1ère partie
2ème partie
3ème partie
4ème partie
Avec Satan's Playground, distribué en 2006 par la prestigieuse firme Anchor Bay Entertainment, le cinéaste s'essaie à une production plus accessible au grand public. Le scénario se veut un hommage au cinéma d'horreur des années 1970 et du début des années 1980. Pour souligner cette parenté, trois acteurs s'étant illustrés dans des titres emblématiques de l'époque sont mis à contribution : Edwin Neal (l'auto-stoppeur du Massacre à la tronçonneuse original), Ellen Sandweiss (dont c'est le premier film depuis le mythique Evil Dead de 1981) et Felissa Rose (le meurtrier transgenre de Massacre au camp d'été, Robert Hiltzik, 1983). Autre référence familière aux spectateurs américains : le scénario intègre une légende rurale bien connue aux Etats-Unis, celle du Diable de Jersey. Cette créature à tête de chèvre et aux ailes de chauve-souris serait le treizième enfant d'une habitante de Pine Barrens (immense étendue forestière située dans le New Jersey), Jane Leeds, et aurait tué sa génitrice avant de disparaître dans la forêt. Satan's Playground fut tourné sur les lieux mêmes où l'histoire est censée s'être déroulée et que hanterait le monstre depuis trois siècles. Un couple, Donna et Frank Bruno, leur fils autiste (Sean), la sœur de Donna (Paula) et son bébé tombent en panne de voiture alors qu'ils vont passer quelques jours de vacances dans Pine Barrens. Frank va chercher de l'aide dans la forêt et avise une maison décrépite habitée par la vieille Mrs. Leeds, son fils et sa fille Judy. Derrière la demeure, il voit un homme se faire fouetter par une assemblée d'individus encapuchonnés. A peine remis de sa stupeur, il est attaqué par Judy et sa mère qui lui fracassent le crâne. La nuit venant, Donna part à la recherche de son mari et pénètre à son tour chez les Leeds. La vieillarde lui parle du Diable de Jersey et de sacrifices humains perpétrés dans les parages. Droguée par Mrs. Leeds, Donna est malmenée par ses hôtes et par un membre de la mystérieuse société secrète entrevue par Frank. Bien que sérieusement blessée, elle parvient à prendre la fuite. Paula, voulant retrouver son bébé enlevé par Judy, tombe à son tour sous les coups de Mrs. Leeds, tandis que Sean périt en s'enfonçant dans le sol mouvant de la forêt. Revenue sur les lieux avec un policier – promptement assassiné par Judy –, Donna est attaquée par le Diable de Jersey qui l'emporte dans les airs.
Le déroulement mécanique de l'action (les personnages sortent l'un après l'autre de la voiture, se rendent chez les Leeds où il se font martyriser et/ou tuer) évoque le Massacre à la tronçonneuse original et nombre de slashers des années 1980. Le découpage est linéaire et l'intrigue accessible, même si Tomaselli, fidèle à lui-même, maintient quelques ambiguïtés. Ainsi ne saura-t-on jamais qui sont ces hommes encagoulés sur lesquels Mrs. Leeds reste évasive. Satanistes ? Adorateurs du Diable de Jersey ? Membres du clan Leeds (après tout, Donna se réveille à la merci de l'un d'eux après qu'une blessure infligée par Judy lui a fait perdre conscience) ? Comme l'invasion des zombies d'Horror, la présence des membres de ce culte indéterminé semble ne s'expliquer que par le désir d'ajouter au script un élément familier du répertoire fantastique. Un élément qui nous renvoie, là encore, au cinéma d'horreur des Seventies, lorsque les adeptes du Malin étaient en vogue suite au succès de Rosemary's Baby (1968) – en attestent des films comme La Pluie du Diable (Robert Fuest, 1975), Course contre l'Enfer (Jack Starrett, 1975), Necromancy (Bert I. Gordon, 1972), et d'innombrables téléfilms. Les deux séquences impliquant ce cercle maléfique comptent parmi les plus remarquables du film sur le plan visuel, en particulier celle où Donna, attachée à un arbre, est sur le point d'être brûlée par un sataniste vêtu d'une robe écarlate. Derrière elle, un lacis de branchages évoquant une gigantesque toile d'araignée se détache sur le fond noir de la nuit. Bien que tourné en décor naturel, le plan possède une beauté plastique digne des compositions extrêmement artificielles, car conçues en studio, de Nicolas Roeg dans certaines scènes du Masque de la mort rouge (Roger Corman, 1964).
Formellement, Satan's Playground est, avec Torture Chamber, le film le plus abouti de Tomaselli. Les deux œuvres ont le même chef opérateur, Timothy Nailor, qui officiait également sur Horror. Sa photographie est ici somptueuse, pour qui apprécie les couleurs chatoyantes comme des vitrines d'Halloween, les éclairages irréalistes et vivement contrastés, l'esthétique apprêtée et à la limite du kitsch des séries B d'horreur des années 1990. La forêt dense, bruissante des battements d'ailes du Diable de Jersey, la demeure délabrée des Leeds aux pièces pénombreuses encombrées d'objets inquiétants, composent un décor hautement atmosphérique où s'affirme le baroquisme du gothique sudiste (bien que l'action prenne place dans le Nord-Est des Etats-Unis, le climat est celui de la hicksploitation). Un baroquisme auquel participe le jeu outrancier des acteurs incarnant les « méchants ». La théâtralité appliquée et un peu laborieuse d'Irma St. Paule en Mrs Leeds rappelle sa prestation dans Desecration ; en revanche, Christie Sanford, qui jugulait ses excès dans ce dernier film, en fait des tonnes dans le rôle de Judy, qu'elle réduit à une imitation grimacière de la Fanny d'American Gothic (John Hough, 1987)1, tandis qu'Ed Neal recycle, en les exagérant pathétiquement, les mimiques qui firent sa gloire dans Massacre à la tronçonneuse (1974). On pourrait qualifier ces performances de camp si la surcharge était délibérée ; mais il est douteux que St. Paule et Neal (contrairement à Sanford) aient visé à la distanciation : ils cherchent manifestement à susciter l'effroi.
Sans renoncer à ses thèmes ni à ses obsessions, Tomaselli s'emploie à les fondre dans un moule plus conforme aux attentes des fans du cinéma d'horreur commercial. Or, la rencontre d'un découpage relativement classique et d'un imaginaire qui ne peut s'exprimer pleinement que dans la disjonction engendre une bizarrerie supplémentaire. L'inspiration du cinéaste est suffisamment sombre et tordue pour que subsiste dans Satan's Playground une part du malaise qu'exsudaient Desecration et Horror ; mais ce malaise est comme aplani, balisé ; il perd de sa radicalité et ne semble plus émaner directement d'un cauchemar, mais du récit que le rêveur en fait au réveil.
L'accommodement aux conventions du genre est spécialement sensible dans la peinture de la famille dysfonctionnelle, l'un des sujets de prédilection de Tomaselli. Dans Satan's Playground, il n'est plus question d'oppression et de violence parentale, ni de fanatisme religieux. Cette fois, parents et enfants sont unis dans l'exercice du Mal, ce qui est une constante de la hicksploitation depuis Massacre à la tronçonneuse (1974) et La Colline a des yeux (Wes Craven, 1977). Les Leeds sont une famille de psychopathes ruraux « comme les autres », à ceci près qu'ils ont partie liée avec le surnaturel, étant apparentés au Diable de Jersey. Leurs méfaits sont exclusivement dirigés contre des personnes extérieures à leur clan ; la mère ne commet pas d'abus sur sa fille et son fils, ni ces derniers sur elle. S'ils ont une foi quelconque, c'est en des puissances maléfiques que Tomaselli, pour une fois, dissocie de la religion catholique – laquelle ne fait l'objet d'aucune allusion significative dans le métrage. Pine Barrens est bel et bien le « terrain de jeu de Satan » (pour reprendre le titre du film), et seulement de Satan. Cette séparation des forces du Mal et du christianisme, courante dans le cinéma d'épouvante, est inédite chez le réalisateur et constitue une autre concession aux codes de l'horreur mainstream. Quant à la famille des victimes, leurs dissensions sont banales et circonscrites aux rapports conjugaux ou sororaux ; elles épargnent les rapports filiaux. Paula adore son bébé ; Donna et Frank traitent Sean correctement. Ce dernier, incarné par Danny Lopes, l'interprète de Bobby dans Desecration et de Luck dans Horror, pourrait être l'ultime déclinaison du même personnage, muré dans l'autisme suite aux traumatismes subis lors des films précédents. Il est une troisième fois « avalé » par le sol, mais il n'en émerge plus, vaincu par la force d'attraction de l'Enfer.
Après cet intermède quasi-mainstream, Tomaselli se lança dans son entreprise la plus ambitieuse, The Ocean, budgétée à 1,8 millions de dollars – une somme conséquente pour un cinéaste dont aucun film n'a coûté plus de 500 000 dollars. Le scénario, co-écrit par Michael Gingold (rédacteur en chef éphémère du magazine Fangoria), est centré sur une médium qui se rend à Porto Rico pour renouer avec sa famille, suite au décès par noyade du mari et du fils de sa sœur. A son arrivée, d'effrayantes prémonitions l'assaillent, tandis que l'océan fait de plus en plus de victimes. Fort d'un contrat de production avec la compagnie Kindred Media Group, Tomaselli présentait le projet en ces termes au site Horror Society en 2007 : « C'est un film sur des vagues meurtrières et le nettoyage des péchés de la Terre... Il s'agit de la fin du monde... de la colère de Dieu... l'océan lui-même qui se révolte... Il y a un virus mortel du type Ebola qui se propage dans une communauté côtière. The Ocean est un film d'horreur apocalyptique racontant l'histoire d'une famille brisée et dans une profonde douleur psychique2. » Pour tenir le rôle principal, Tomaselli obtint l'accord d'une de ses idoles, Adrienne Barbeau, égérie et ex-épouse de John Carpenter. Le financement tardant à se boucler, la comédienne déclara forfait, devant assumer d'autres obligations. Dee-Wallace Stone et Margot Kidder furent successivement appelées à la remplacer auprès d'une alléchante distribution d'icônes du fantastique et de l'horreur : Tom Akins, Lynn Lowry, Judith O'Dea, et à nouveau Felissa Rose. Hélas, le budget ne fut jamais rassemblé et le projet tomba à l'eau (c'est le cas de l'écrire). Très affecté, Tomaselli traversa une longue période de dépression, envisageant même d'abandonner la réalisation.
1Les deux personnages sont pratiquement identiques physiquement et psychologiquement.
2Mitchell Wells, « Dante Tomaselli New Film The Ocean », site Horror Society, 8 février 2007, https://www.horrorsociety.com/2007/02/08/dante-tomaselli-new-film-the-ocean/, consulté le 21.05.2020
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