jeudi 16 octobre 2008

ANDY MILLIGAN (1929-1991) 2ème partie

La première partie de ce dossier peut être lue ici.

"Milligan pictures are very moral pictures, actually. Extremely moral. They show what happens if you fuck around." Andy MILLIGAN.



Derrière la caméra ou sur la scène d'un théâtre, les méthodes de travail de MILLIGAN obéissent à un même principe : techniciens et acteurs sont là pour en baver.
Le tournage de The Ghastly ones n'échappe pas à la règle : engueulades permanentes, cruauté mentale, violence physique. "Andy était totalement, hystériquement cinglé -- hurlant sans cesse", assure la comédienne Carol VOGEL. Lors de la scène d'incendie qui clôt le film, aucune disposition n'ayant été prise pour maîtriser le feu, l'acteur Hal BORSKE, couvert de kérosène, faillit finir en barbecue. Il goûta d'un autre plaisir à l'occasion de l'invraisemblable séquence où le personnage qu'il incarne (le bossu débile de service) se jette sur un lapin et lui ouvre le ventre à coups de dents pour lui dévorer les entrailles. Si le sang était synthétique, l'animal, en revanche, était bien réel, mort depuis un temps indéterminé mais suffisant pour qu'il dégageât une puanteur atroce ; l'expression de BORSKE à l'image traduit moins l'appétit féroce que l'imminence de la gerbe.

 
Portrait au lapin
(Hal BORSKE)

Le scénario de The Ghastly ones exploite une trame qui resservira fréquemment dans les films d'Andy : les membres d'une famille de dingues, rassemblés dans la demeure ancestrale, sont tour à tour décimés par l'un des leurs, plus barge que les autres. Ici, la réunion est motivée par la promesse d'un héritage, une clause du testament impliquant que les trois filles du défunt séjournent dans sa résidence en compagnie de leurs époux, et ce "dans une parfaite harmonie sexuelle, telle que je ne l'ai jamais connue avec votre mère." L'harmonie fera long feu, les trois femelles s'avérant être des garces manipulatrices, et leurs maris de sombres crétins gouvernés par le sexe. Les protagonistes sont occis l'un après l'autre par un maniaque encapuchonné, ce qui donne lieu à des scènes gores trop artisanales pour être opérantes, et d'une suave ineptie : un homme est scié en deux dans une cave, une femme est décapitée et sa tête servie dans une cocotte lors du dîner, une autre se prend un hachoir dans le crâne.
MILLIGAN fait une brillante démonstration de sa technique de cadrage très personnelle, que les commentateurs baptiseront ironiquement "swirl camera" (caméra tournoyante). L'objectif ne se fixe sur rien, virevolte au petit bonheur la chance, créant un climat de frénésie en parfaite adéquation avec l'état d'esprit du cinéaste et ses intentions : exprimer le chaos qui gouverne le monde et préside aux rapports humains.
Il n'est pas rare que la bande-son restitue les imprécations d'Andy et les directives qu'il aboie aux acteurs ; ainsi un mémorable : "Plus vite ! Grouillez-vous ! J'vais manquer d'pellicule !"
A la demande des producteurs, MILLIGAN dut ajouter une séquence gore à son métrage, jugé insuffisant ; opposé à cette injonction, mais contraint d'y céder, il décide de filmer un prégénérique n'ayant aucun rapport avec le reste du film : un couple d'amoureux, muni d'un parasol (?), folâtre dans la nature avant de se faire couper en morceaux par Hal BORSKE. Qui sont ces jeunes gens ? Pourquoi le bossu, qui nous sera présenté par la suite comme un attardé inoffensif, les massacre-t-il ? Et surtout : pourquoi n'arbore-t-il pas l'hilarante prothèse de dents déchaussées dont il sera affligé dans toutes les scènes suivantes ?... Lorsque le comédien, au moment de tourner la scène, signalera ce détail au cinéaste et s'inquiètera de ne plus avoir ses monstrueux chicots, MILLIGAN lui répondra laconiquement : "Tu n'as qu'à faire semblant, chéri."
Mentionnons également la délicieuse scènette, elle aussi parfaitement extérieure à l'intrigue, où l'un des protagonistes masculins subit les avances à peine voilées de son frère homosexuel.
Le meilleur commentaire jamais formulé sur le film reste celui du réalisateur Joe DANTE : "Un home movie tourné à Bedlam" ! (Bedlam était un célèbre asile d'aliénés londonien du 18ème siècle.)


Madame est servie
(Carol VOGEL -- ou ce qu'il en reste...)


En 1968, MILLIGAN s'accorde deux folies : un quasi remake en noir et blanc de The Ghastly ones, intitulé Seeds, et son mariage avec l'actrice principale du film, Candy HAMMOND.
Son producteur du moment, Allen BAZZINI, se souvient lui avoir demandé, effaré, pourquoi il se mariait : "Andy a répondu : "C'est juste pour la presse". J'ai demandé : "Quelle presse ? De quoi est-ce que tu parles ?" Je veux dire, ce type n'était pas Cecil B. DeMille !"C'est pourtant la même raison qu'invoque l'heureuse élue : "Il avait décidé que dans son métier, une épouse était un avantage, car beaucoup de mecs dans le milieu n'aimaient pas les gays. Alors il a simplement décidé qu'il avait besoin de ça -- et que je ferais l'affaire aussi bien que n'importe qui."
La cérémonie se déroula à l'issue d'une journée de tournage, dans le décor même de Seeds (et d'une grande partie des premiers films de MILLIGAN) : sa maison victorienne de Staten Island, qu'il prétendait hantée. Une fête passablement bordélique fut organisée à la hâte. Hal BORSKE se souvient qu'"il y avait beaucoup de suçage de bites dans le grenier", et que MILLIGAN quitta finalement l'assistance pour célébrer l'événement dans un bar gay -- sans sa femme.


Just married
(de gauche à droite : Andy, la seconde femme de son père, la mariée, et Andy Senior)


Moins gore que The Ghastly ones, Seeds est encore plus féroce dans son évocation des joies de la famille. Un réveillon de Noël est cette fois le prétexte à la réunion d'une assemblée de crabes unis par les liens d'un sang mêlé de vitriol. Une mère paralytique, bien entendu acariâtre et manipulatrice, orchestre les chicanes depuis son fauteuil roulant, tandis qu'un mystérieux assassin décime une fois de plus l'assemblée avec un entrain méritoire.
Il est hélas difficile de se faire une idée du film tel que l'avait conçu MILLIGAN, nombre de scènes cruciales ayant été coupées sans son consentement (un passage où un prêtre masochiste se fait cracher dans la bouche par Candy HAMMOND ; le suicide de l'un des personnages), et remplacées par d'interminables séquences érotiques. Tel quel, Seeds (également connu sous le titre Seeds of sin) est pratiquement incompréhensible, et vaut surtout pour la galerie de portraits monstrueux qu'il nous offre.
Torture dungeon (1969) est la première bande réalisée par MILLIGAN pour le compte des nouvelles productions MISHKIN : Constitution Films. Souvent considérée comme son film le plus outré, cette grand-guignolesque chronique médiévale relate les manigances ourdies par le Duc de Norwich pour accéder au pouvoir. On peut y entendre l'une des plus mémorables répliques écrites par MILLIGAN (dialoguiste de tous ses films), lorsque, surpris par son épouse en flagrant délit d'adultère avec le bossu attardé qui lui sert de domestique, le Duc déclare fièrement : "Je ne suis pas homosexuel, je ne suis pas hétérosexuel, je ne suis pas asexué... Je suis TRISEXUEL... J'essaie n'importe quoi, pour le plaisir !"
Tourné sur les plages de Staten Island censées évoquer les côtes britanniques, Torture dungeon valut à MILLIGAN des menaces de mort émanant de la faune locale, dont il avait recruté quelques spécimens pour tenir des rôles secondaires. Lorsqu'ils découvrirent le film lors de sa sortie en salles, leur effarement fut tel qu'ils voulurent en lyncher l'auteur ! Pour échapper à leur vindicte, le malheureux dut fuir son domicile pendant plus d'un mois.
Hal BORSKE relate que les costumes, confectionnés par "Raffiné" (le pseudo de MILLIGAN couturier), avaient une fâcheuse tendance à se décrocher des épaules des comédiens au moment inopportun ; c'est ainsi que Susan CASSIDY et lui se retrouvèrent à poil devant la caméra, lors d'une scène qui fut conservée au montage. (La preuve par l'image :)


"Dis rien, mais... on aurait pas perdu quèqu'chose, là ?..."
(de gauche à droite : Susan CASSIDY, Gerry JACUZZO, Hal BORSKE)


En 1968, MILLIGAN gagne l'Angleterre à la demande du producteur Leslie ELLIOT (co-producteur, entre autres, du Cul-de-sac de Roman POLANSKI), qui lui propose un contrat de cinq ans pour quinze films. Sur place, il se constitue une nouvelle troupe de comédiens et entame le tournage de Nightbirds, un huis-clos à deux personnages qui reprend la trame de L'Obsédé de William WYLER (1964), en inversant sa donnée de base (cette fois, c'est la femme qui séquestre l'homme.)
Suit The Body beneath (1969), sur l'enlèvement d'une jeune fille par une famille de vampires qui souhaite lui faire engendrer une vaste progéniture. Dans cette oeuvre étonnamment soignée -- la plus professionnelle de MILLIGAN, techniquement --, se rencontrent l'inévitable bossu, un trio de harpies-zombies, et l'habituel cellule familiale dégénérée, ici dirigé par un pasteur suceur de sang. MILLIGAN s'applique à respecter une esthétique "Hammer" empreinte de classicisme gothique, mais ne renonce pas pour autant à ses excès gores et sadomasochistes ; ainsi notre cher bossu, attaché à un arbre, se fait-il copieusement torturer lors d'une séquence haute en couleur (pourpre). MILLIGAN était particulièrement fier d'avoir tourné cette scène à l'endroit même où un jeune garçon avait été saigné à mort quelques mois plus tôt, ligoté de la même façon.




A l'issue du tournage, un conflit éclata entre Andy et le père de son producteur, qui l'accusait, entre autres, d'antisémitisme. Leslie ELLIOT découvrit à cette occasion que son paternel possédait secrètement la mainmise sur sa société, ce qui le contraignit à virer MILLIGAN, de mauvaise grâce -- il semble avoir éprouvé une réelle admiration pour le cinéaste.
Coincé en Angleterre, sans travail et en panne d'argent, MILLIGAN fait de nouveau appel à William MISHKIN, qui lui commande trois films à tourner en terre britannique.
Le premier, Bloodthirsty butchers (1969) est une évocation brutale et gorissime des fameux crimes commis par Sweeney TODD et sa complice, Mrs LOVETT. Le rôle du barbier sanglant est brillamment tenu par John MIRANDA, acteur américain avec qui MILLIGAN avait jadis tourné dans une publicité pour... les rasoirs Gillette ! (On ne sort décidément pas des problèmes de barbe...) Relativement fidèle au roman-feuilleton original, Bloodthirsty butchers surenchérit dans la violence et l'hémoglobine, et présente, comme à l'accoutumée, une galerie de personnages plus crapuleux les uns que les autres. Il contient cette mémorable diatribe anti-femmes, énoncée par le meurtrier : "Les femmes ne peuvent endurer le bonheur plus de trois jours d'affilée. Elles finissent par devenir dingues. Il faut savoir intervenir avant que ça les prenne. Alors -- vous leur pardonnez tout, vous les baisez, et vous êtes tranquilles pour trois jours !"



The Rats are coming ! The Werewolves are here !
(1969 - mais sorti en 1972) explore à nouveau les arcanes d'une famille monstrueuse, cette fois constituée de loups-garous. Le succès de Willard (1971 - Daniel MANN) incita MISHKIN à adjoindre, après coup, quelques rats au scénario et au titre du film (originalement baptisé Curse of the full moon). La bande reste fameuse pour une séquence infâme où un pauvre gaspard, réel et bien vivant, se fait enfoncer une aiguille dans la tête d'un coup de marteau ! L'actrice Hope STANSBURY refusa de tourner la scène, et fut abasourdie de voir MILLIGAN confier le travail à un tout jeune garçon, à qui il fit endosser la robe de la comédienne.
The Man with two heads est une libre adaptation de L'Etrange cas du Dr. Jekyll, dans laquelle le médecin élabore son sérum à partir des cellules cérébrales d'un émule de Jack l'Eventreur. MILLIGAN semble avoir intégré beaucoup d'aspects de sa propre personnalité dans le rôle de Hyde, et apporta un soin tout particulier à la réalisation des scènes où ce dernier tourmente une prostituée dans un bordel.
De retour en Amérique, il s'associe avec l'un barons de la 42ème rue, Phil TODARO, pour créer sa propre maison de production : Nova International Pictures. Pour l'occasion, il acquiert sa première caméra 35 mm -- qui le contraindra, par sa lourdeur et sa maniabilité réduite, à renoncer aux cadrages azimuthés et tournoyants qui sont sa marque de fabrique.
Avec ce nouvel équipement, il réalise Guru, the mad monk, qu'il considèrera par la suite comme son plus mauvais film. Les difficultés qu'il rencontra lors du montage sont pour beaucoup dans ce jugement ; n'ayant tourné jusqu'alors qu'en son direct, il éprouva une peine infinie à assimiler les techniques de synchronisation sonore. De plus, les problèmes financiers que lui posa Nova International dès sa naissance, contribuèrent au sentiment d'échec exprimé par le cinéaste à l'égard de cette bande.
En vérité, Guru, the mad monk apparaît comme l'une de ses oeuvres les plus sadiques et démentes, une charge anticléricale ultra-queer, dans laquelle un prêtre corrompu torture et massacre ses ouailles dans l'enceinte de son église, avec le soutien d'une communauté de disciples frappadingues. Il s'associe à une femme vampire afin d'accroître ses pouvoirs, mais sera victime de la trahison d'un jeune garçon pour qui il s'est imprudemment pris d'affection.
Décapitations, membres arrachés, énucléations, flagellations, tout l'éventail des sévices est exploré par MILLIGAN dans cette œuvre blasphématoire, à la fois hilarante à force de maladresses et d'outrances, inquiétante lorsque l'on s'interroge sur les motivations profondes de son auteur, et hypnotique de par sa froide accumulation d'atrocités.



Father Guru (Neil FLANAGAN) et son fidèle larbin bossu (Jack SPENSER).
(Guru, the mad monk
- 1970)

Le film marquera le commencement du déclin professionnel et personnel de MILLIGAN. A une époque où le cinéma d'exploitation se trouve en perte de vitesse -- car concurrencé par les grosses productions hollywoodiennes désormais acquises à l'horreur et au sexe --, MILLIGAN aura une peine infinie à imposer son univers à l'écran.
Nous évoquerons la dernière partie de sa vie et de sa carrière dans notre prochain post -- comptez une bonne dizaine de jours, pour cause de villégiature amoureuse.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Excellent double-billet consacré à un réalisateur dont je n'avais jamais entendu parler. Daniel a raison, tu nous fais passer pour des incultes ;o)