d.) autour de Vincent PRICE

BBJ : Dès votre premier film, on perçoit une thématique très personnelle, un univers bien défini. Beaucoup d'éléments de From a whisper to a scream se retrouvent dans vos films suivants. Je citerai trois thèmes en particulier : les enfants dans la guerre (c'est l'un des sujets de Straight into darkness), une méfiance à l'égard des groupes communautaires (le monde du cirque, l'armée, mais aussi la famille), et une certaine critique du matriarcat (vous êtes le premier à avoir intégré des femmes dans la "famille tronçonneuse" : une petite fille, et une mère atroce.) Pouvez-vous me préciser ce qui vous intéresse dans ces thèmes ?
Jeff C. BURR : Je vous remercie de dire cela. Je suis d'accord avec votre jugement, mais je ne connais vraiment pas la réponse à cette question. Si j'allais chez un psychologue, cela m'aiderait peut-être. La famille est certainement un sujet fertile au cinéma, et qui m'a toujours intrigué. J'aime aussi les enfants, et j'aime travailler avec eux, étant un peu un enfant moi-même ! Je dirai que dans Leatherface, les scènes dont je suis le plus satisfait sont celles qui impliquent les dynamiques familiales internes, et plusieurs furent coupées dans la version exploitée en salles. En ce qui concerne la guerre, tout ce que je puis dire est que mon grand-père était militaire de carrière, et qu'il a combattu durant les deux guerres mondiales. Mon père et mon oncle étaient dans l'armée durant la Seconde. Alors, cela a peut-être eu un effet. Quand mon grand-père était parmi nous lorsque j'étais gosse, on pouvait l'entendre tirer dans son sommeil, hurler, revivre ses expériences de guerre... Une partie de moi en est restée hantée.
Jeff C. BURR : Je vous remercie de dire cela. Je suis d'accord avec votre jugement, mais je ne connais vraiment pas la réponse à cette question. Si j'allais chez un psychologue, cela m'aiderait peut-être. La famille est certainement un sujet fertile au cinéma, et qui m'a toujours intrigué. J'aime aussi les enfants, et j'aime travailler avec eux, étant un peu un enfant moi-même ! Je dirai que dans Leatherface, les scènes dont je suis le plus satisfait sont celles qui impliquent les dynamiques familiales internes, et plusieurs furent coupées dans la version exploitée en salles. En ce qui concerne la guerre, tout ce que je puis dire est que mon grand-père était militaire de carrière, et qu'il a combattu durant les deux guerres mondiales. Mon père et mon oncle étaient dans l'armée durant la Seconde. Alors, cela a peut-être eu un effet. Quand mon grand-père était parmi nous lorsque j'étais gosse, on pouvait l'entendre tirer dans son sommeil, hurler, revivre ses expériences de guerre... Une partie de moi en est restée hantée.