part 1 -- part 2
"I wish to God I knew I'd meet my friends in the hereafter, but I know there's nothing, there's nothing." Andy MILLIGAN
En 1971 et 1972, MILLIGAN revient au théâtre avec deux pièces qu'il écrit et met en scène : Section 8 et Cocteau. Les représentations ont lieu dans deux salles pornos gays appartenant à Chellee WILSON, la reine des circuits de cinémas érotiques des années 60-70.
Section 8 raconte la liaison amoureuse de deux marines durant la Seconde Guerre Mondiale -- un jeune blanc cinéphile qui idolâtre Bette DAVIS, et un Noir qui refuse son homosexualité --, et les brimades que leur fait subir un soldat raciste et homophobe récemment arrivé dans leur campement.
Cocteau se penche sur la vie sexuelle de l'auteur des Parents terribles, avec une grande liberté historique et une bonne dose de provocation. Il y est question des rapports que l'écrivain, jeune homme, entretenait avec le comédien Edouard De MAX, ainsi qu'avec deux autres larrons (totalement imaginaires) : un certain William BORDEAUX et un énigmatique personnage muet baptisé "La Biche", dont le rôle se borne à sodomiser violemment Cocteau en l'absence de ses deux amants. Le rideau s'ouvrait sur un acteur se masturbant devant le public -- et éjaculant parfois pour les spectateurs privilégiés venus aux représentations nocturnes.
Cinématographiquement parlant, le début des années 70 marque le commencement des années noires pour MILLIGAN. Le marché des salles populaires et des drive in est saturé par des productions gores et érotiques fauchées, que nul ne veut plus voir à l'heure où le porno gagne les écrans, et où les Majors n'hésitent plus à faire couler l'hémoglobine dans leurs films de prestige.
William MISHKIN et son fils sacrifient au dernier genre rentable dans le domaine de l'exploitation : le kung fu -- pour lequel MILLIGAN manifeste aussi peu de goût que d'aptitude.
Il se voit confier la réalisation d'inserts softcores destinés à pimenter de vieilles bandes exhumées des tiroirs, ainsi que la mise en scène d'un film de blaxploitation, Supercool (1973) narrant les aventures d'un pendant féminin de Shaft. Le tournage sera abandonné suite à un différend opposant Lew MISHKIN à Andy -- qui, du reste, enrageait de devoir diriger un casting presque entièrement composé de Noirs. Inachevée, la bande est elle aussi considérée comme perdue.
Le seul de ses films de l'époque à témoigner d'une certaine ambition artistique est Fleshpot on 42nd street (1972), vision cruelle et nihiliste du monde des prostituées et des drag-queens de la 42ème rue, que certains critiques comparèrent aux meilleurs travaux de WARHOL ou de Paul MORRISSEY.
MILLIGAN rompt une fois de plus avec les MISHKIN suite à l'échec de Supercool ; des menaces de procès sont formulées de part et d'autre, qui ne se concrétiseront jamais.
Le cinéaste déclara avoir abandonné le cinéma d'exploitation par dégoût de la pornographie, alors en plein essor. "J'en suis sorti quand les pénétrations ont commencé, déclara-t-il à son biographe Jimmy McDONOUGH. Lewis MISHKIN me disait : 'Tu es le réalisateur de films immoraux le plus moralisateur que j'aie jamais rencontré.' Je suis très conservateur. Je me fous de parler de toute cette merde, mais la faire... Je trouve dégueulasse de filmer une pénétration (...) Pourquoi mettre des dialogues dans un film si les gens ne veulent voir que de la baise ? (...) J'aime un bon film de cul où il n'y a que du cul, mais quand ils essaient de le scénariser ou de le jouer, c'est simplement mauvais."
En 1974, il réalise Blood, où la fille de Dracula est mariée au fils du loup-garou Larry Talbot -- ce qui nous vaut la description d'une nouvelle famille de tarés, à laquelle s'adjoint un monstre d'une nature inédite chez MILLIGAN : une plante mangeuse d'hommes. Produit pour une poignée de lentilles par un certain Walter KENT (rencontré lors du tournage d'une version gay et porno de Dracula, dont MILLIGAN était le cameraman) le film tomba aux oubliettes à peine sorti sur les écrans.
Ne trouvant plus aucun débouché dans le cinéma, Andy recrute dans la rue une équipe de loosers, de marginaux et de SDF, avec lesquels il monte quelques spectacles dans les endroits les plus miteux et invraisemblables : vieil hôtel désaffecté, salles de réunions de boy scouts, église perdue au fin fond de Staten Island. Durant des années, il dirigera cette singulière compagnie de bras cassés dans des pièces tantôt issues du répertoire classique, tantôt écrites par lui, mais invariablement montées dans l'anarchie la plus totale.
Incapable de rétribuer ses "comédiens" et de rembourser ses divers créanciers, il s'attire trop d'inimitiés pour demeurer à Staten Island. A la fin des années 70, il s'installe donc à Manhattan où il acquiert un immeuble délabré dans Time Square, qu'il souhaite rénover pour en faire un théâtre. Ce qu'il croit être la concrétisation d'un rêve va s'avérer l'un de ses pires cauchemars.
De nouveau, il reforme une troupe de comédiens autour du noyau de fidèles rescapés de la glorieuse époque du "Caffe Cino". Parmi les nouveaux venus, le plus notable est sans doute Dennis MALVASI, un ancien du Vietnam totalement cintré, pensionnaire régulier des prisons, poseur de bombes dans des cliniques d'avortement pour le compte d'une communauté de fanatiques religieux, fossoyeur occasionnel pour la Maffia, vendeur de bibles et amateur d'opéra !
Ayant constitué sa nouvelle compagnie, MILLIGAN se met en quête d'investisseurs, qu'il appâte en leur suggérant que le théâtre leur appartiendra autant qu'à lui, qu'ils pourront y proposer des pièces de leur choix et participer aux mises en scène -- promesses évidemment fallacieuses, MILLIGAN imposant aussitôt sa tyrannie coutumière et refusant toute ingérence dans la direction du lieu.
Les travaux de réfection du bâtiment l'épuisent totalement et ne font qu'affaiblir ses ressources déjà chancelantes. Pour se renflouer, il loue une partie de l'immeuble à de pauvres hères tout aussi démunis que lui.
Le théâtre, baptisé "The Troupe", ouvre néanmoins ses portes en octobre 1977. Situé dans un quartier infesté de délinquants, et à proximité d'une clinique de désintoxication pour drogués, le lieu n'est pas d'un abord très sûr, et, en conséquence, n'attire guère le public -- encore moins les critiques dramatiques. Il y règne un froid sibérien, faute d'un dispositif de chauffage, et il n'est pas rare de voir de la buée s'échapper des lèvres des comédiens pendant les représentations. Le circuit électrique vétuste tombe régulièrement en panne, ce qui contraint les membres de la troupe à effectuer les répétitions dans une obscurité de crypte. L'endroit est si peu rassurant qu'il acquiert rapidement la réputation d'être hanté (ce fut le cas de tous les lieux où résida MILLIGAN).
En dépit de ces facteurs pour le moins contraires, "The Troupe" restera ouvert durant sept ans, engloutissant le maigre avoir de son propriétaire, et entamant sévèrement sa santé.
L'insupportable tension qu'il impose à ses collaborateurs, ses empoignades fréquentes avec les comédiens, sans parler des multiples rixes qui l'opposent aux voyous du quartier, engendrent un tel climat de crainte et d'oppression qu'il finit par y succomber lui-même : durant les dernières années de sa direction du théâtre, il sombre dans la dépression, et souffre de crises d'angoisse répétées qui annihilent toute son énergie.
Il réalisera néanmoins deux films à cette époque : Legacy of blood (1978), nouvelle version de The Ghastly ones, et Carnage (Tuerie - 1983) qui lorgne vers Amityville, la maison du Diable et Poltergeist, et sortira directement en vidéo.
Si le premier, en sa qualité de remake, contient des éléments caractéristiques du cinéma de MILLIGAN, le second, banale histoire de maison hantée par les esprits d'un couple qui s'est suicidé lors de sa nuit de noces, pourrait être l'oeuvre de n'importe quel tâcheron. Anonyme, platement filmé, reprenant servilement les codes du cinéma d'horreur des années 80, dépourvu de la férocité de ton et de la frénésie propres aux bandes milliganiennes des décennies précédentes, il ne peut que décevoir les fidèles du cinéaste.
Criblé de dettes, délaissé par la plupart de ses amis qui ne supportent plus son despotisme, MILLIGAN tente un (ultime) nouveau départ en quittant New York pour Hollywood. Il y rencontre Wayne KEETON, un prostitué demeuré, de vingt ans son aîné, dont il fait son amant. Et, contre toute attente, il se réconcilie avec Lewis MISHKIN, qui lui commande un nouveau film.
Monstrosity (1987), au titre remarquablement approprié, est un mix foireux de Frankenstein, du Toxic Avenger, et d'un "Justicier" bronsonien. Des étudiants en médecine, pour venger le viol et le meurtre de la fiancée de l'un d'eux, ont la brillante idée de créer un Golem (!) qu'ils lancent sur la piste des assassins. A l'issue du tournage, les sempiternelles querelles entre Andy et son producteur atteignent un point culminant lorsque MILLIGAN, armé d'une bonbonne de gaz, menace de mettre le feu au négatif du film.
C'est pour une ex-associée des MISHKIN que MILLIGAN réalise ensuite The Weirdo (1988), considéré par certains commentateurs comme le seul de ses derniers films qui soit digne d'attention, et où subsistent quelques traces de la personnalité de son auteur. Remake d'un des films "perdus" d'Andy, datant de la fin des années 60, The Weirdo est qualifié par le critique Rob CRAIG de "version gore post-moderne de Roméo et Juliette", et d'"histoire d'amour douce-amère et punky" (lire la chronique du film sur l'excellent site HORROR-WOOD, dans la seconde partie d'un dossier consacré à MILLIGAN).
Le dernier film d'Andy, Surgikill (1988), est une comédie gore poussive, dont nul ne semble savoir ce qu'elle est censée raconter, et que tous s'accordent à considérer comme catastrophique.
MILLIGAN, de son propre aveu, avait cessé d'y croire. Le cinéma ne l'intéressait plus, et chaque journée de tournage l'épuisait. Sa dernière activité professionnelle sera son apparition sur une série de photographies publicitaires pour une marque de caravanes.
En 1989, la mort de son amant Wayne KEETON, victime du Sida, achève de le briser moralement. Il ne tarde pas à subir, à son tour, une multitude de troubles physiques et de maladies dont l'origine n'est pas douteuse. Se sachant condamné, il songe au suicide et demande à son biographe, Jimmy McDONOUGH, de lui fournir de la drogue afin de se provoquer une overdose -- ironique décision de la part de cet adversaire acharné des stupéfiants. Le projet restera au stade de l'intention.
Andy MILLIGAN mourra le 3 juin 1991, au Queen of Angels Hospital, à Hollywood.
Nul ne pouvant payer l'incinération qu'il avait souhaitée, il fut inhumé dans une fosse commune.
L'acteur John MIRANDA -- qui fut le Sweeney Todd de Bloodthirsty butchers, et qui secourut fréquemment MILLIGAN durant les dernières années de sa vie -- raconte cette anecdote : l'un des doigts de Andy était légèrement déformé et portait une cicatrice ; MIRANDA l'interrogea un jour à ce sujet, et MILLIGAN lui expliqua qu'il était sorti du ventre de sa mère avec les mains étroitement serrées en poings. L'accoucheur avait dû jouer du bistouri pour disjoindre ses doigts, d'où ces séquelles.
"Andy est né furieux", conclut John MIRANDA.
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La plupart des informations, anecdotes et témoignages mentionnés dans cette série de posts, proviennent de la biographie que Jimmy McDONOUGH a consacrée au cinéaste : The Ghastly one, the sex-gore netherworld of Andy Milligan (Editions A Cappella - 2001).
Passionnant et indispensable, l'ouvrage peut être commandé sur amazon.fr.
En 1971 et 1972, MILLIGAN revient au théâtre avec deux pièces qu'il écrit et met en scène : Section 8 et Cocteau. Les représentations ont lieu dans deux salles pornos gays appartenant à Chellee WILSON, la reine des circuits de cinémas érotiques des années 60-70.
Section 8 raconte la liaison amoureuse de deux marines durant la Seconde Guerre Mondiale -- un jeune blanc cinéphile qui idolâtre Bette DAVIS, et un Noir qui refuse son homosexualité --, et les brimades que leur fait subir un soldat raciste et homophobe récemment arrivé dans leur campement.
Cocteau se penche sur la vie sexuelle de l'auteur des Parents terribles, avec une grande liberté historique et une bonne dose de provocation. Il y est question des rapports que l'écrivain, jeune homme, entretenait avec le comédien Edouard De MAX, ainsi qu'avec deux autres larrons (totalement imaginaires) : un certain William BORDEAUX et un énigmatique personnage muet baptisé "La Biche", dont le rôle se borne à sodomiser violemment Cocteau en l'absence de ses deux amants. Le rideau s'ouvrait sur un acteur se masturbant devant le public -- et éjaculant parfois pour les spectateurs privilégiés venus aux représentations nocturnes.
Cinématographiquement parlant, le début des années 70 marque le commencement des années noires pour MILLIGAN. Le marché des salles populaires et des drive in est saturé par des productions gores et érotiques fauchées, que nul ne veut plus voir à l'heure où le porno gagne les écrans, et où les Majors n'hésitent plus à faire couler l'hémoglobine dans leurs films de prestige.
William MISHKIN et son fils sacrifient au dernier genre rentable dans le domaine de l'exploitation : le kung fu -- pour lequel MILLIGAN manifeste aussi peu de goût que d'aptitude.
Il se voit confier la réalisation d'inserts softcores destinés à pimenter de vieilles bandes exhumées des tiroirs, ainsi que la mise en scène d'un film de blaxploitation, Supercool (1973) narrant les aventures d'un pendant féminin de Shaft. Le tournage sera abandonné suite à un différend opposant Lew MISHKIN à Andy -- qui, du reste, enrageait de devoir diriger un casting presque entièrement composé de Noirs. Inachevée, la bande est elle aussi considérée comme perdue.
Le seul de ses films de l'époque à témoigner d'une certaine ambition artistique est Fleshpot on 42nd street (1972), vision cruelle et nihiliste du monde des prostituées et des drag-queens de la 42ème rue, que certains critiques comparèrent aux meilleurs travaux de WARHOL ou de Paul MORRISSEY.
MILLIGAN rompt une fois de plus avec les MISHKIN suite à l'échec de Supercool ; des menaces de procès sont formulées de part et d'autre, qui ne se concrétiseront jamais.
Le cinéaste déclara avoir abandonné le cinéma d'exploitation par dégoût de la pornographie, alors en plein essor. "J'en suis sorti quand les pénétrations ont commencé, déclara-t-il à son biographe Jimmy McDONOUGH. Lewis MISHKIN me disait : 'Tu es le réalisateur de films immoraux le plus moralisateur que j'aie jamais rencontré.' Je suis très conservateur. Je me fous de parler de toute cette merde, mais la faire... Je trouve dégueulasse de filmer une pénétration (...) Pourquoi mettre des dialogues dans un film si les gens ne veulent voir que de la baise ? (...) J'aime un bon film de cul où il n'y a que du cul, mais quand ils essaient de le scénariser ou de le jouer, c'est simplement mauvais."
En 1974, il réalise Blood, où la fille de Dracula est mariée au fils du loup-garou Larry Talbot -- ce qui nous vaut la description d'une nouvelle famille de tarés, à laquelle s'adjoint un monstre d'une nature inédite chez MILLIGAN : une plante mangeuse d'hommes. Produit pour une poignée de lentilles par un certain Walter KENT (rencontré lors du tournage d'une version gay et porno de Dracula, dont MILLIGAN était le cameraman) le film tomba aux oubliettes à peine sorti sur les écrans.
Ne trouvant plus aucun débouché dans le cinéma, Andy recrute dans la rue une équipe de loosers, de marginaux et de SDF, avec lesquels il monte quelques spectacles dans les endroits les plus miteux et invraisemblables : vieil hôtel désaffecté, salles de réunions de boy scouts, église perdue au fin fond de Staten Island. Durant des années, il dirigera cette singulière compagnie de bras cassés dans des pièces tantôt issues du répertoire classique, tantôt écrites par lui, mais invariablement montées dans l'anarchie la plus totale.
Incapable de rétribuer ses "comédiens" et de rembourser ses divers créanciers, il s'attire trop d'inimitiés pour demeurer à Staten Island. A la fin des années 70, il s'installe donc à Manhattan où il acquiert un immeuble délabré dans Time Square, qu'il souhaite rénover pour en faire un théâtre. Ce qu'il croit être la concrétisation d'un rêve va s'avérer l'un de ses pires cauchemars.
De nouveau, il reforme une troupe de comédiens autour du noyau de fidèles rescapés de la glorieuse époque du "Caffe Cino". Parmi les nouveaux venus, le plus notable est sans doute Dennis MALVASI, un ancien du Vietnam totalement cintré, pensionnaire régulier des prisons, poseur de bombes dans des cliniques d'avortement pour le compte d'une communauté de fanatiques religieux, fossoyeur occasionnel pour la Maffia, vendeur de bibles et amateur d'opéra !
Ayant constitué sa nouvelle compagnie, MILLIGAN se met en quête d'investisseurs, qu'il appâte en leur suggérant que le théâtre leur appartiendra autant qu'à lui, qu'ils pourront y proposer des pièces de leur choix et participer aux mises en scène -- promesses évidemment fallacieuses, MILLIGAN imposant aussitôt sa tyrannie coutumière et refusant toute ingérence dans la direction du lieu.
Les travaux de réfection du bâtiment l'épuisent totalement et ne font qu'affaiblir ses ressources déjà chancelantes. Pour se renflouer, il loue une partie de l'immeuble à de pauvres hères tout aussi démunis que lui.
Le théâtre, baptisé "The Troupe", ouvre néanmoins ses portes en octobre 1977. Situé dans un quartier infesté de délinquants, et à proximité d'une clinique de désintoxication pour drogués, le lieu n'est pas d'un abord très sûr, et, en conséquence, n'attire guère le public -- encore moins les critiques dramatiques. Il y règne un froid sibérien, faute d'un dispositif de chauffage, et il n'est pas rare de voir de la buée s'échapper des lèvres des comédiens pendant les représentations. Le circuit électrique vétuste tombe régulièrement en panne, ce qui contraint les membres de la troupe à effectuer les répétitions dans une obscurité de crypte. L'endroit est si peu rassurant qu'il acquiert rapidement la réputation d'être hanté (ce fut le cas de tous les lieux où résida MILLIGAN).
En dépit de ces facteurs pour le moins contraires, "The Troupe" restera ouvert durant sept ans, engloutissant le maigre avoir de son propriétaire, et entamant sévèrement sa santé.
L'insupportable tension qu'il impose à ses collaborateurs, ses empoignades fréquentes avec les comédiens, sans parler des multiples rixes qui l'opposent aux voyous du quartier, engendrent un tel climat de crainte et d'oppression qu'il finit par y succomber lui-même : durant les dernières années de sa direction du théâtre, il sombre dans la dépression, et souffre de crises d'angoisse répétées qui annihilent toute son énergie.
Il réalisera néanmoins deux films à cette époque : Legacy of blood (1978), nouvelle version de The Ghastly ones, et Carnage (Tuerie - 1983) qui lorgne vers Amityville, la maison du Diable et Poltergeist, et sortira directement en vidéo.
Si le premier, en sa qualité de remake, contient des éléments caractéristiques du cinéma de MILLIGAN, le second, banale histoire de maison hantée par les esprits d'un couple qui s'est suicidé lors de sa nuit de noces, pourrait être l'oeuvre de n'importe quel tâcheron. Anonyme, platement filmé, reprenant servilement les codes du cinéma d'horreur des années 80, dépourvu de la férocité de ton et de la frénésie propres aux bandes milliganiennes des décennies précédentes, il ne peut que décevoir les fidèles du cinéaste.
Criblé de dettes, délaissé par la plupart de ses amis qui ne supportent plus son despotisme, MILLIGAN tente un (ultime) nouveau départ en quittant New York pour Hollywood. Il y rencontre Wayne KEETON, un prostitué demeuré, de vingt ans son aîné, dont il fait son amant. Et, contre toute attente, il se réconcilie avec Lewis MISHKIN, qui lui commande un nouveau film.
Monstrosity (1987), au titre remarquablement approprié, est un mix foireux de Frankenstein, du Toxic Avenger, et d'un "Justicier" bronsonien. Des étudiants en médecine, pour venger le viol et le meurtre de la fiancée de l'un d'eux, ont la brillante idée de créer un Golem (!) qu'ils lancent sur la piste des assassins. A l'issue du tournage, les sempiternelles querelles entre Andy et son producteur atteignent un point culminant lorsque MILLIGAN, armé d'une bonbonne de gaz, menace de mettre le feu au négatif du film.
C'est pour une ex-associée des MISHKIN que MILLIGAN réalise ensuite The Weirdo (1988), considéré par certains commentateurs comme le seul de ses derniers films qui soit digne d'attention, et où subsistent quelques traces de la personnalité de son auteur. Remake d'un des films "perdus" d'Andy, datant de la fin des années 60, The Weirdo est qualifié par le critique Rob CRAIG de "version gore post-moderne de Roméo et Juliette", et d'"histoire d'amour douce-amère et punky" (lire la chronique du film sur l'excellent site HORROR-WOOD, dans la seconde partie d'un dossier consacré à MILLIGAN).
Le dernier film d'Andy, Surgikill (1988), est une comédie gore poussive, dont nul ne semble savoir ce qu'elle est censée raconter, et que tous s'accordent à considérer comme catastrophique.
MILLIGAN, de son propre aveu, avait cessé d'y croire. Le cinéma ne l'intéressait plus, et chaque journée de tournage l'épuisait. Sa dernière activité professionnelle sera son apparition sur une série de photographies publicitaires pour une marque de caravanes.
En 1989, la mort de son amant Wayne KEETON, victime du Sida, achève de le briser moralement. Il ne tarde pas à subir, à son tour, une multitude de troubles physiques et de maladies dont l'origine n'est pas douteuse. Se sachant condamné, il songe au suicide et demande à son biographe, Jimmy McDONOUGH, de lui fournir de la drogue afin de se provoquer une overdose -- ironique décision de la part de cet adversaire acharné des stupéfiants. Le projet restera au stade de l'intention.
Andy MILLIGAN mourra le 3 juin 1991, au Queen of Angels Hospital, à Hollywood.
Nul ne pouvant payer l'incinération qu'il avait souhaitée, il fut inhumé dans une fosse commune.
L'acteur John MIRANDA -- qui fut le Sweeney Todd de Bloodthirsty butchers, et qui secourut fréquemment MILLIGAN durant les dernières années de sa vie -- raconte cette anecdote : l'un des doigts de Andy était légèrement déformé et portait une cicatrice ; MIRANDA l'interrogea un jour à ce sujet, et MILLIGAN lui expliqua qu'il était sorti du ventre de sa mère avec les mains étroitement serrées en poings. L'accoucheur avait dû jouer du bistouri pour disjoindre ses doigts, d'où ces séquelles.
"Andy est né furieux", conclut John MIRANDA.
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La plupart des informations, anecdotes et témoignages mentionnés dans cette série de posts, proviennent de la biographie que Jimmy McDONOUGH a consacrée au cinéaste : The Ghastly one, the sex-gore netherworld of Andy Milligan (Editions A Cappella - 2001).
Passionnant et indispensable, l'ouvrage peut être commandé sur amazon.fr.
3 commentaires:
Passionnante lecture d'une vie complètement dingue ! Je n'ai vu que THE GHASTLY ONES, voilà bien longtemps déjà, dans une copie rougeâtre en très mauvais état. C'était très particulier...
Hi Frédérick !
Merci de ta visite ! Quelle joie de te retrouver ici ! Et d'explorer ton propre blog, dont la lecture fait resurgir bien des souvenirs partagés...
Amitiés de BB.
Thank you for shharing this
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