J'apprends, sur le tard, que nous célébrons la "Journée de la Bisexualité" (et, conjointement, la Journée du "Refus de l’Échec Scolaire" [???]).
Comme par hasard, je suis retombée la semaine dernière sur cet article publié sur le défunt site "Les Toiles Roses" en 2009, qui fut le texte officiel de mon"coming out" -- bien avant mon "backing in", donc...
La question posée par le gérant du site était : "Que seriez-vous, si vous étiez hétéro ?"...
L'occasion est trop belle d'une republication...
S’affirmer, c’est toujours trahir.
Pour être aimé, restons semblable. À ce qu’on fut ; à ce qu’
« on » croit. Fluctuons pas d’un pouce, revirons pas d’un poil. Si
c’est se contredire que d’être, soyons soi qu’avec des pincettes.
Le placard gay, mes biens chères
sœurs, il est verrouillé triple tour. Il se défonce pas d’une pichenette. Faut
posséder le fort boutoir, maousse et contondant. Quant on a fait péter la
lourde, on est pas quitte pour autant. On est suivi par l’ombre rose… la
nostalgie du confinement… et puis par la fureur rancuneuse et braillarde des ex
co-recluses qui digèrent pas votre escampette…
« Faux derge ! »
qu’elles vous gueulent au cul ! « Judasse !.. Lâcheuse !..
Court-au-con !.. »
Vous devenez l’affreux jojo !
Plus question après ça de fouler le même trottoir – on peut toujours courir
quand on a pris les clous !... On est banni des vieilles plates-bandes…
N’importe !... La bonne air
qu’on respire enfin !...
Ah ! l’Hétéroxygène !...
Épuré de tout miasme ! Ample et revigorant !... La griserie que l’on
s’empoumonne !... Ça vous tourne un peu la caboche après la claustration,
mais à la longue, ça vous requinque !.. C’est pas l’air vicié du
Marais ! Ça vous ravive le teint sans fard !...
Si j’étais hétéro, après mon backing-in, je balancerais dare-dare
tout mon gay-frusquin aux orties… Pas de tri ! Tout ou rien !... Boy
George au dépotoir, et Almond, et Britten !... Je te les vire d’autor de
mes étagères à CD !… Vade retro
Killie ! Antony ! Jobriath !
Je conserve ma vieille
Eartha ?.. un ou deux Judy, pour le fun ?..
Que non ! On pinaille
pas ! On bazarde tout comme ça vient !
Dans ma vidéothèque aussi, à tour
de biscotos je largue ! Morrissey, Paso, Milligan… Mes Bette Davis, mes
Crawford… et tous mes « fantastiques » (on vous l’avait pas
dit ? le genre est infesté de queers …)
Mes livres ? Parlons-en
pas !.. J’ai de quoi remplir trois décharges !..
J’envoie valser, je garde
rien ! Photos, bibelots, lithos ! Tout aux gogues et on tire la
chasse !.. Faut surtout pas s’encombrer d’art, ça vous féminise le gingin…
c’est du ferment à déconfiote…
Si j’étais hétéro, j’aurais ma mère
à dos. La pauvre a jamais pu encadrer les belles-filles, les piffer même de
loin. C’est comme qui dirait intrinsèque à sa constitution. Ça lui blêmit les
sangs dès qu’elle en flaire une en maraude. Elle ferait quand même un effort,
au début, je présume… Un tout petit, pour me complaire… montrer qu’elle se
braque pas d’emblée – ça durerait le temps des colchiques, je me fais pas
d’illuses…
C’est tellement plus mignon d’avoir
un fils en rab ! C’est dans leurs fibres, aux mères… incrusté dans la
moelle… À corps à cris, ça veut du fils ! C’est la dévorante
appétence ! Jamais trop de rejetons mâles ! Et puis un gendre,
l’avantage : c’est pas de la concurrence... Qu’une brue, méfiance !
Ça diffère de grue que d’une lettre ! C’est roué, comme créature ! Ça
vous culbute d’un piédestal en deux coups de reins et trois coups de langue…
Si j’étais hétéro, j’en pincerais
que pour les lesbiennes. Elles seraient mes proies d’élection, pour le défi
qu’elles représentent. Tomber une brouteuse, mes cocos, c’est pas donné au
premier gusse ! C’est valorisant, comme exploit ! Faut être le mec plus ultra… outillé spécifique… pas seulement du falzar,
aussi du ciboulot… avoir un charme dépotant, à transplanter le Fuji en plein
cœur de l’Auvergne…
Les nanas hétéros, c’est pas le
même tintouin. Ça s’emballe en un tournemain, suffit de savoir if’. Le vieux
couplet fait encore bien l’affaire : un coin de lune, un semis d’étoiles…
un bouquet de fleurs bleues vaporisé d’eau de rose… un revenu moelleux et
stable… la garantie de l’exclusive…
la promesse aussi du marmot !.. et du maire ! ça c’est la
cerise !... vous serez leur Seigneur si vous leur miroitez
l’Anneau !...
Ah, non ! C’est trop cafard…
et surtout trop facile... Lever ça, autant lever rien… Je préfère aller
braconner chez les tribus goudous…
Si j’étais hétéro, je le serais
comme une enclume, pour paraphraser qui-sait-bien.
Sorti de ma gouinolâtrie, je serais
archi-homophobe.
J’aurais lu Freud et ses séides, je
saurais bien qu’on naît tous bis,
qu’on devient si ou ça par frousse rétractile devant l’étendue des possibles…
Mais je saurais aussi que, quoi qu’on dise et baise, on est moutons de ses
options sitôt qu’on les a prises. On est tous réacs et claniques, au sein de
nos fières différences comme de la norme hégémonique…
C’est la société qui l’induit…
c’est la merde… c’est l’homme…
D’être instruit de ces choses et
d’en être si déconfit me rendrait encore plus prosélyte de la connerie.
Je vous l’ai déjà dit : je
vomis le juste milieu, les demi-mesures, l’à-peu-presque.
Je serais anti-gay, raciste,
misogyne. Inégalitaire au possible. Ami des génocides.
Je donnerais mon avis sur tout, et
ce serait le seul qui vaille.
Et comme le Monde court à sa perte
à force de se reproduire, je
reproduirais mon pareil à couilles rabattues. Une naissance pour chaque coup
tiré !.. – au fait : je serais Catholique – benoîtement intégriste.
Si j’étais hétéro, je perdrais mes
cheveux et porterais la barbe. Peu soucieux de littérature, j’écrirais sans
relâche, des trucs calibrés pour thuner. Je publierais chez Gallimard des
romans Harlequin sur des époux qui se séparent et des divorcés qui se
remarient. Mes héros seraient cancéreux, psychiatres ou urgentistes. Et vers la
cinquantaine, précocement sénile et résolument chauve, je me risquerais à
décrire la liaison pornographique d’un auteur vieillissant et d’une illettrée
pré-pubère. La bave aux lèvres et les mains moites, je craindrais le scandale
mais n’obtiendrais que le Goncourt. Dans les salons du livre, je ferais du
gringue aux minettes, et je dédicacerais les strings de leurs mamans.
Si j’étais hétéro – je réalise d’un
coup – j’aurais quelques années de moins.
Ça serait bien beau, rajeunir…
Mais je picolerais deux fois plus,
ce qui fait que j’irais pas loin.
Suicidaire patenté, malheureux
comme les pierres, je serais peut-être plus là pour affirmer que je suis gay…
Au fond, si j’étais hétéro, je
serais le même – inversé.
Boy George m’a soufflé la formule
(matez la référence !)
It’s
the same thing in reverse
Nothing
better, nothing worse
Bon,
assez palabré… D’ailleurs,
je me répète… J’ai noirci trois cents pages, jadis, sur le sujet – et ce fut
publié, assure mon éditeur. Heureusement qu’il est là pour m’ôter le doute du
pied, parce que si je comptais sur les lecteurs !.. Cahiers-décharge, ça s’appelle. Profitez
de la pub : elle est jamais passée nulle part, et sera pas rediffusée…
BBJane