lundi 16 décembre 2024

Les Rêves hérétiques de Dante Tomaselli (6 et fin)

Première partie
Deuxième partie
Troisième partie
Quatrième partie
Cinquième partie




Après l'abandon du projet The Ocean et le presque mainstream Satan Playground, Tomaselli décida de renouer avec sa méthode initiale : un budget réduit, une intraitable fidélité à ses visions, le dédain des conventions narratives. Ce qui en résulta est son film le plus apprécié de la critique, Torture Chamber. « Je voulais à nouveau faire mes preuves, comme si c'était mon premier film », déclara le réalisateur à Matthew Edwards. « D'une certaine façon, Torture Chamber ressemblait à mon début, auquel menaient mes autres films. Torture Chamber s'apparente à une mutation de mes travaux passés. Il y avait une intense excitation et une euphorie quand j'ai pu tout laisser jaillir pendant le tournage1 ».
La dislocation du temps et de l'espace, le rejet de la logique et de la psychologie contrarient une appréhension rationnelle du film. S'il est possible de dégager une intrigue, c'est après coup, et au prix d'un effort de reconstitution, de réassemblage d'un puzzle aux pièces manquantes ou défectueuses. Durant le visionnement, le spectateur n'a d'autre choix que de s'abandonner à une succession de saynètes et d'images troublantes et mortifères, qui désarticulent le récit au lieu de le porter. Le scénario peut se résumer comme suit : le jeune Jimmy Morgan est élevé dans un climat de sectarisme religieux qui le coupe de toute réalité. A l'âge de treize ans, il est placé dans un établissement psychiatrique après avoir incendié sa maison et causé la mort de son père. Défiguré suite à une mauvaise blague (un camarade fait exploser un sac en plastique dans lequel Jimmy sniffait de la laque), il s'enfuit de l'institution en compagnie d'autres enfants ayant eux aussi le visage brûlé. Le groupe se réfugie dans les souterrains d'un château où sont entreposés des instruments de torture. Ils capturent et supplicient plusieurs personnes que Jimmy considère comme ses ennemis. Sa mère et son frère exorciste, convaincus qu'il est possédé par un démon, se lancent à sa recherche, ainsi qu'un psychiatre de l'asile. Mais leurs forces sont dérisoires face aux pouvoirs surnaturels de Jimmy.



Le film s'ouvre surune séance d'exorcisme menée par Mark, le frère aîné de Jimmy, en présence de leur mère. Le jeune garçon, dont le visage n'est qu'une plaie purulente, est enfermé dans une cage, comme Bobby dans
Desecration. Il se volatilise subitement et son esprit rageur fait exploser un miroir dont les éclats crèvent les yeux de sa mère, laquelle a les pieds brûlés par le sol devenu incandescent. Chronologiquement, la scène devrait se situer dans le dernier tiers du film. En la plaçant en introduction, Tomaselli marque son refus d'une gradation dans l'horreur. A ses yeux, celle-ci ne répond pas à un principe téléologique ; elle ne tire pas son efficacité d'une structure évolutive, mais au contraire, de la désorganisation du récit. Comme le Mal auquel elle s'identifie, elle est une puissance transgressive, et en tant que telle s'épanouit dans la perturbation. Tomaselli cherche à retranscrire la discontinuité propre aux cauchemars, dans lesquels les collisions temporelles sont fréquentes. Cette discontinuité n'est pas seulement la source de l'horreur, mais aussi son produit : on a le sentiment qu'elle résulte de la commotion suscitée par la peur – à tout le moins, que l'horreur et les altérations temporelles sont consubstantielles.


Une mère perturbée autant que perturbante (Christie Sandford)

Jimmy est probablement le plus inquiétant des personnages créés par Tomaselli. Qu'il apparaisse à visage découvert, ses yeux bleus brillant d'un éclat malveillant dans sa face carbonisée, ou qu'il porte un masque tribal représentant Balberaf, le secrétaire des archives de l'Enfer, sa présence déstabilise, comme une brèche ouvrant sur la folie et le Mal au sein d'un univers déjà passablement détraqué2. C'est la première fois que le cinéaste illustre le thème de « l'enfance démoniaque », et il le fait avec une efficacité certaine, en jouant du contraste entre l'impassibilité de Jimmy, mutique et hiératique, et l'étendue de ses pouvoirs paranormaux. Il n'est ni la marionnette gesticulante et blasphématrice incarnée par Linda Blair dans L'Exorciste, ni le garçonnet poseur et arrogant de La Malédiction (Richard Donner, 1976), ni l'un de ces enfants « trop polis pour être honnêtes » qui peuplent des films comme Le Village des damnés (Wolf Rilla, 1960), Le Bon fils (Joseph Ruben, 1993) ou Esther (Jaume Collet-Serra, 2009). Son rôle de meneur, sa froide détermination et son aura de mystère le rapprocheraient plutôt – l'éloquence en moins – d'Isaac Chroner, le jeune prêcheur à la tête des gamins psychotiques des Démons du maïs (Fritz Kiersch, 1984). Mais en dépit de sa cruauté, de sa haine aveugle et de son terrifiant aspect physique, Jimmy n'est pas réduit à un monstre absolu. Entre une mère acrimonieuse qui le croit possédé en raison de sa fascination pour le feu et de ses dons télékinésiques, un frère imbu de sa fonction cléricale qui le traite en larbin, et un père rendu à moitié fou par les bondieuseries des deux premiers, il n'y a rien d'étonnant à ce que Jimmy se mure dans ses névroses.



Une scène suffit au cinéaste pour poser ces tensions domestiques et leurs effets sur l'enfant : celle du dîner de famille où Jimmy assiste en silence à une altercation entre son frère et leur père. Devant un plat peu ragoûtant de pieds de porc et de pattes de poulet, Mark exhibe fièrement le texte d'un pamphlet qu'il a rédigé (le titre, « Tous les pêcheurs doivent-ils être damnés ? », annonce la couleur). Tandis que la mère, avec laquelle Mark échange des regards énamourés, vante son génie, le père se répand en sarcasmes sur ces « conneries » et brise son assiette sur le sol. D'un geste condescendant, Mark charge Jimmy de ramasser les débris. Quand les deux hommes ont quitté la table, la mère s'en prend au jeune garçon, lui ordonnant d'avaler son repas. L'incident se déroule avant que Jimmy a été défiguré ; il apparaît alors comme un enfant excessivement docile et introverti, mais déjà, son trop-plein de ressentiments se manifeste par un geste télékinétique : il met le feu à une bouilloire. L'incendie de sa maison, qu'il provoquera par la suite, est l'extension de cet acte bénin, et sans doute la réponse à de plus lourdes humiliations.



Comme je l'ai mentionné,
Torture Chamber fait du feu et de la brûlure ses motifs dominants, depuis le générique d'ouverture sur fond d'étincelles et d'ondulations de flammes liquides, jusqu'aux tortures infligées à la mère et au frère (le supplice du gril), en passant par l'accident de Jimmy lui-même. Sa face de gargouille, ravagée par l'explosion du sachet gonflé de laque, n'est pas seulement le signe de sa damnation ; elle témoigne également d'une affinité particulière avec « l'élément infernal » par excellence : le feu est devenu son allié après l'avoir pris pour victime, et crée une connivence spontanée avec les enfants et les adolescents qui l'épaulent dans sa croisade meurtrière – ce groupe de grands brûlés dont on se demande pourquoi ils étaient si nombreux dans le centre psychiatrique. Flanqué de ces étranges apôtres, Jimmy pourrait faire figure d'antéchrist si ses méfaits n'étaient si étroitement circonscrits. Ils ne visent que ceux qui lui ont causé du tort ou l'ont humilié : le responsable de sa défiguration, puis une professeure d'art thérapie qui s'est moquée d'un de ses dessins (représentant une madone nantie d'un phallus), son psychiatre, sa mère et son frère. Les rapports de ce dernier et de Jimmy sont clairement hostiles, tandis que ceux de l'enfant et de sa mère présentent un caractère plus confus. Si Mrs. Morgan traite Jimmy avec dureté, c'est peut-être parce qu'elle le redoute. En revanche, elle admire passionnément Mark avec qui elle entretient une forte complicité. Pourtant, elle le poignarde par deux fois : la première dans une séquence qui pourrait être un cauchemar de Mark, la seconde alors qu'il vient de lui sauver la vie et de décapiter Jimmy, dont elle pleure la mort à chaudes larmes. Son rire hystérique final porte à croire qu'elle est désormais possédée par l'esprit de l'enfant. Ce dénouement surprend, donnant l'impression que les sanglants événements précédents n'avaient d'autre finalité que de permettre la fusion de la mère et du fils, fût-ce sous les auspices du Mal.


La Madone au phallus 

Tomaselli reconnaît volontiers que la violence et la noirceur de Torture Chamber font écho à sa colère et à sa déception après l'échec de The Ocean. Jimmy, le garçon mal aimé, blessé, muré dans sa différence et ses ressentiments, est la personnification d'un mal-être qui ne trouve d'exutoire que dans l'exécration. Pour le cinéaste, comme pour tout artiste, l'exutoire est la création, et le film en est un exemple probant. Jimmy est un stupéfiant concentré d'innocence et de névrose, l'un des plus mémorables « enfants monstres » du cinéma d'horreur contemporain. Plus qu'un personnage, il est un état d'âme – d'âme damnée, mais non exempte de pureté dans l'intégrité de son adhésion au Mal.

Depuis 2013, Dante Tomaselli s'est essentiellement consacré à la musique, signant plusieurs albums d'ambient horror qui pourraient être autant d'illustrations sonores de films rêvés (il a d'ailleurs pour habitude de composer les bandes originales de ses longs métrages avant le tournage, déterminant ainsi l'atmosphère qu'il souhaite transcrire visuellement). Parallèment, il travaille sur deux projets cinématographiques particulièrement alléchants : un remake de Communion sanglante (Alice, Sweet Alice), le classique de la religious horror réalisé par son cousin, le regretté Alfred Sole – que Tomaselli a co-écrit  avec Michael Gingold, co-scénariste de The Ocean –, et Damnation (anciennement baptisé The Doll), dont l'action prend place dans la ville de Salem au cours des années 1970. Il y est question d'un musée de cire dédié aux procès de sorcellerie qui ensanglantèrent la cité, de l'étrange famille propriétaire du lieu, et d'une poupée maudite ayant appartenu à une fillette noyée dans un lac. Les deux matériaux apparaissent idéaux pour que s'épanouisse l'inspiration si personnelle du cinéaste. 

En une vingtaine d'années et quatre films, son mysticisme noir, sa relation organique au surnaturel, son art de corréler surréalisme et terreur, l'exigence de son travail introspectif où la quête spirituelle est indissociable d'une approche scrupuleusement instinctuelle du geste artistique, ont d'ores et déjà imposé une marque indélébile sur le cinéma d'horreur indépendant à micro-budget. On pourrait écrire de son œuvre ce que Dominique Païni écrivait du cinéma expérimental : l'un de ses moteurs est « d'en découdre avec la linéarité – toutes les linéarités réductrices, triviales et décevantes – engendrée par la soumission paresseuse à la vraisemblance, à la croyance dans un réel sans contradictions, à l'inconcevable unité du moi3 ». Un tel programme est d'autant plus courageux qu'il s'exprime dans le cadre d'un genre trop souvent réfractaire à sa mission : briser les codes pour s'ouvrir à l'inconcevable. Il ne suscitera pas obligatoirement l'enthousiasme populaire, mais ne peut que forcer l'admiration.

MERCI A DANTE POUR SON INESTIMABLE SOUTIEN DANS L'ELABORATION DE CET ESSAI, ET BONNE CHANCE POUR SES NOMBREUX PROJETS !


Site de Dante Tomaselli



1Matthew Edwards, « Outside Peering In, a Interview with Dante Tomaselli », in Twisted Visions, Interviews with Cult Horror Filmmakers, op.cit., p.197

2Le masque fut initialement employé pour des raisons pratiques : il permettait de faire appel à un autre acteur afin de contourner la limitation du nombre d'heures légales de travail pour un mineur.

3Dominique Païni, « Cherchez l'homme, vous trouverez le cinéma expérimental »


dimanche 15 décembre 2024

Les Rêves hérétiques de Dante Tomaselli (5)

1ère partie
2ème partie
3ème partie
4ème partie


Avec Satan's Playground, distribué en 2006 par la prestigieuse firme Anchor Bay Entertainment, le cinéaste s'essaie à une production plus accessible au grand public. Le scénario se veut un hommage au cinéma d'horreur des années 1970 et du début des années 1980. Pour souligner cette parenté, trois acteurs s'étant illustrés dans des titres emblématiques de l'époque sont mis à contribution : Edwin Neal (l'auto-stoppeur du Massacre à la tronçonneuse original), Ellen Sandweiss (dont c'est le premier film depuis le mythique Evil Dead de 1981) et Felissa Rose (le meurtrier transgenre de Massacre au camp d'été, Robert Hiltzik, 1983). Autre référence familière aux spectateurs américains : le scénario intègre une légende rurale bien connue aux Etats-Unis, celle du Diable de Jersey. Cette créature à tête de chèvre et aux ailes de chauve-souris serait le treizième enfant d'une habitante de Pine Barrens (immense étendue forestière située dans le New Jersey), Jane Leeds, et aurait tué sa génitrice avant de disparaître dans la forêt. Satan's Playground fut tourné sur les lieux mêmes où l'histoire est censée s'être déroulée et que hanterait le monstre depuis trois siècles. Un couple, Donna et Frank Bruno, leur fils autiste (Sean), la sœur de Donna (Paula) et son bébé tombent en panne de voiture alors qu'ils vont passer quelques jours de vacances dans Pine Barrens. Frank va chercher de l'aide dans la forêt et avise une maison décrépite habitée par la vieille Mrs. Leeds, son fils et sa fille Judy. Derrière la demeure, il voit un homme se faire fouetter par une assemblée d'individus encapuchonnés. A peine remis de sa stupeur, il est attaqué par Judy et sa mère qui lui fracassent le crâne. La nuit venant, Donna part à la recherche de son mari et pénètre à son tour chez les Leeds. La vieillarde lui parle du Diable de Jersey et de sacrifices humains perpétrés dans les parages. Droguée par Mrs. Leeds, Donna est malmenée par ses hôtes et par un membre de la mystérieuse société secrète entrevue par Frank. Bien que sérieusement blessée, elle parvient à prendre la fuite. Paula, voulant retrouver son bébé enlevé par Judy, tombe à son tour sous les coups de Mrs. Leeds, tandis que Sean périt en s'enfonçant dans le sol mouvant de la forêt. Revenue sur les lieux avec un policier – promptement assassiné par Judy –, Donna est attaquée par le Diable de Jersey qui l'emporte dans les airs.



Le déroulement mécanique de l'action (les personnages sortent l'un après l'autre de la voiture, se rendent chez les Leeds où il se font martyriser et/ou tuer) évoque le Massacre à la tronçonneuse original et nombre de slashers des années 1980. Le découpage est linéaire et l'intrigue accessible, même si Tomaselli, fidèle à lui-même, maintient quelques ambiguïtés. Ainsi ne saura-t-on jamais qui sont ces hommes encagoulés sur lesquels Mrs. Leeds reste évasive. Satanistes ? Adorateurs du Diable de Jersey ? Membres du clan Leeds (après tout, Donna se réveille à la merci de l'un d'eux après qu'une blessure infligée par Judy lui a fait perdre conscience) ? Comme l'invasion des zombies d'Horror, la présence des membres de ce culte indéterminé semble ne s'expliquer que par le désir d'ajouter au script un élément familier du répertoire fantastique. Un élément qui nous renvoie, là encore, au cinéma d'horreur des Seventies, lorsque les adeptes du Malin étaient en vogue suite au succès de Rosemary's Baby (1968) – en attestent des films comme La Pluie du Diable (Robert Fuest, 1975), Course contre l'Enfer (Jack Starrett, 1975), Necromancy (Bert I. Gordon, 1972), et d'innombrables téléfilms. Les deux séquences impliquant ce cercle maléfique comptent parmi les plus remarquables du film sur le plan visuel, en particulier celle où Donna, attachée à un arbre, est sur le point d'être brûlée par un sataniste vêtu d'une robe écarlate. Derrière elle, un lacis de branchages évoquant une gigantesque toile d'araignée se détache sur le fond noir de la nuit. Bien que tourné en décor naturel, le plan possède une beauté plastique digne des compositions extrêmement artificielles, car conçues en studio, de Nicolas Roeg dans certaines scènes du Masque de la mort rouge (Roger Corman, 1964).

Formellement, Satan's Playground est, avec Torture Chamber, le film le plus abouti de Tomaselli. Les deux œuvres ont le même chef opérateur, Timothy Nailor, qui officiait également sur Horror. Sa photographie est ici somptueuse, pour qui apprécie les couleurs chatoyantes comme des vitrines d'Halloween, les éclairages irréalistes et vivement contrastés, l'esthétique apprêtée et à la limite du kitsch des séries B d'horreur des années 1990. La forêt dense, bruissante des battements d'ailes du Diable de Jersey, la demeure délabrée des Leeds aux pièces pénombreuses encombrées d'objets inquiétants, composent un décor hautement atmosphérique où s'affirme le baroquisme du gothique sudiste (bien que l'action prenne place dans le Nord-Est des Etats-Unis, le climat est celui de la hicksploitation). Un baroquisme auquel participe le jeu outrancier des acteurs incarnant les « méchants ». La théâtralité appliquée et un peu laborieuse d'Irma St. Paule en Mrs Leeds rappelle sa prestation dans Desecration ; en revanche, Christie Sanford, qui jugulait ses excès dans ce dernier film, en fait des tonnes dans le rôle de Judy, qu'elle réduit à une imitation grimacière de la Fanny d'American Gothic (John Hough, 1987)1, tandis qu'Ed Neal recycle, en les exagérant pathétiquement, les mimiques qui firent sa gloire dans Massacre à la tronçonneuse (1974). On pourrait qualifier ces performances de camp si la surcharge était délibérée ; mais il est douteux que St. Paule et Neal (contrairement à Sanford) aient visé à la distanciation : ils cherchent manifestement à susciter l'effroi.



Sans renoncer à ses thèmes ni à ses obsessions, Tomaselli s'emploie à les fondre dans un moule plus conforme aux attentes des fans du cinéma d'horreur commercial. Or, la rencontre d'un découpage relativement classique et d'un imaginaire qui ne peut s'exprimer pleinement que dans la disjonction engendre une bizarrerie supplémentaire. L'inspiration du cinéaste est suffisamment sombre et tordue pour que subsiste dans Satan's Playground une part du malaise qu'exsudaient Desecration et Horror ; mais ce malaise est comme aplani, balisé ; il perd de sa radicalité et ne semble plus émaner directement d'un cauchemar, mais du récit que le rêveur en fait au réveil.

L'accommodement aux conventions du genre est spécialement sensible dans la peinture de la famille dysfonctionnelle, l'un des sujets de prédilection de Tomaselli. Dans Satan's Playground, il n'est plus question d'oppression et de violence parentale, ni de fanatisme religieux. Cette fois, parents et enfants sont unis dans l'exercice du Mal, ce qui est une constante de la hicksploitation depuis Massacre à la tronçonneuse (1974) et La Colline a des yeux (Wes Craven, 1977). Les Leeds sont une famille de psychopathes ruraux « comme les autres », à ceci près qu'ils ont partie liée avec le surnaturel, étant apparentés au Diable de Jersey. Leurs méfaits sont exclusivement dirigés contre des personnes extérieures à leur clan ; la mère ne commet pas d'abus sur sa fille et son fils, ni ces derniers sur elle. S'ils ont une foi quelconque, c'est en des puissances maléfiques que Tomaselli, pour une fois, dissocie de la religion catholique – laquelle ne fait l'objet d'aucune allusion significative dans le métrage. Pine Barrens est bel et bien le « terrain de jeu de Satan » (pour reprendre le titre du film), et seulement de Satan. Cette séparation des forces du Mal et du christianisme, courante dans le cinéma d'épouvante, est inédite chez le réalisateur et constitue une autre concession aux codes de l'horreur mainstream. Quant à la famille des victimes, leurs dissensions sont banales et circonscrites aux rapports conjugaux ou sororaux ; elles épargnent les rapports filiaux. Paula adore son bébé ; Donna et Frank traitent Sean correctement. Ce dernier, incarné par Danny Lopes, l'interprète de Bobby dans Desecration et de Luck dans Horror, pourrait être l'ultime déclinaison du même personnage, muré dans l'autisme suite aux traumatismes subis lors des films précédents. Il est une troisième fois « avalé » par le sol, mais il n'en émerge plus, vaincu par la force d'attraction de l'Enfer.



Après cet intermède quasi-mainstream, Tomaselli se lança dans son entreprise la plus ambitieuse, The Ocean, budgétée à 1,8 millions de dollars – une somme conséquente pour un cinéaste dont aucun film n'a coûté plus de 500 000 dollars. Le scénario, co-écrit par Michael Gingold (rédacteur en chef éphémère du magazine Fangoria), est centré sur une médium qui se rend à Porto Rico pour renouer avec sa famille, suite au décès par noyade du mari et du fils de sa sœur. A son arrivée, d'effrayantes prémonitions l'assaillent, tandis que l'océan fait de plus en plus de victimes. Fort d'un contrat de production avec la compagnie Kindred Media Group, Tomaselli présentait le projet en ces termes au site Horror Society en 2007 : « C'est un film sur des vagues meurtrières et le nettoyage des péchés de la Terre... Il s'agit de la fin du monde... de la colère de Dieu... l'océan lui-même qui se révolte... Il y a un virus mortel du type Ebola qui se propage dans une communauté côtière. The Ocean est un film d'horreur apocalyptique racontant l'histoire d'une famille brisée et dans une profonde douleur psychique2. » Pour tenir le rôle principal, Tomaselli obtint l'accord d'une de ses idoles, Adrienne Barbeau, égérie et ex-épouse de John Carpenter. Le financement tardant à se boucler, la comédienne déclara forfait, devant assumer d'autres obligations. Dee-Wallace Stone et Margot Kidder furent successivement appelées à la remplacer auprès d'une alléchante distribution d'icônes du fantastique et de l'horreur : Tom Akins, Lynn Lowry, Judith O'Dea, et à nouveau Felissa Rose. Hélas, le budget ne fut jamais rassemblé et le projet tomba à l'eau (c'est le cas de l'écrire). Très affecté, Tomaselli traversa une longue période de dépression, envisageant même d'abandonner la réalisation.

1Les deux personnages sont pratiquement identiques physiquement et psychologiquement.

2Mitchell Wells, « Dante Tomaselli New Film The Ocean », site Horror Society, 8 février 2007, https://www.horrorsociety.com/2007/02/08/dante-tomaselli-new-film-the-ocean/, consulté le 21.05.2020


jeudi 12 décembre 2024

Les Rêves hérétiques de Dante Tomaselli (4)

1ère partie
2ème partie
3ème partie


Comme je l'ai mentionné, l'homosexualité n'est jamais traitée frontalement dans le cinéma de Tomaselli, mais elle le parcourt de manière sous-jacente. Dans le cas de Desecration, ce n'est pas un hasard si les séquences de Mama's Boy qui s'y trouvent « remakées » ont été accueillies favorablement par les clubs gays SM new-yorkais. Leur auteur en fut, assure-t-il, le premier surpris : « Je voyais mes courts métrages étranges et oniriques diffusés toute la nuit sur un écran assez grand... en boucle, sans le son... juste de pures images... flashs d'un garçon en cage portant des couches... une ampoule balançant violemment au-dessus de lui... une mystérieuse figure de mère entrant dans une pièce spectrale... Des mois plus tôt, lors de la conception du court métrage, je n'avais pas prévu que cette imagerie puisse être fétichiste. A aucun moment. Et maintenant j'étais dans un club SM et mon film y semblait comme chez lui1. » Dans le long métrage, la séquence décrite par Tomaselli est un cauchemar de Bobby reflétant peut-être un souvenir d'enfance, et traduisant son asservissement par sa mère. Le fait qu'il y apparaisse en adolescent et non en petit garçon indique qu'il demeure, en son for intérieur, un « fils à maman » immature dont la masculinité ne s'est pas affirmée. Dans une autre séquence, il se réveille en pleine nature, au milieu de roses rouges. L'image de cet éphèbe alangui sur un parterre de fleurs fait songer aux photographies des artistes gays Pierre et Gilles. Son caractère homophile est souligné par l'apparition d'un arc-en-ciel (emblème LGBT) que Bobby observe avec intérêt, comme s'il y voyait un présage ou une mystérieuse promesse. Ce rare instant d'apaisement est symboliquement placé sous le signe de l'homosexualité.

A l'instar des autres films du cinéaste, Desecration n'accorde aucun répit à ses protagonistes ; la prolifération de scènes de peur et d'horreur réduit sans cesse l'espace de la normalité. Le film compte peu d'effets gores, Tomaselli préférant susciter une terreur cérébrale qu'une répugnance épidermique. Les seuls moments sanglants sont la mort de Sœur Madeline et l'attaque d'une nonne par une paire de ciseaux qui lui lacèrent un poignet, une cheville et les joues avant de se planter dans sa gorge. La séquence est efficacement filmée et bénéficie d'honnêtes effets spéciaux ; la mort de Madeline, en revanche, est peu crédible, ce que Tomaselli reconnaît et déplore. Dans cette scène, l'avion télécommandé par Bobby ne répond plus à son contrôle et heurte le crâne de la religieuse, lui lacérant le visage avec son hélice. La maladresse de l'effet rend encore plus douteux le fait qu'un tel accident puisse réellement causer la mort. Pourtant, on peut comprendre que Tomaselli ait tenu à cette idée ; elle repose sur l'un de ses procédés favoris : faire d'un objet a priori inoffensif un instrument mortel ou une source d'angoisse. L'épisode permet aussi de signifier le manque d'emprise de Bobby sur sa propre vie, son incapacité à « piloter » les événements.

Bien que ratée (et même en raison de ce ratage), la séquence s'inscrit dans le contexte d'artificialité et de théâtralité propre à l'univers tomasellien, où le surnaturel, la violence et la mort se manifestent de façon à la fois solennelle et grandiloquente. La solennité est ce qui les rend terrifiants et favorise l'implication émotionnelle du spectateur ; la grandiloquence, qui passe parfois par l'expression du grotesque, est ce qui provoque un mouvement de distanciation, en révélant la part de construction et de performance mise en œuvre. Dans Desecration, toutes les apparitions spectrales de Sœur Madeline font appel à cette combinaison, que la nonne erre avec un hiératisme inquiétant dans l'enceinte de l'institution religieuse, qu'elle hante les cauchemars de Bobby en adoptant des attitudes hystériques, ou qu'elle l'agresse physiquement dans la dernière section du film. Le moment le plus remarquable en ce sens est le cauchemar de Bobby dans lequel Madeline, escortée par deux gnomes grimés en clowns, pénètre dans le parc de Saint Anthony en glissant sur le sol, puis s'élève devant le bâtiment en dardant devant elle un regard menaçant. L'autre grande figure théâtrale du film est Matilda, interprétée par Irma St. Paule, une comédienne que Tomaselli emploiera de nouveau dans Satan's Playground. Son jeu emphatique et son visage marqué par l'âge confèrent à Matilda une aura irréelle et inquiétante. La bande son accentue le bruit de sa respiration spongieuse et de sa toux grasseyante, rendant sa présence pénible pour le spectateur – ses problèmes pulmonaires marquent une analogie entre Matilda et Mary, morte de suffocation. Une fois de plus, la théâtralité du personnage indique qu'il n'est pas dépourvu d'accointances avec le Mal et ne peut donc être considéré comme totalement positif.

Desecration fut le premier film d'horreur américain indépendant à être distribué directement en DVD, par une firme pionnière dans le domaine de la vidéo, Image Entertainment – une chance pour un long métrage de 150 000 dollars tourné en Super 16 par un inconnu. Il se forgea rapidement une réputation de singularité parmi les amateurs d'horreur underground qui vantèrent ses qualités de style et comparèrent son auteur aux maîtres italiens du genre, Dario Argento et Lucio Fulci. Bien que sensible au compliment, Tomaselli signale fréquemment qu'il découvrit les œuvres de ces cinéastes longtemps après avoir défini son esthétique personnelle, et qu'il n'a pas subi leur influence. « Je ne cherche jamais à mêler d'autres artistes ou d'autres visions du monde à mes films et à ma musique. J'invite et je canalise des images qui viennent du plus profond de moi. Je ne suis influencé par rien d'autre que mes propres cauchemars, ma propre enfance qui est aussi complexe qu'une empreinte digitale2 », insiste-t-il.

La nature idiosyncrasique de son travail se confirme quatre ans plus tard avec Horror (initialement baptisé Death Door), distribué en 2003 par Elite Entertainement. Ce deuxième film – à peine mieux nanti (250 000 dollars) que Desecration – est encore plus radical dans son refus de la linéarité, plus exigeant dans sa restitution de la texture des cauchemars. Son « héros », Luck, se sauve d'un centre de désintoxication avec quatre autres adolescents. Ils projettent de se réfugier chez un étrange prédicateur, le Révérend Salo Jr., qui leur a promis le salut s'ils acceptaient de le rejoindre dans sa ferme isolée. Parallèlement, nous assistons aux sinistres agissements de Salo Jr. et de sa femme qui, en plus de commettre des enlèvements et des meurtres, séquestrent leur fille Grace et la gavent de psychotropes. Celle-ci ne trouve de réconfort qu'auprès de son grand-père, le Révérend Salo Sr., jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'il est en réalité décédé et lui rend visite depuis l'au-delà. Quand Luck parvient chez les Salo avec sa bande, il découvre Grace en train d'être droguée par ses parents et abat ces derniers. Dès lors, les événements terrifiants se multiplient : une horde de zombies assaille la ferme, Grace est hypnotisée par son grand-père et imagine qu'il la torture, Luck est atteint par un mal étrange et vomit du sang. Le film se termine comme il a commencé : Luck se réveille dans le centre de désintoxication et s'enfuit en tuant un garde.

Tomaselli considère Horror comme une séquelle indirecte de Desecration, Luck étant à ses yeux Bobby plus âgé ; il est d'ailleurs incarné par le même acteur, Danny Lopes, en qui le cinéaste voit son alter ego. L'interprète et son personnage sont clairement les messagers de ses angoisses adolescentes et de ses questionnements métaphysiques d'adulte. Mais alors que Bobby n'avait aucun compagnon de son âge avec qui affronter ses hantises, Luck est entouré d'amis et rencontre même un pendant féminin en la personne de Grace. La jeune fille tient un rôle aussi important que lui au sein de l'intrigue, même si elle demeure essentiellement passive. Luck, pour sa part, affirme davantage sa masculinité que ne le faisait Bobby. Il se comporte en leader de la bande de fuyards, commet trois meurtres (celui du garde et ceux des parents de Grace), et il a une petite amie, Amanda. S'il faut voir en lui un Bobby mûri, il s'est manifestement libéré de l'influence maternelle et n'est plus tourmenté par ses anciens démons. C'est Grace qui se trouve dans cette situation, sous la coupe de parents abusifs et en proie à des hallucinations.

Les drogues tiennent une place importante dans les films de Tomaselli, en particulier les deux premiers – le cinéaste, au demeurant, affirme ne pas en consommer. Dans Desecration, c'est une substance hallucinogène que contient le biberon avec lequel Bobby est aspergé par sa mère3, et les pilules que le Père Nicolas dispense à ses élèves sont sans doute plus que de simples calmants ; dans Horror, le Révérend Salo Jr. use de stupéfiants pour affermir sa domination sur ses adeptes et laver le cerveau de sa fille. Dans tous les cas, les drogues sont délivrées par un parent ou une figure parentale cherchant à établir un ascendant moral et/ou physique. Elles n'ont aucune vertu émancipatrice mais confinent ceux qui les absorbent dans un dédale de visions cauchemardesques. Un autre moyen de sujétion mentale est sollicité dans Horror : l'hypnose, pratiquée par le Révérend Salo Sr. Lors de sa première apparition, le vieil homme endort Luck au cours d'une séance publique dans le centre de désintoxication. Plus tard, il subjugue toute une assemblée à laquelle il reproche de mettre son pouvoir en doute, et qu'il adjure de ne jamais oublier son nom. Son magnétisme vient en renfort de ses prêches, et il est évident que pour Tomaselli, il n'y a guère de différence entre prédication religieuse et induction hypnotique.

Là encore, l'extrême théâtralité des démonstrations de Salo Sr. signale qu'il a partie liée avec le Mal. Sa prestation dans le rehab, qui précède une affectueuse conversation avec Grace, nous avertit de la malignité de ce grand-père apparemment bienveillant. Il est probable qu'il ait hypnotisé la jeune fille avant de mourir, et que ses apparitions résultent de cette influence psychique. La séance de torture qu'il lui inflige par suggestion hypnotique est un grand moment de grandiloquence : drapé dans une toge rouge et trônant sur un fauteuil ouvragé, il dirige à distance le mécanisme d'une table d'élongation en agitant les mains avec emphase et en grimaçant de plaisir. Il est l'antagoniste le plus redoutable du film – davantage que son fils et sa belle-fille – ; sa duplicité, sa science de la mystification et de l'artifice en font la force où s'originent les envoûtements subis par les adolescents. Tomaselli a confié le rôle à un authentique hypnotiseur, « The Amazing Kreskin », une ancienne vedette de la télévision qui revendique un statut d'entertainer plutôt que de « métapsychiste » – il dit avoir pour modèle le héros de bande dessinée « Mandrake le Magicien ». Homme de spectacle, bateleur et cabotin, il met en lumière toute l'affectation de Salo Sr., un homme en constante représentation. C'est parce qu'il est piètre comédien que Kreskin compose un « méchant » particulièrement adapté à l'univers de Tomaselli : incapable de justesse, il trahit son statut d'acteur – et donc la nocivité de son personnage dans la logique du cinéaste, pour qui la pose et l'ostentation sont symptomatiques du démoniaque.

Les chevauchements chronologiques, l'imbrication du rêve et des visions dues à la drogue ou à l'hypnose, rendent Horror particulièrement difficile à décrypter. Certains n'y verront qu'incohérence ou négligence narrative, d'autres y chercheront une signification ésotérique. De prime abord, la soudaine irruption des morts-vivants peut paraître arbitraire, aucune allusion n'étant faite à leur provenance ni à la cause de leur réveil. Il est toutefois possible que ce dernier soit dû à la puissance psychique de Salo Sr., toujours active après sa mort, voire accrue par son entrée dans l'au-delà. Possible également que son trépas ne soit qu'un mensonge visant à déstabiliser Grace. Possible qu'il soit le Diable en personne, comme le suggère sa transformation en bouc sur le portrait décorant sa chambre – et peut-être le bouc rôdant dans la maison des Salo est-il Salo Sr. sous une forme animale ? Possible enfin que toute l'action ne soit qu'un cauchemar de Luck, toujours prisonnier du rehab et dont l'esprit divague sous l'effet du sevrage. Lorsqu'il se réveille dans le centre lors des scènes finales, une thérapeute lui indique que le portrait de Salo Jr. qu'il tient en main ressemble au dessin réalisé par une autre pensionnaire – qui s'avère être Grace. On peut en déduire qu'il a intégré la jeune fille dans son délire après une rencontre fortuite dans l'établissement. Quand il se rend dans la chambre de Grace, il la trouve endormie auprès de son père qui, découvrant sa présence, le mord au cou (une blessure qui disparaît dans les plans suivants). Ne serait-ce pas le signe qu'il n'est plus capable de reprendre pied dans la réalité ?

Il est toujours loisible d'établir des causalités, de justifier l'inexplicable, de structurer l'aléatoire. Mais le film peut être appréhendé d'une tout autre manière, comme un « cadavre exquis » composé des motifs et des situations qui hantent Tomaselli depuis toujours, et qui, pour le spectateur, ferait office de test de Rorschach. L'un de ces motifs, déjà présent dans Desecration, s'affirme ici et prendra une importance capitale dans Torture Chamber : la brûlure. Dès les premières minutes d'Horror, une jeune femme, bientôt kidnappée par Salo Jr, se brûle les doigts sur une ampoule de guirlande électrique. Plus tard, un miroir renvoie à Grace et à une autre adolescente l'image de leurs visages brûlés. Une petite fille zombie qui s'introduit dans la maison des Salo est également défigurée par le feu. Enfin, quand Luck découvre Grace endormie lors de la scène finale, la chute du drap qui la recouvre révèle un corps calciné d'où suintent du sang et des matières visqueuses. Dans Desecration, Sœur Madeline a la face brûlée lors d'une de ses manifestations spectrales ; le paquet cadeau offert par Mary, et que Bobby retrouve dans un sous-bois, se met subitement à irradier une forte chaleur, couvrant ses doigts d'énormes cloques ; le même phénomène se produit avec un combiné téléphonique tenu par Matilda. Plus que le feu lui-même, ce sont les ravages qu'il cause sur les corps qui semblent fasciner Tomaselli. Ces épidermes qui partent en lambeaux, se couvrent d'ampoules ou de cratères, secrètent des fluides poisseux, sont les marques d'une damnation. Ceux qui les arborent sont soit issus de l'Enfer, soit destinés à le rejoindre. Il n'est pas question de feu purificateur ; ses effets sont au contraire corrupteurs, et les individus qu'il touche sont voués au Mal, en tant que victimes ou perpétrateurs (ils assument parfois les deux rôles).

1Correspondance avec l'auteur.

2Ibid.

3C'est ce qu'indique Tomaselli dans plusieurs interviews, mais il n'en est pas fait mention dans le film.


mardi 10 décembre 2024

Les Rêves hérétiques de Dante Tomaselli (3)



L'intrigue de Desecration, premier long métrage de Dante, s'avère déconstruite et syncopée comme celles de tous ses films (à l'exception de Satan's Playground, le seul à maintenir une certaine linéarité). Elle gravite autour de Bobby Rullo, un adolescent dont la mère est morte dans de mystérieuses circonstances alors qu'il avait cinq ans, le laissant émotionnellement instable. Pensionnaire d'un lycée catholique, il tue accidentellement une nonne, Sœur Madeline, en jouant avec un avion télécommandé. Aussitôt, des événements surnaturels se succèdent autour de lui. Des visions effrayantes l'assaillent, le spectre de Sœur Madeline lui apparaît ainsi qu'à d'autres religieuses, l'une d'elles est poignardée par une paire de ciseaux animés d'une vie propre, et un camarade de Bobby tombe dans un trou qui disparaît de la surface du sol. Sa grand-mère, la très pieuse Matilda, tente d'interrompre cette chaîne d'événements dont la responsable pourrait être la mère de Bobby, ou plus exactement son esprit cherchant à s'échapper de l'Enfer.

Le film revisite les thèmes et certaines scènes d'une série de courts métrages filmés en 16 mm par Tomaselli dans les années 1990. Cet ensemble, portant le titre générique de Mama's Boy, fit l'objet de différents remontages qui furent diffusés dans quelques festivals, ainsi que dans des clubs SM gays new-yorkais – parfois sans le son et « en toile de fond ». Il y était déjà question des rapports pervertis d'un jeune homme et de sa mère, une matière que Tomaselli travaillera à nouveau dans une version de vingt-trois minutes de Mama's Boy, baptisée Desecration. Le réalisateur désavoue aujourd'hui ce coup d'essai : « Il faudrait le jeter à la poubelle. Je l'ai filmé moi-même sur un support vidéo numérique minable. Le lieu de tournage était la maison de ma grand-tante Mary, à Patterson, et ça s'est avéré stupide. Certains plans de la statue fissurée de la Vierge Marie étaient décents et une scène où des ballons attaquent la grand-mère de façon surréaliste fonctionnait pas trop mal.1 » Quelles qu'en soient les faiblesses, cette bande (qui inspira au chanteur Marc Almond sa chanson Caged) n'en demeure pas moins la véritable matrice du long métrage. Seules trois séquences de ce dernier réunissent Mary Rullo et son fils Bobby. Dans la première, qui ouvre le film, la grand-mère Matilda pénètre dans la chambre de l'enfant et y découvre le cadavre de Mary, probablement terrassée par une crise d'asthme comme le suggère l'inhalateur qu'elle tient en main. Dans la deuxième, Mary remet à Bobby, âgé de trois ou quatre ans, un gigantesque cadeau de Noël qu'il déballe hors-champ, frustrant notre curiosité. La troisième scène, reprise de Mama's Boy, est un cauchemar de Bobby : nous le voyons adolescent, enfermé dans une cage et vêtu de langes ; Mary entre dans sa chambre meublée de jouets démesurés, et l'asperge avec le contenu d'un biberon en ricanant. De toute évidence, la cage est le cadeau de Noël précédemment offert par Mary, et le cauchemar une transposition des brimades que la mère infligeait à son fils. Ces trois courts passages illustrent de manière allusive la toxicité de la relation entre Bobby et sa mère et la tyrannie possessive de cette dernière. Sa domination persiste à travers les souvenirs et les rêves du jeune garçon, mais aussi de façon surnaturelle ou névrotique, selon que l'on opte pour une interprétation paranormale ou psychologique de l'intrigue.



La première option fait du fantôme de Sœur Madeline le réceptacle de l'esprit de Mary (les deux personnages sont joués par la même actrice, Christie Sanford, présente dans tous les films de Tomaselli), cherchant à rétablir son emprise sur son fils pour s'extraire de l'Enfer. C'est l'explication fournie par une médium consultée par Matilda, qui confirme les intuitions de la vieille dame. Cette interprétation maintient le spectateur sur le terrain familier des cas de réincarnations et le dispense d'explorer le sous-texte de l'intrigue. La seconde approche analytique postule que les phénomènes surnaturels n'existent que dans les psychés perturbées de Bobby et de sa grand-mère. L'un et l'autre sont persuadés que Mary, comme les défuntes récalcitrantes d'Edgar Poe, possède une volonté trop forte pour se résoudre à la mort. Dans le cas de Bobby, cette conviction a une double origine : il ne peut croire que Mary renoncera à son ascendant sur lui (si tant est qu'il le souhaite), et il s'accuse d'avoir causé sa mort. Ce décès, qui eut lieu le jour de son cinquième anniversaire, était-il un cadeau du Ciel répondant à ses prières ? Il est possible qu'il le pense et redoute une punition d'outre-tombe. Ce n'est pas un hasard si les phénomènes surnaturels se produisent après qu'il a tué accidentellement Sœur Madeline. Ce drame réactive sa culpabilité envers sa mère, et il associe les deux femmes dans une commune action vengeresse à son encontre.

En pleine crise œdipienne, Bobby est pris dans un mouvement ambivalent de répudiation et de convocation de la mère. Le père est absent des trois scènes impliquant Mary, comme s'il n'avait joué aucun rôle dans les premières années de son fils, laissant à son épouse toute latitude pour établir son joug sur Bobby et abdiquant sa fonction de censeur du désir incestueux. Il n'apparaît dans le film qu'après la mort de Sœur Madeline, pour assister Matilda dans l'élucidation de mystères auxquels il ne croit pas. A ses yeux, la vieille dame est gâteuse, et il ne l'aide qu'à contrecœur. Il s'oppose également à elle au sujet de Mary, qu'elle qualifie de sainte et qu'il considère comme une malade mentale. Le sort de Bobby ne semble guère l'intéresser outre mesure ; il montre plus d'agacement que d'inquiétude envers les faits alarmants qui se produisent. Si les dialogues ne mentionnaient son statut de père, on pourrait le prendre pour un lointain parent de Bobby, voire un ami de la famille.



Dans les films de Tomaselli, les pères sont soit impuissants (
Satan's Playground, Torture Chamber), soit nuisibles (Horror). Celui de Desecration n'est d'aucun poids contre l'emprise, surnaturelle ou fantasmée, de la mère, ou plus exactement des mères, car les nonnes de l'Académie Saint Anthony peuvent être considérées comme des substituts maternels (Sœur Madeline en premier lieu, qui s'identifie à Mary). Leur aveugle dévotion présente un caractère pernicieux que l'adolescent perçoit confusément, comme le suggère la scène où il voit le portrait d'une nonne se métamorphoser – son visage sévère se mue en tête de mort puis en face de clown. Matilda est une autre figure maternelle, suppléant à Mary dans l'éducation de Bobby. En proie à un délire mystique où se confondent superstition et bigoterie, elle entretient le malheureux dans sa psychose en partageant ses craintes irrationnelles. Les accents anticléricaux de Desecration (ou du moins la défiance qui s'y exprime envers la religion) sont indissociables d'une critique appuyée du matriarcat. L'Eglise et cette autre institution qu'est la maternité exercent une tutelle jalouse et funeste sur leur « progéniture » (n'oublions pas que la première, en tant que communauté d'enfants baptisés, assure un rôle maternel), que Tomaselli mettra de nouveau en cause dans Horror et Torture Chamber.

Les membres masculins du clergé peuvent s'avérer tout aussi inquiétants que ses éléments féminins. Le Père Nicolas, professeur à Saint Anthony, possède une réserve de pilules qu'il distribue libéralement aux élèves trop anxieux. Celle qu'il fait avaler à Bobby lui cause des hallucinations, dont une vision du prêtre braquant sur lui des yeux blancs de démon. Ses marques d'attention sont empreintes de fausseté, comme si elles cachaient une malveillance larvée, et il semble prendre plaisir aux infortunes de l'adolescent – il lui annonce avec un amusement manifeste son échec à d'importants examens ; il sourit en constatant que Bobby s'est uriné dessus après avoir vu le spectre de Sœur Madeline. Les autres jeunes pensionnaires de Saint Anthony ne se montrent pas plus compatissants, à l'exception possible de Sean, qui disparaît du film aussitôt qu'apparu : courant avec Bobby dans la forêt, il est happé dans un trou dont toute trace s'efface quelques minutes plus tard. Le motif du trou s'ouvrant subitement sur les entrailles de la terre était l'une des terreurs enfantines de Tomaselli et renvoie à sa peur de tomber dans « les puits de l'Enfer ». On le rencontre dans ses autres films mais il revient ici avec insistance : un puzzle assemblé par Matilda représente un sous-bois où deux béances « avalent » la tête de Bobby et l'une de ses mains ; on retrouve cette image sur des croquis dessinés par Sœur Madeline ; dans les dernières séquences, celle-ci pousse Bobby dans un trou d'où émane une lumière rouge, et d'où le tirent, le lendemain, le Père Nicolas et Sean, mystérieusement réapparu. Cette plongée en Enfer – ou ce retour dans la matrice maternelle – a-t-elle eu des vertus rédemptrices ? Avant de l'y faire basculer, la nonne démoniaque déclare à Bobby : « Ta repentance est trop tardive ; il te faut croire en la punition éternelle ». Le fait qu'il regagne finalement la surface pourrait signifier qu'il ne méritait pas la damnation – ou qu'il a surmonté son Œdipe – et aurait valeur de renaissance. L'ultime scène dément cette hypothèse en suggérant que l'esprit de Mary n'est pas apaisé et que d'autres maléfices sont à craindre. C'est le signe que Bobby demeure tenaillé entre le rejet et la nostalgie de sa mère, et qu'il échoue à s'émanciper.



On sait le lien établi par la psychanalyse entre Œdipe prolongé et homosexualité. « Un jeune homme a été fixé à sa mère, au sens du complexe d’Œdipe, d’une manière inhabituellement longue et intense. Mais vient enfin, la puberté une fois achevée, le temps d’échanger la mère contre un autre objet sexuel. Il se produit alors un retournement soudain ; l’adolescent n’abandonne pas sa mère mais s’identifie à elle, se transforme en elle et recherche maintenant des objets qui puissent remplacer pour lui son propre moi et qu’il puisse aimer et choyer comme il en avait fait l’expérience grâce à sa mère », écrit Freud2. Attachement filial excessif, mais aussi possessivité maternelle, « mère phallique » et père en retrait : ces « facteurs homogènes » sont si couramment convoqués qu'ils tiennent du lieu commun et peuvent passer pour des préjugés. Comme le signale Philippe Ariño : « L’association mère-homosexualité agace souvent la communauté homosexuelle au plus haut point. Et il est facile de comprendre pourquoi : bien des sujets homosexuels ne désirent pas analyser la relation idolâtre qu’ils entretiennent avec l’être qui est pour eux le plus détestable et le plus cher au monde. Ils démontrent par leurs propos qu’ils ont élevé leur mère au rang de déesse ou de vierge, pour mieux fuir les femmes réelles. Dans les œuvres homo-érotiques, cette matrone toute-puissante prend tellement de place qu’elle donne très souvent la mort aux hommes ou à leur propre fils3 ». Si le ton d'Ariño est volontairement polémique, il n'en est pas moins vrai que la mère captative et létale est une figure récurrente, quasi-iconique, de la culture gay, ou qu'elle peut être indicatrice d'un sous-texte homosexuel.

1Correspondance avec le cinéaste.

2Sigmund Freud, « Psychologie des foules et analyse du moi », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, pp.171-172

3Philippe Ariño, « Code n°120 : Mère possessive », site Araignée du désert, 2013, http://www.araigneedudesert.fr/code-n120-mere-possessive/

lundi 9 décembre 2024

Les Rêves hérétiques de Dante Tomaselli (2)

Première partie : cliquez


Un Dieu diabolique, dispensateur du Mal et de la folie, est au centre du l’œuvre de Tomaselli, comme le sont ses zélateurs, lesquels nous renvoient au deuxième thème fétiche du cinéaste : la famille. Si Dieu et la religion sont des substituts de l'autorité parentale, la malfaisance des premiers ne fait que reproduire celle de la seconde. La cellule familiale, puritaine et bigote, est représentée par Tomaselli comme un foyer d'infection, cause de l'aliénation de ses rejetons. Les désordres psychiques des adolescents de Desecration (1999), Horror (2003) et Torture Chamber (2013) sont le fruit d'une éducation délétère, à la fois rigoriste et perverse. Leurs névroses sont façonnées par leurs géniteurs, souvent secondés par d'autres membres de la famille (un frère dans Torture Chamber, un grand-père dans Horror). « Une mauvaise décision prise par une famille peut hanter une âme pour toujours. La graine est plantée et la terreur ne fait que croître1 », déclare le réalisateur. Les « mauvaises décisions » peuvent être involontaires : le fanatisme religieux de la mère et du frère de Jimmy Morgan, l'adolescent de Torture Chamber, est sans doute la cause de sa prétendue possession, mais les deux adultes n'en ont aucunement conscience. En revanche, les parents de Grace Salo dans Horror sont des manipulateurs qui provoquent délibérément les hallucinations de la jeune fille en lui administrant des drogues. Le dysfonctionnement familial peut être recherché et entretenu par des esprits dérangés (la mère abusive et l'aïeule bondieusarde de Desecration) ou sadiques (les Salo dans Horror). Quel que soit leur degré d’intentionnalité, les méfaits commis par la famille ont des effets désastreux et irréparables.


Pour Tomaselli, l'Eglise et le Foyer sont deux structures coercitives qui, sous prétexte d'éducation, dénaturent les esprits soumis à leur magistère – en particulier les jeunes esprits. Nous touchons là à un autre thème essentiel dans l’œuvre du cinéaste : l'enfance et la prime adolescence, présentées sous leur jour le plus tourmenté. Tomaselli répète fréquemment que les scènes de terreur de ses films sont des reconstitutions de ses cauchemars d'enfance. Il souffrait alors de troubles du sommeil, de somnambulisme, d'angoisses nocturnes. Sa production filmique et musicale, ne cesse d'interroger cette période de sa vie et les démons qui la hantaient. L'horreur y tenait une grande place : il rêvait sur les affiches et les photos de L'Exorciste (The Exorcist, 1973), de Ne vous retournez pas (Don't Look Now, 1973), de Communion sanglante (Alice, Sweet Alice, 1976), réalisé par son cousin Alfred Sole ; il passait des heures à dessiner des cimetières, des maisons hantées, et adorait jouer des tours macabres à son entourage. Comme pour beaucoup d'artistes spécialisés dans le genre, son enfance fut un temps de domestication de la peur par le biais de l'appropriation de ses objets. Cette stratégie est interdite aux jeunes personnages de ses films, à l'exception de Jimmy dans Torture Chamber, qui inspire l'effroi après l'avoir subi et se mue en antagoniste. Bobby Rullo, l'adolescent victime d'hallucinations de Desecration, et Grace Salo, la fille du révérend démoniaque de Horror, ne peuvent échapper à la terreur qui gangrène leur quotidien ; ils sont prisonniers de cauchemars gigognes et ne s'évadent de l'un que pour basculer dans un autre. Les scripts de Tomaselli obéissent à une logique onirique qui balaye toute certitude. L'espace et le temps sont soumis à d'imprévisibles bouleversements ; les événements ne suivent pas un cours linéaire mais s'entortillent, se chevauchent ou se bouclent sur eux-mêmes ; l'action ressemble à un puzzle comportant des pièces étrangères à l'ensemble, dont les formes ne devraient pas permettre l'imbrication, et qui pourtant composent un tout.


Ces circonvolutions participent à l'oppression des protagonistes et à leur impuissance. Tomaselli décrit ses films comme des « trains-fantômes de l'esprit » (« funhouses of the mind ») ; on peut estimer qu'ils sont aussi des labyrinthes sans issue, dont l'entrée se perd si bien dans la mémoire qu'on se demande si elle a jamais existé. Son univers ressemble à un purgatoire dont les hôtes expient des fautes indéterminées. Si les adolescents échappés d'un centre de désintoxication dans Horror peuvent être considérés comme des « pécheurs » aux yeux de la morale chrétienne, Grace Salo est une jeune fille innocente dont la seule "faute" est d'être née dans une famille d'illuminés criminels, et Bobby dans Desecration n'est lui aussi que la victime d'une mère probablement psychotique – Tomaselli considère le personnage de Luck, le leader de la bande de drogués de Horror, comme une version plus âgée de Bobby ; les traumatismes vécus par ce dernier peuvent expliquer qu'il ait tourné mal, comme Jimmy dans Torture Chamber. Pour reprendre les termes du cinéaste, tous sont « dominés par des forces sur lesquelles [ils n'ont] aucun contrôle2 ». Cette sujétion, qui s'apparente à une damnation, s'articule sur le sentiment de culpabilité dont fait état le réalisateur lorsqu'il évoque sa propre enfance, et dont il illustre les effets fantasmatiques sur ses personnages.

A ce titre, l’œuvre se prête idéalement à une interprétation réaliste et psychologique. On peut appliquer aux protagonistes de Tomaselli les observations que Jean-Marie Sabatier formule sur ceux de Mario Bava, et juger qu'ils « investissent la réalité du poids de leur terreur, leur regard transformant le monde réel en un monde cauchemardesque et menaçant ». Ils « s'enferment dans leur névrose et ne considèrent plus leur environnement qu'à travers leurs obsessions lancinantes (…) [L]e décor et les objets adoptent une vie personnelle et prennent la signification que les personnages, claustrés dans leur subjectivité, veulent bien leur donner3 ». Dès lors que le cinéaste s'inspire de ses cauchemars d'enfant hanté par la notion de « faute », on peut envisager qu'il transfère sur ses personnages la culpabilité qui l'habitait. Mais quelle est la cause de cette culpabilité ? Il est probable que le jeune Dante ait soupçonné qu'une différence qui couvait en lui pouvait être jugée condamnable par le milieu catholique où il grandissait : son homosexualité. Bien qu'il l'assume pleinement à l'âge adulte, ses angoisses enfantines et la dépression qu'il dit avoir vécue de onze à dix-sept ans pourraient être liées à l'affirmation d'une sexualité non normative. Le sujet n'est jamais abordé ouvertement dans ses films, mais le profil de ses protagonistes masculins, la conscience aiguë qu'ils ont de leur marginalité au sein d'une société lourdement conservatrice, la nature de leurs anxiétés et leurs conflits œdipiens en font des figures queer. Les « forces sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle » sont peut-être issues d'un inconscient taraudé par la honte ; elles auraient alors une fonction auto-punitive.

1Lorenzo Ricciardi, « Torture Chamber, Les supplices du démon », in L'Ecran fantastique n°317, p.51.

2Matthew Edwards, « Outside Peering In, a Interview with Dante Tomaselli », in Twisted Visions, Interviews with Cult Horror Filmmakers, op.cit., p.195.

3Jean-Marie Sabatier, Les Classiques du cinéma fantastique, Paris, Balland, 1973, pp.60-61.