vendredi 23 septembre 2016

SI J'ETAIS HETERO...


J'apprends, sur le tard, que nous célébrons la "Journée de la Bisexualité" (et, conjointement, la Journée du "Refus de l’Échec Scolaire" [???]).
Comme par hasard, je suis retombée la semaine dernière sur cet article publié sur le défunt site "Les Toiles Roses" en 2009, qui fut le texte officiel de  mon"coming out" -- bien avant mon "backing in", donc...
La question posée par le gérant du site était : "Que seriez-vous, si vous étiez hétéro ?"...

L'occasion est trop belle d'une republication...


            Si j'étais hétéro, faudrait déjà que je m’emploie à sortir du placard homo où ma nature profonde croupit depuis des lustres. Vous imaginez pas combien c’est délicat ! les inimitiés qu’on se crée ! les gémonies qu’on vous décoche ! la tronche que vous tirent les copines !...
S’affirmer, c’est toujours trahir. Pour être aimé, restons semblable. À ce qu’on fut ; à ce qu’ « on » croit. Fluctuons pas d’un pouce, revirons pas d’un poil. Si c’est se contredire que d’être, soyons soi qu’avec des pincettes.
Le placard gay, mes biens chères sœurs, il est verrouillé triple tour. Il se défonce pas d’une pichenette. Faut posséder le fort boutoir, maousse et contondant. Quant on a fait péter la lourde, on est pas quitte pour autant. On est suivi par l’ombre rose… la nostalgie du confinement… et puis par la fureur rancuneuse et braillarde des ex co-recluses qui digèrent pas votre escampette…
« Faux derge ! » qu’elles vous gueulent au cul ! « Judasse !.. Lâcheuse !.. Court-au-con !.. »
Vous devenez l’affreux jojo ! Plus question après ça de fouler le même trottoir – on peut toujours courir quand on a pris les clous !... On est banni des vieilles plates-bandes…
N’importe !... La bonne air qu’on respire enfin !...
Ah ! l’Hétéroxygène !... Épuré de tout miasme ! Ample et revigorant !... La griserie que l’on s’empoumonne !... Ça vous tourne un peu la caboche après la claustration, mais à la longue, ça vous requinque !.. C’est pas l’air vicié du Marais ! Ça vous ravive le teint sans fard !...
 
Si j’étais hétéro, après mon backing-in, je balancerais dare-dare tout mon gay-frusquin aux orties… Pas de tri ! Tout ou rien !... Boy George au dépotoir, et Almond, et Britten !... Je te les vire d’autor de mes étagères à CD !… Vade retro Killie ! Antony ! Jobriath !
Je conserve ma vieille Eartha ?.. un ou deux Judy, pour le fun ?..
Que non ! On pinaille pas ! On bazarde tout comme ça vient !
Dans ma vidéothèque aussi, à tour de biscotos je largue ! Morrissey, Paso, Milligan… Mes Bette Davis, mes Crawford… et tous mes « fantastiques » (on vous l’avait pas dit ? le genre est infesté de queers …)
Mes livres ? Parlons-en pas !.. J’ai de quoi remplir trois décharges !..
J’envoie valser, je garde rien ! Photos, bibelots, lithos ! Tout aux gogues et on tire la chasse !.. Faut surtout pas s’encombrer d’art, ça vous féminise le gingin… c’est du ferment à déconfiote…

Si j’étais hétéro, j’aurais ma mère à dos. La pauvre a jamais pu encadrer les belles-filles, les piffer même de loin. C’est comme qui dirait intrinsèque à sa constitution. Ça lui blêmit les sangs dès qu’elle en flaire une en maraude. Elle ferait quand même un effort, au début, je présume… Un tout petit, pour me complaire… montrer qu’elle se braque pas d’emblée – ça durerait le temps des colchiques, je me fais pas d’illuses…
C’est tellement plus mignon d’avoir un fils en rab ! C’est dans leurs fibres, aux mères… incrusté dans la moelle… À corps à cris, ça veut du fils ! C’est la dévorante appétence ! Jamais trop de rejetons mâles ! Et puis un gendre, l’avantage : c’est pas de la concurrence... Qu’une brue, méfiance ! Ça diffère de grue que d’une lettre ! C’est roué, comme créature ! Ça vous culbute d’un piédestal en deux coups de reins et trois coups de langue…
 
Si j’étais hétéro, j’en pincerais que pour les lesbiennes. Elles seraient mes proies d’élection, pour le défi qu’elles représentent. Tomber une brouteuse, mes cocos, c’est pas donné au premier gusse ! C’est valorisant, comme exploit ! Faut être le mec plus ultra… outillé spécifique… pas seulement du falzar, aussi du ciboulot… avoir un charme dépotant, à transplanter le Fuji en plein cœur de l’Auvergne…
Les nanas hétéros, c’est pas le même tintouin. Ça s’emballe en un tournemain, suffit de savoir if’. Le vieux couplet fait encore bien l’affaire : un coin de lune, un semis d’étoiles… un bouquet de fleurs bleues vaporisé d’eau de rose… un revenu moelleux et stable… la garantie de l’exclusive… la promesse aussi du marmot !.. et du maire ! ça c’est la cerise !... vous serez leur Seigneur si vous leur miroitez l’Anneau !...
Ah, non ! C’est trop cafard… et surtout trop facile... Lever ça, autant lever rien… Je préfère aller braconner chez les tribus goudous…
 
Si j’étais hétéro, je le serais comme une enclume, pour paraphraser qui-sait-bien.
Sorti de ma gouinolâtrie, je serais archi-homophobe.
J’aurais lu Freud et ses séides, je saurais bien qu’on naît tous bis, qu’on devient si ou ça par frousse rétractile devant l’étendue des possibles… Mais je saurais aussi que, quoi qu’on dise et baise, on est moutons de ses options sitôt qu’on les a prises. On est tous réacs et claniques, au sein de nos fières différences comme de la norme hégémonique…
C’est la société qui l’induit… c’est la merde… c’est l’homme…
D’être instruit de ces choses et d’en être si déconfit me rendrait encore plus prosélyte de la connerie.
Je vous l’ai déjà dit : je vomis le juste milieu, les demi-mesures, l’à-peu-presque.
Je serais anti-gay, raciste, misogyne. Inégalitaire au possible. Ami des génocides.
Je donnerais mon avis sur tout, et ce serait le seul qui vaille.
Et comme le Monde court à sa perte à force de se reproduire, je reproduirais mon pareil à couilles rabattues. Une naissance pour chaque coup tiré !.. – au fait : je serais Catholique – benoîtement intégriste.

Si j’étais hétéro, je perdrais mes cheveux et porterais la barbe. Peu soucieux de littérature, j’écrirais sans relâche, des trucs calibrés pour thuner. Je publierais chez Gallimard des romans Harlequin sur des époux qui se séparent et des divorcés qui se remarient. Mes héros seraient cancéreux, psychiatres ou urgentistes. Et vers la cinquantaine, précocement sénile et résolument chauve, je me risquerais à décrire la liaison pornographique d’un auteur vieillissant et d’une illettrée pré-pubère. La bave aux lèvres et les mains moites, je craindrais le scandale mais n’obtiendrais que le Goncourt. Dans les salons du livre, je ferais du gringue aux minettes, et je dédicacerais les strings de leurs mamans.
 
Si j’étais hétéro – je réalise d’un coup – j’aurais quelques années de moins.
Ça serait bien beau, rajeunir…
Mais je picolerais deux fois plus, ce qui fait que j’irais pas loin.
Suicidaire patenté, malheureux comme les pierres, je serais peut-être plus là pour affirmer que je suis gay
 
Au fond, si j’étais hétéro, je serais le même – inversé.
Boy George m’a soufflé la formule (matez la référence !)
It’s the same thing in reverse
Nothing better, nothing worse
 
Bon, assez palabré… D’ailleurs, je me répète… J’ai noirci trois cents pages, jadis, sur le sujet – et ce fut publié, assure mon éditeur. Heureusement qu’il est là pour m’ôter le doute du pied, parce que si je comptais sur les lecteurs !.. Cahiers-décharge, ça s’appelle. Profitez de la pub : elle est jamais passée nulle part, et sera pas rediffusée…

BBJane



mercredi 8 juillet 2015

TALES OF POE (Alan Rowe Kelly, Bart Mastronardi, 2014)


Avec cette anthologie adaptant deux nouvelles et un poème d'Edgar POE, Alan ROWE KELLY et Bart MASTRONARDI continuent de s'affirmer comme deux des créateurs les plus originaux du cinéma d'horreur américain indépendant. Avidement attendu par les fans, Tales of Poe récompense amplement notre patience, et fait honneur à la fois à ses auteurs et à l'esprit du grand Edgar.


The Tell Tale Heart, écrit et réalisé par Bart MASTRONARDI, offre une relecture audacieuse de la nouvelle "Le Cœur révélateur", plusieurs fois portée à l'écran (la version la plus mémorable est sans doute le court métrage de Jules DASSIN, datant de 1941). Dans le texte original, un jeune homme, obsédé par l'oeil "de vautour - bleu pâle, avec une taie dessus" d'un vieillard moribond dont il a la garde, le tue et l'enterre sous le plancher de sa demeure. Rongé par la culpabilité, il continue d'entendre les battements de cœur du cadavre, et révèle sa sépulture aux policiers venus l'interroger.
Le grabataire borgne devient ici une ancienne star hollywoodienne (Alan ROWE KELLY) vivant recluse dans son vaste manoir, et son assassin est une nurse psychotique, qui raconte son exploit criminel aux pensionnaires de l'asile psychiatrique dans lequel elle est désormais enfermée. Le récit du meurtre fait l'objet d'un flashback, mais les séquences de l'asile sont tout aussi importantes et nous permettent de retrouver la comédienne Desiree GOULD (la tante Martha du très queer Massacre au camp d'été) en infirmière revêche, digne de la Nurse Ratched de Vol au-dessus d'un nid de coucou.
Le segment est bardé de références qui, loin de nuire à l’homogénéité de ton, restituent l'esprit de Poe tout en rappelant son influence sur l'ensemble de la culture américaine. Le plus appuyé de ces hommages concerne Boulevard du crépuscule, ce qui n'étonnera pas de la part de cinéastes comme MASTRONARDI et KELLY, dont l'amour du cinéma d'épouvante est imprégné de sensibilité Camp. Miss Lamar, la diva hollywoodienne déchue, est une version monstrueuse de Norma Desmond, encore plus queer que son modèle puisqu'elle est interprétée par Alan ROWE KELLY, le seul comédien spécialiste du genre (horrifique) ayant établi sa popularité sur des rôles travestis, et donc une mise en question du genre (sexuel).
The Tell Tale Heart présente d'emblée toutes les qualités du reste de l'anthologie : photographie somptueuse (surtout pour un film tourné en DV), mise en scène élégante, et interprétation inspirée (Debbie ROCHON, dans le rôle de la nurse meurtrière, prouve qu'elle est bien davantage qu'une scream queen). On y trouve un avant-goût de ce que risque de donner le remake de Don't Look in the Basement, que Alan ROWE KELLY nous promet depuis des années.



The Cask, écrit, dirigé et interprété par Alan ROWE KELLY, adapte "La Barrique d'Amontillado", autre variation "poesque" sur le thème de l'inhumation criminelle (en l'occurrence, un emmurement). Le sketch nous convie au mariage du riche viticulteur Fortunato Montresor (Randy JONES, le "cowboy" des Village People) et de Gogo (Alan ROWE KELLY), entourés de convives à qui l'événement inspire plus de sarcasmes que de joie. Les réjouissances sont interrompues par un malaise du maître des lieux, terrassé par une violente quinte de toux. Nous découvrons que son piteux état de santé est entretenu par Gogo, dont le plus cher désir est d'être veuve, et qui se tape sans vergogne le meilleur ami de Fortunato. Les deux comploteurs emmurent le malheureux dans sa cave à vin, après l'avoir brûlé vif. A la suite de quoi, Gogo, peu encline à partager l'héritage qui lui échoit, élimine son amant. Dans la bonne vieille tradition des E.C. Comics -- dont le climat imprègne tout le sketch, tant sur le plan de la mise en scène que du scénario --, l'épouse machiavélique connaîtra un châtiment à la hauteur de ses crimes.
Mélangeant film noir et mélodrame gothique, The Cask est dominé par l'interprétation de Alan ROWE KELLY, saisissant en Lucrèce Borgia moderne, qui se grise de sa propre vilenie. Saturé d'humour noir et rendant un brillant hommage à Corman (la scène du retour de l'emmuré est calquée sur la résurrection de Madeline dans La Chute de la maison Usher), le segment est le plus Camp du film. On y retrouve avec plaisir quelques-uns des complices habituels du cinéaste, Zoe DAELMAN CHLANDA, Susan ADRIENSEN et Jerry MURDOCH -- qui tient également un court rôle d'interne dans The Tell Tale Heart.


Dreams, lointainement inspiré d'un poème de Poe, est réalisé par Bart MASTRONARDI sur un scénario de Michael VARRATI. Disons-le tout net, c'est le point culminant de l'anthologie, une façon de chef-d’œuvre surréaliste qui nous renvoie aux grandes heures du cinéma expérimental américain des années 40/60, quelque part entre Maya DEREN et Kenneth ANGER. Nous y assistons aux visions hallucinatoires d'une jeune femme (Bette CASSATT) agonisant auprès de sa mère (Amy STEEL) sur son lit d'hôpital.
Le segment est une pure splendeur visuelle et émotionnelle, où MASTRONARDI effectue un travail de metteur en scène/chef opérateur étonnant d'inventivité -- surtout si l'on considère l'étroitesse du budget dont il disposait. En rupture totale avec les sketchs précédents -- très scénarisés et respectueux des conventions du fantastique traditionnel --, Dreams est une lente dérive dans l'inconscient de son "héroïne", hantée par une trinité féminine composée de sa mère, d'une Reine des Rêves maléfique (Adrienne KING) et d'un Ange des Rêves amical (splendide Caroline WILLIAMS, ex-adversaire de Leatherface dans Massacre à la tronçonneuse 2) qui l'aide à négocier le passage vers l'autre rive. Ce court métrage presque entièrement muet est une subtile plongée dans la psyché féminine, où se côtoient terreur (l'opération chirurgicale, proche des excès du "torture porn"), inquiétude (la superbe séquence du danseur de claquettes dans une maison déserte), et apaisement (le final au bord de l'océan). Un coup de maître, qui en remontre aux prétendus cadors du cinéma d'horreur contemporain, trop souvent prisonniers des redites et des poncifs.






mercredi 31 octobre 2012

DOUBLE PROGRAMME POUR UN HALLOWEEN QUEER


Un an tout rond que je n'ai rien posté sur le blog !... Halloween est une bonne occasion de renouer avec vous, même si, déflation oblige (et manque de temps), je ne vous proposerai cette année que deux films au lieu des sept habituels...



NIGHT, AFTER NIGHT, AFTER NIGHT (Lindsay SHONTEFF, 1969)




Un éventreur décime les femmes de petite vertu dans les quartiers interlopes de Londres, à la manière du bon vieux Jack. Le flic chargé de l'affaire (Gilbert WYNNE), dont l'épouse a été tuée par le maniaque, s'acharne sur un jeune queutard répondant vaguement aux descriptions des rares témoins (cheveux longs, vêtements de cuir). Mais deux autres individus se posent en suspects potentiels : le juge Lomax (Jack MAY), un effroyable puritain aux sentences sans merci, et son assistant Carter (Terry SCULLY), avide lecteur de magazines pornos, doublé d'un misogyne indécrottable (du style à estimer que toute femme violée est une salope qui l'a bougrement bien cherché).
Night, After Night, After Night est l'un des premiers spécimens de la nouvelle vague horrifique britannique qui, à la fin des années 1960, rompit avec la tradition gothique de la Hammer et de l'Amicus en imposant un cadre urbain et contemporain. A ce titre, il fait aujourd'hui l'objet d'une modeste reconsidération, quelques commentateurs n'hésitant pas à y voir l'un des prototypes du slasher et l'héritier abâtardi (car lourdement "exploitatif") du séminal Le Voyeur de Michael POWELL.
C'est faire beaucoup d'honneur à cette bande qui, bien que témoignant d'un certain flair pour les ambiances malsaines et d'un goût marqué pour le trash, n'en est pas moins aussi répétitive que son titre, et extrêmement sage graphiquement. On appréciera surtout l'aperçu qu'elle offre des ultimes soubresauts d'un Swinging London déjà entaché de désillusion et menacé par le nihilisme. A ce titre, le film prend presque valeur de document sociologique et rend avec justesse le  climat d'une époque. Aussi critique envers la jeune génération qu'envers les représentants psychorigides de la Vieille Angleterre, le scénariste Dail AMBLER affiche les intentions ambiguës, entre conservatisme et subversion, que l'on retrouvera dans l’œuvre du cinéaste Pete WALKER quelques années plus tard. Au final, c'est néanmoins la répression sexuelle qu'il semble vouloir désigner comme cause des plus grands maux, sans se départir d'une vague condescendance envers les adeptes de l'amour libre et du Flower Power. Le fait que l'assassin, pour commettre ses crimes, coiffe une perruque "à la Beatles", peut aussi bien constituer un trait d'humour qu'un commentaire acerbe sur la nocivité de la subculture Mod.
L'aspect queer réside tout entier dans les dernières scènes du film, où l'éventreur, pour échapper à la police, se travestit hâtivement en femme, et rencontre un quatuor de tarlouzes bizarrement homophobes, qui se moquent de son déguisement. Après avoir éborgné l'un d'entre eux, il se rend dans son appartement décoré de photos de femmes nues qu'il lacère rageusement, délayant son maquillage dans la sueur et les larmes. Ces scènes d'une réelle intensité dans le grotesque, suggèrent subitement que l'homosexualité refoulée du personnage est peut-être la cause de son comportement meurtrier.
A noter que le film fut produit par la légendaire Butcher Film Distributor, grande pourvoyeuse de petits polars d'exploitation anglais dans les années 1950 et 60. Le réalisateur Lindsay SHONTEFF (travaillant ici sous le pseudonyme de Lewis J. FORCE, peut-être pour des questions contractuelles) signa quantité d’œuvres "bis" des plus recommandables.

CATACLYSM (aka THE NIGHTMARE NEVER ENDS) (Phillip MARSHAK, Tom McGOWAN, Gregg C. TALLAS, 1980)


Remonté et réduit à une petite vingtaine de minutes, Cataclysm devint l'un des sketches de l'anthologie Night Train to Terror, pour les besoins duquel deux autres longs-métrages subirent le même traitement. Le film mobilisa pas moins de trois réalisateurs, dont Phillip MARSHAK, immortel auteur de Dracula X, version porno du roman de STOKER avec Reggie Nalder dans le rôle de Van Helsing ! Croisement incongru du Portrait de Dorian Gray et du Dossier Odessa, cette bande ultra-fauchée mais pleine de grandes ambitions bénéficie (?) d'un scénario foutraque signé par l'oscarisé Philip YORDAN (on croit rêver !), et d'un casting particulièrement alléchant pour l'amateur de vieilles gloires hollywoodiennes reconverties dans le "bis" craspec. On y rencontre en effet Cameron MITCHELL, le "Roi sans Couronne de l'Horreur Malsaine", et Mark LAWRENCE, figure emblématique du film noir dont la carrière fut flinguée par le Maccarthysme.
L'histoire ? Un vieux juif chasseur de nazis (Marc LAWRENCE) reconnaît à la télévision l'ancien directeur du camp de concentration dans lequel périt sa famille. Seulement voilà, le salopiaud n'a pas pris l'ombre d'une ride en 34 ans, ce qui laisse plutôt dubitatif le flic (Cameron MITCHELL) à qui l'ancien déporté fait part de ses soupçons. Parallèlement, l'épouse catho d'un Prix Nobel de littérature, auteur d'un ouvrage sur "la mort de Dieu", fait des cauchemars atroces, à base de lave en fusion (?) et de massacre de violonistes juives lors d'un banquet de S.A. (??) Il s'avère que l'éternellement jeune nazi n'est autre que Satan en personne (ou l'un de ses suppôts, on ne sait trop...), désireux de rallier à sa cause le Prix Nobel athée, afin de faciliter l'avènement de la Bête Immonde.
Plutôt prometteuse sur le papier, l'idée de base devient franchement déconcertante sur pellicule. La faute à des comédiens qui, bien que chevronnés, s'avèrent carrément exécrables (Marc LAWRENCE, en émule de Simon WIESENTHAL nanti d'un accent yiddish à couper au couteau, est d'une extravagante nullité -- le pire étant que, pour Dieu sait quelle raison, il réapparaît dans le rôle d'un flic, et se montre à peine moins catastrophique ; Richard MOLL arbore des moumoutes de couleurs différentes d'une scène à l'autre ; Faith CLIFT joue comme une limande sous Tranxen) ; la faute encore à une mise en scène plus qu'approximative et à des digressions éberluantes (apparition glorieusement superfétatoire d'Amérindiens munis de tomahawks dans une scène totalement étrangère à l'action) ; la faute enfin au mixage bordélique d'intrigues divergentes qui peinent à se souder en un tout cohérent (on notera l'adjonction de scènes discos particulièrement redoutables pour les nerfs et les oreilles).
Assez sobre au niveau de l'horreur graphique, le film devient brutalement gorissime dans sa dernière bobine, où Faith CLIFT, chirurgienne de son état, arrache le cœur du nazi à grands coups de bistouri pour le mettre à cuire au micro-ondes (c'est le premier -- et le seul, à ma connaissance -- exorcisme à cœur ouvert de l'histoire du cinéma) !
L'élément queer est à chercher dans le personnage du dandy S.S. adepte du disco incarné par Robert BRISTOL, dont les succès féminins ne constituent pas l'aspect le plus crédible du scénario : le charmant garçon présente en effet toutes les caractéristiques de la tantouze wildienne, et restera dans les mémoires comme le nazillon le plus choupinet de l'écran depuis Helmut BERGER.

Le film peut être vu en intégralité (et V.O.) sur YouTube !

Robert BRISTOL, son fond de teint et ses gros sourcils.

dimanche 30 octobre 2011

7 FILMS POUR UN HALLOWEEN QUEER


"La tradition, ça a du bon !...", clamait une vieille pub pour je ne sais plus quel fromage. Je vous propose donc ma traditionnelle sélection annuelle de 7 films à (re)découvrir, en vue d'un Halloween très
gay-frightly...

HOUSE OF HORRORS (Jean YARBROUGH, 1946)


Ce petit film Universal assez méconnu chez nous est un exemple typique de la queer horror telle que la firme la pratiquait régulièrement, aussi bien dans ses productions de prestige (La Fiancée de Frankenstein), que dans des bandes plus modestes (La Fille de Dracula, Le Chat noir, Le Corbeau). Comme de coutume, les figures homosexuelles sont représentées par deux catégories de personnages marginaux : l'artiste incompris et le "monstre". La relation "crypto-gay" concerne ici le sculpteur déchard Marcel De Lange (Martin KOSLECK) et un meurtrier au physique repoussant connu sous le nom du "Creeper" (l'acromégalique Rondo HATTON). Alors que le premier s'apprête à se suicider en se jetant dans un fleuve, il en voit émerger le second qu'il sauve de la noyade. Il décide de l'héberger dans son atelier et d'en faire le modèle de sa prochaine œuvre : un buste exprimant toute la laideur et la brutalité tapies dans l'âme humaine. Touché par la sollicitude de son protecteur, le "Creeper" se charge d'éliminer, en leur brisant l'échine, les critiques acharnés à ternir la réputation de De Lange.
Le scénario développe le schéma classique de la relation amicalo-amoureuse entre deux parias solidaires dans leur haine de la société bourgeoise, dont ils se vengent par le crime (le cas de figure le plus connu est le duo formé par Ygor et le monstre de Frankenstein dans Le Fils de Frankenstein -- le docteur Vollin et le meurtrier Bateman du Corbeau en sont une variation, de même que le criminologue Edmond Bancroft et son jeune assistant dans Crimes au musée des horreurs). Quant au thème de la vengeance d'un artiste queer, il annonce la geste meurtrière de Vincent PRICE dans des classiques comme L'Homme au masque de cire, L'Abominable Dr. Phibes, et Théâtre de sang. Le fait que De Lange soit interprété par un comédien notoirement gay ajoute du piment à la chose : Martin KOSLECK, spécialiste des rôles de nazis et figure familière du fantastique, apporte au personnage une ambiguïté facilitant son décryptage, particulièrement dans les scènes où il s'extasie sur l'aspect physique de HATTON, ou lorsqu'il le confronte à l'héroïne, comme on présente un amant caché pour doucher les ardeurs d'une amie trop entreprenante.


Rondo HATTON

Avec une belle absence de scrupules, la Universal misait beaucoup sur les difformités naturelles de HATTON pour relancer son cycle de films d'épouvante. Révélé en tant que "Creeper" dans un film de la série Sherlock Holmes, La Perle des Borgia, le comédien devait mourir quelques mois plus tard des suites de sa maladie, après avoir incarné une dernière fois le personnage dans The Brute Man du même Jean YARBROUGH, sorte de préquelle à House of Horrors.

LES CROCS DE SATAN (Cry of the Banshee, Gordon HESSLER, 1970)


Malgré la citation de quelques vers de POE au générique, Cry of the Banshee ne se présente pas comme une adaptation supplémentaire de l'auteur du "Corbeau" par l'A.I.P., mais louche plutôt du côté du Grand Inquisiteur, en offrant à Vincent Price un nouveau rôle de chasseur de sorcières immoral et inflexible. Contrairement au Matthew Hopkins du film de REEVES, qui profitait de sa fonction pour assouvir ses pulsions sadiques et sa vénalité, Lord Edward Whithman (PRICE) est convaincu d'agir pour la cause du Bien et croit dur comme fer au pouvoir de la sorcellerie. Traquant les membres d'un culte païen, il écope d'une malédiction lancée par la grande prêtresse Oona (l'ancienne star du cinéma allemand Elisabeth BERGNER, dans un comeback singulièrement peu probant). L'un de ses domestiques se transforme en loup-garou et massacre sa famille lors de furieux assauts filmés à grand renfort de lentilles déformantes.



Le scénariste Christopher WICKING confond allègrement paganisme et sorcellerie, et donne au "sidhe" (créature de la mythologie celtique) dont il est question dans le script, l'apparence d'un loup-garou. Les prétentions historiques du film en prennent un sacré coup, et l'on sent chez Gordon HESSLER un certain embarras à donner une vague unité à un matériau des plus disparates. Il s'en tire en insufflant aux moments-clés de l'intrigue un certain lyrisme, qui tend néanmoins à verser à plusieurs reprises dans l'opérette à grand spectacle (voir les scènes de sabbat, où une dizaine de figurants s'épuisent en gesticulations choréiques assez croquignolettes).
Pour Vincent PRICE, lassé de paraître dans des productions de plus en plus négligées, le film fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase et l'incita à demander à son agent de résilier son contrat d'exclusivité avec l'A.I.P. Lors d'une party organisée sur le tournage pour fêter son soi-disant 100ème film, il donna libre cours à son irritation envers le producteur Samuel Z. ARKOFF, à qui il lança, au moment où ce dernier allait couper le gâteau d'anniversaire : "Prenez donc le couteau que vous m'avez planté le dos !"
Pour info : si les illustrations agrémentant le générique vous semblent avoir un petit côté Monty Python, c'est tout bonnement parce qu'elles sont l'œuvre de Terry GILLIAM...

Hadopisable sur SMORGASBLOG...

Extrait : Qui voudrait croire que la délicieuse Quinn O'HARA puisse être une sorcière ?...



A REFLECTION OF FEAR (William A. FRAKER, 1971/73)


Le chef-d'œuvre de cette sélection. A Reflection of Fear reste désespérément ignoré en France (et pour cause : il n'y fut distribué ni en salles ni en vidéo), et à peine plus connu aux Etats-Unis et dans son pays d'origine (le Canada), tout en ayant inspiré pas mal de bandes postérieures à sa réalisation (pour n'en citer que deux : Sleepaway Camp et Unhinged). Atypique, dérangeant, ultra-queer, ce premier film du grand chef-opérateur William A. FRAKER (Rosemary's Baby ; Le Diable à trois ; Bullitt) a tout pour être considéré comme un classique de la gay horror. Tout, sauf un écho suffisant...


Sondra LOCKE y est Marguerite, une jeune fille élevée dans une totale réclusion par sa mère et sa grand-mère, dans une vaste demeure surplombant l'océan. Son seul ami est une poupée baptisée Aaron, avec qui elle entretient d'étranges discussions. Son père, Michael (Robert SHAW), qui ne l'a jamais vue, ressurgit un beau jour en compagnie de sa nouvelle fiancée, Anne (Sally KELLERMAN), afin de demander le divorce à son épouse. Le soir même de sa visite, la mère et la grand-mère de l'adolescente sont brutalement assassinées. Michael décide de séjourner dans la maison le temps de l'enquête ; bien que réalisant combien Marguerite est perturbée, il ne peut se défendre de s'abandonner à l'affection démesurée qu'elle lui témoigne, à la grande inquiétude d'Anne.



Remisé durant deux ans dans les tiroirs des producteurs, qui ne savaient comment vendre un produit aussi singulier, A Reflection of Fear mérite d'être considéré comme un spécimen majeur du fantastique psychologique, dans la lignée de Répulsion ou de Ne vous retournez pas. Tout concourt à sa réussite : raffinement de la mise en scène, qualité de l'interprétation (LOCKE, totalement habitée par son personnage, est absolument remarquable), et surtout scénario profondément audacieux, dont on ne peut évoquer les subtilités sans ruiner les surprises qu'il réserve. Il devient dès lors particulièrement périlleux de proposer une analyse de son contenu queer, ce à quoi je renonce pour le moment (une étude détaillée s'impose, que je tenterai peut-être un jour ou l'autre) ; il me suffit de dire qu'il est d'une hardiesse et d'une pertinence rarement vues dans la production fantastique de l'époque.
En un mot comme en cent : une œuvre à découvrir d'urgence, malheureusement inaccessible en Zone 2, mais hadopisable (en V.O. et copie impeccable) chez notre précieuse amie la grenouille.

La bande-annonce :



SILENT NIGHT, BLOODY NIGHT (Theodore GERSHUNY, 1974)


Les fantasticophiles ont longtemps désigné le Black Christmas de Bob CLARK comme étant l'initiateur du slasher, et l'inspirateur supposé de La Nuit des masques. Il y a quelques années, les multiples sorties en DVD Zone 1 de Silent Night, Bloody Night (tombé dans le domaine public), et sa redécouverte après une longue invisibilité, ont remis ce statut en cause. Avec ses effets de caméra subjective, son mystérieux tueur échappé d'une maison de fous, ses meurtres sauvages et imprévisibles, et son petit jeu des coups de fil anonymes passés aux futures victimes, le film de Theodore GERSHUNY, conçu quelques mois avant celui de CLARK, s'affirme bel et bien comme le précurseur véritable du sous-genre, tout en entretenant des liens étroits avec le giallo. Ces considérations historiques mises à part, il est à coup sûr l'un des films d'horreur américains les plus singuliers des années 70, à la fois ambitieux, confus, et surprenant.
En 1950, la veille de Noël, le fortuné Wilfred Butler jaillit hors de chez lui, le corps dévoré par les flammes. Le coroner conclue à un accident domestique, au grand soulagement des notables de la ville. Butler lègue sa demeure à son petit-fils Jeffrey (John PATTERSON), sous la condition qu'elle restera inhabitée et ne subira aucune rénovation. Vingt ans plus tard, l'héritier dépêche son notaire, John Carter (Patrick O'Neal), auprès des conseillers municipaux, afin de leur proposer d'acheter la propriété. Parallèlement, un dément s'échappe d'un asile voisin, et les différentes personnes impliquées dans la tractation ou liées au passé de la maison sont décimées de sanglante façon. Jeffrey tente de résoudre le mystère avec l'aide de la fille du maire, Diane Adams (Mary WORONOV).


Un modèle de jaquette mensongère...

Impossible d'en raconter davantage sans déflorer une intrigue truffée de retournements de situations et de révélations sordides, au nombre desquelles on relève le viol d'une fillette de 15 ans, un cas d'inceste, et un gueuleton de réveillon suivi d'un massacre dans un asile psychiatrique. Ce dernier élément donne lieu à la scène la plus marquante du film : lors d'un hallucinant flash-back en sépia, GERSHUNY restitue de façon stupéfiante l'esthétique expressionniste des films des années 1910, nous donnant l'impression de visionner une bande tournée à l'aube du cinéma. Une séquence digne des expérimentateurs de l'underground new-yorkais, qui inspirèrent sans doute le cinéaste puisqu'il fait appel à quelques grandes figures de la Factory d'Andy WARHOL, dont la présence donne au film un caractère queer prononcé. Outre Mary WORONOV, qui fit ses débuts d'actrice en tant que "superstar" warholienne, on croise aussi Ondine et Candy DARLING, célèbre transsexuel et muse du Velvet Underground, qui inspira à Lou REED son fameux "Walk on the Wild Side", et dont la photo sur son lit de mort servit de couverture à l'album "I Am a Bird Now" d'Antony and the Johnsons.
Sans avoir l'étoffe d'un classique méconnu, Silent Night, Bloody Night s'impose comme une œuvre atypique qui, en dépit de son scénario embrouillé (ou peut-être grâce à lui), distille une réelle étrangeté et s'inscrit durablement dans la mémoire des spectateurs.

La bande-annonce :



Pour hadopiser le film (en V.O.S.T.) et découvrir le point de vue Throma, rendez-vous sur l'indispensable blog VIDEO PARTY MASSACRE !

DEATH AT LOVE HOUSE (E.W. SWACKHAMER, 1976) Téléfilm


Voilà un titre qui aurait sans doute plu aux surréalistes : La Mort dans la maison de l'amour ! Pourtant, ne vous y trompez pas : la "maison de l'amour" en question n'a rien d'un lupanar, et doit son nom à sa propriétaire, la légendaire autant qu'imaginaire star hollywoodienne des années 30, Lorna Love, décédée dans des circonstances mystérieuses. Rien à voir non plus avec le fait qu'une autre LAMOUR, prénommée Dorothy, fait partie du casting très has-beenophile de cet excellent téléfilm (où l'on croise également John CARRADINE, Joan BLONDELL et Sylvia Sydney), d'autant que la fille au sarong y joue une rivale de Lorna Love ne gardant d'elle que des souvenirs déplaisants. Pour compliquer les choses, la somptueuse villa appartenait en réalité à Harold LLOYD, et devait fournir le décor, quatorze ans plus tard, de l'asile d'aliénés du délectable Delirium.
Mêlant quelques thèmes de Laura et du Démon des femmes à l'ambiance de Boulevard du crépuscule, Death at Love House s'intéresse aux investigations d'un couple d'écrivains (Kate JACKSON et Robert WAGNER) qui souhaitent rédiger une biographie de la star. Ils s'installent dans sa demeure sous l'œil inamical de Sylvia SYDNEY, fidèle gouvernante de la défunte et gardienne de ses secrets (vous avez dit Rebecca ?) Des bouquins pas catholiques découverts dans la bibliothèque de Lorna (le "Malleus Maleficorum" et... "Les Fleurs du Mal" !), ainsi que les témoignages de ses proches, ne tardent pas à convaincre nos deux plumitifs qu'elle s'adonnait à la magie noire. Il se trouve en outre que le père de WAGNER fut l'un des innombrables amants de Lorna ; artiste peintre, il réalisa d'elle un portrait merveilleusement croutesque qui exerce rapidement une inquiétante fascination sur son fils.


Ce sujet idéal pour Curtis HARRINGTON est traité avec classicisme et efficacité par le téléaste E.W. SWACKHAMER (futur signataire d'un mémorable Vampire avec Richard LYNCH), qui ne lésine ni sur les poncifs gothiques (orage, "dame blanche" errant dans le parc de la villa, gouvernante revêche, grimoires malsains), ni sur la nostalgie propre aux évocations du vieil Hollywood (la révélation finale propose une alternative délirante aux problèmes des stars déchues à la Baby Jane ou Norma Desmond). Dans les flashbacks où elle apparaît, Lorna Love promène un look eighties de chaudasse peroxydée plus proche de Morgan FAIRCHILD que de Jean HARLOW ; le rouge à lèvres criard arboré par Sylvia SYDNEY lui donne l'air d'un photophore humain ; John CARRADINE, en cinéaste-pygmalion dont la carrière fut brisée par les manigances de Lorna, clame son ressentiment sous un fracas de tonnerre et d'éclairs ; quant à Dorothy LAMOUR et Joan BLONDELL, elles apportent à leurs cameos davantage d'embonpoint que d'épaisseur psychologique.


A noter une jolie scène où Robert WAGNER, regardant un vieux film de Lorna, voit celle-ci s'adresser à lui depuis l'écran. Le finale, aussi grandiloquent qu'invraisemblable, est un grand moment de camp pur...
Pas du nanar, du nanan !...

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CRAZED (Blood Shed / Slipping into Darkness, Richard CASSIDY, 1982)


En un temps où l'Imdb n'existait pas, il me fut assez difficile d'identifier cette obscure production sortie à la sauvette en vidéo sous le label Carrère. La réalisation anonyme, l'interprétation et la musique routinières, l'apparentaient fortement à un téléfilm, mais la noirceur du propos et la (relative) violence de certaines scènes cadraient mal avec les impératifs moraux du petit écran.
Karen (Beverly ROSS), une jeune femme dépressive et épileptique, quitte son mari pour s'adonner à l'écriture en toute quiétude. Elle loue une chambre chez Mme Brower (Belle MITCHELL), une vieille veuve à demi paralytique et sénile, et fait la connaissance de Graham, (Laszlo PAPAS) son voisin, un garçon solitaire, timide et impuissant, qui a la fâcheuse manie de l'épier à travers les grilles d'aération et les glaces sans tain de la salle de bain. Victime d'une crise d'épilepsie, Karen se noie dans sa baignoire sous les yeux de Graham, qui récupère alors le cadavre et le conserve jalousement dans son appartement.


Ce qui étonne dans cette œuvrette, c'est le ton résolument neutre adopté par le metteur en scène, son approche quasi documentaire d'un cas de névrose rendu presque banal par le traitement scénaristique. Pas d'épate, peu de sang, mais une violence contenue, et une troublante application à dépeindre la médiocrité d'un quotidien rendu sordide à force de routine.
Le personnage de la vieille logeuse apathique et geignarde, les propriétaires de l'hôtel dans lequel Graham effectue le service de nuit, le professeur de littérature dictatorial et aigri, et jusqu'au personnage de Karen, neurasthénique et indécise, sont autant de portraits plutôt réussis de l'aliénation et de la bêtise ordinaires. La sauvagerie en moins, c'est un peu le propos de Henry, Portrait of a Serial Killer que Richard CASSIDY livre ici, avec quelques années d'avance.
On notera l'influence des thrillers gériatriques post-Baby Jane dans le choix du décor et dans le portrait de Mme Brewer, vieille dame assommante et baveuse, qu'une indécrottable curiosité vouera à un sort déplaisant. Le rôle est merveilleusement campé par Belle MITCHELL, une habituée du fantastique entrevue dans Le Fantôme de l'Opéra (version LUBIN), La Bête aux cinq doigts, et Soleil vert.

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THE HORROR STAR (aka FRIGHTMARE) (Norman Thaddeus VANE, 1983)


Conrad RAGZOFF (Ferdy MAYNE), ancienne star du cinéma d'épouvante, cachetonne dans des spots publicitaires pour tromper l'inactivité. Sur le tournage de l'un d'eux, il n'hésite pas à assassiner un réalisateur qui lui a manqué de respect. Lors d'une rétrospective de ses films organisée par les élèves d'une université, il est victime d'une crise cardiaque et décède quelques heures plus tard. Un groupe de fans indélicats a l'idée de voler son cadavre dans le somptueux mausolée où il repose, et d'en faire le convive d'une party improvisée. Comme de bien entendu, le mort ne tarde pas à recouvrer de la vigueur suite à une séance de spiritisme initiée par sa veuve. Son premier soin est de se venger des morveux ayant eu l'impudence de profaner son sommeil.
Pour un spectateur contemporain, cette réjouissante série B s'avère doublement nostalgique : d'abord par l'hommage qu'elle rend à un cinéma gothique alors tombé en désuétude, ensuite par son cachet typiquement eighties qui ne peut manquer de séduire ceux qui avaient 15 ans à l'époque de sa sortie. J'en avais 13 lorsque je la découvris en vidéo, et la fanatique de fantastique old school que j'étais (et demeure) en fit d'emblée l'un de ses films de chevet. Le personnage de Conrad Ragzoff devint pour moi une telle obsession que je me lançai dans la rédaction de sa monographie imaginaire, sur le modèle des volumes consacrés aux stars de l'horreur par Citadell Press. Fiches techniques et résumés de scripts à l'appui, je gratifiai le comédien d'une filmographie où se rencontraient des titres aussi alléchants que Dracula, a New Terror (David SPENCER, 1933), The Mysterious Doctor Markham (Meurtres à l'opéra, Arnold SYLVESTER, 1936), le très audacieux Horrors of Dr. Heckel (Michael MARL, 1945), que je qualifiai judicieusement de "monument de sadisme et de cruauté", ou le mythique Les Horreurs de Commode (1977), péplum horrifique et porno de six heures trente (!) anticipant le Caligula de Tinto BRASS, et réalisé par RAGZOFF lui-même à l'âge de 73 ans (!!).


On le voit, The Horror Star eut un sérieux impact sur mon imaginaire, que ne justifient pas, à vrai dire, ses qualités intrinsèques, même si la bande reste très sympathique à presque trente ans de distance. La grande idée des auteurs était de rénover le slasher en y intégrant des éléments et une atmosphère rétros empruntés à Roger CORMAN et aux films de l'Universal, dont le succès à la télévision ne se démentait pas. Retour au gothique, donc, avec remplacement du traditionnel boogeyman anonyme et décervelé par une star de l'horreur évoquant fortement LUGOSI, Vincent PRICE ou Christopher LEE. Pour camper cet imposant personnage, les producteurs eurent l'idée épatante de faire appel à Ferdy MAYNE, qui n'eut jamais l'occasion de s'imposer dans le genre autrement que dans le registre de la parodie (il fut le Comte von Krolock du Bal de Vampires et un Dracula d'opérette dans The Vampire Happening et dans l'excellente mini-série La Tante de Frankenstein). Il nous démontre ici, une fois de plus, que le cinéma fantastique s'est privé d'un interprète emblématique en ne lui accordant pas une attention suffisante.
On notera également la présence, dans la bande des jeunes malotrus, de ce cher Jeffrey COMBS, dont je n'aurai pas l'impudence de vous rappeler les hauts faits.
Malgré de fâcheuses invraisemblances scénaristiques et une photographie hésitant entre l'éclairage d'un puits de mine et la flamboyance d'un soap opera des fifties, The Horror Star se doit d'être vu par tout amateur d'horreur à l'ancienne, qu'il soit nostalgique de l'Age d'Or ou de nos plus récentes années 80.

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