Première partie
Deuxième partie
Troisième partie
Quatrième partie
Cinquième partie
Après l'abandon du projet The Ocean et le presque mainstream Satan Playground, Tomaselli décida
de renouer avec sa méthode initiale : un budget réduit, une
intraitable fidélité à ses visions, le dédain des conventions
narratives. Ce qui en résulta est son film le plus apprécié de la
critique, Torture
Chamber.
« Je voulais à nouveau faire mes preuves, comme si c'était
mon premier film », déclara le réalisateur à Matthew
Edwards. « D'une certaine façon, Torture
Chamber
ressemblait à mon début, auquel menaient mes autres films. Torture
Chamber
s'apparente à une mutation de mes travaux passés. Il y avait une
intense excitation et une euphorie quand j'ai pu tout laisser jaillir
pendant le tournage1 ».
La dislocation du temps et de l'espace, le rejet de la logique et de
la psychologie contrarient une appréhension rationnelle du film.
S'il est possible de dégager une intrigue, c'est après coup, et au
prix d'un effort de reconstitution, de réassemblage d'un puzzle aux
pièces manquantes ou défectueuses. Durant le visionnement, le
spectateur n'a d'autre choix que de s'abandonner à une succession de
saynètes et d'images troublantes et mortifères, qui désarticulent
le récit au lieu de le porter. Le scénario peut se résumer comme
suit : le jeune Jimmy Morgan est élevé dans un climat de sectarisme
religieux qui le coupe de toute réalité. A l'âge de treize ans, il
est placé dans un établissement psychiatrique après avoir incendié
sa maison et causé la mort de son père. Défiguré suite à une
mauvaise blague (un camarade fait exploser un sac en plastique dans
lequel Jimmy sniffait de la laque), il s'enfuit de l'institution en
compagnie d'autres enfants ayant eux aussi le visage brûlé. Le
groupe se réfugie dans les souterrains d'un château où sont
entreposés des instruments de torture. Ils capturent et supplicient
plusieurs personnes que Jimmy considère comme ses ennemis. Sa mère
et son frère exorciste, convaincus qu'il est possédé par un démon,
se lancent à sa recherche, ainsi qu'un psychiatre de l'asile. Mais
leurs forces sont dérisoires face aux pouvoirs surnaturels de Jimmy.
Une mère perturbée autant que perturbante (Christie Sandford) |
Jimmy est probablement le plus inquiétant des personnages créés par Tomaselli. Qu'il apparaisse à visage découvert, ses yeux bleus brillant d'un éclat malveillant dans sa face carbonisée, ou qu'il porte un masque tribal représentant Balberaf, le secrétaire des archives de l'Enfer, sa présence déstabilise, comme une brèche ouvrant sur la folie et le Mal au sein d'un univers déjà passablement détraqué2. C'est la première fois que le cinéaste illustre le thème de « l'enfance démoniaque », et il le fait avec une efficacité certaine, en jouant du contraste entre l'impassibilité de Jimmy, mutique et hiératique, et l'étendue de ses pouvoirs paranormaux. Il n'est ni la marionnette gesticulante et blasphématrice incarnée par Linda Blair dans L'Exorciste, ni le garçonnet poseur et arrogant de La Malédiction (Richard Donner, 1976), ni l'un de ces enfants « trop polis pour être honnêtes » qui peuplent des films comme Le Village des damnés (Wolf Rilla, 1960), Le Bon fils (Joseph Ruben, 1993) ou Esther (Jaume Collet-Serra, 2009). Son rôle de meneur, sa froide détermination et son aura de mystère le rapprocheraient plutôt – l'éloquence en moins – d'Isaac Chroner, le jeune prêcheur à la tête des gamins psychotiques des Démons du maïs (Fritz Kiersch, 1984). Mais en dépit de sa cruauté, de sa haine aveugle et de son terrifiant aspect physique, Jimmy n'est pas réduit à un monstre absolu. Entre une mère acrimonieuse qui le croit possédé en raison de sa fascination pour le feu et de ses dons télékinésiques, un frère imbu de sa fonction cléricale qui le traite en larbin, et un père rendu à moitié fou par les bondieuseries des deux premiers, il n'y a rien d'étonnant à ce que Jimmy se mure dans ses névroses.
La Madone au phallus |
Tomaselli reconnaît volontiers que la violence et la noirceur de Torture Chamber font écho à sa colère et à sa déception après l'échec de The Ocean. Jimmy, le garçon mal aimé, blessé, muré dans sa différence et ses ressentiments, est la personnification d'un mal-être qui ne trouve d'exutoire que dans l'exécration. Pour le cinéaste, comme pour tout artiste, l'exutoire est la création, et le film en est un exemple probant. Jimmy est un stupéfiant concentré d'innocence et de névrose, l'un des plus mémorables « enfants monstres » du cinéma d'horreur contemporain. Plus qu'un personnage, il est un état d'âme – d'âme damnée, mais non exempte de pureté dans l'intégrité de son adhésion au Mal.
Depuis 2013, Dante Tomaselli s'est essentiellement consacré à la musique, signant plusieurs albums d'ambient horror qui pourraient être autant d'illustrations sonores de films rêvés (il a d'ailleurs pour habitude de composer les bandes originales de ses longs métrages avant le tournage, déterminant ainsi l'atmosphère qu'il souhaite transcrire visuellement). Parallèment, il travaille sur deux projets cinématographiques particulièrement alléchants : un remake de Communion sanglante (Alice, Sweet Alice), le classique de la religious horror réalisé par son cousin, le regretté Alfred Sole – que Tomaselli a co-écrit avec Michael Gingold, co-scénariste de The Ocean –, et Damnation (anciennement baptisé The Doll), dont l'action prend place dans la ville de Salem au cours des années 1970. Il y est question d'un musée de cire dédié aux procès de sorcellerie qui ensanglantèrent la cité, de l'étrange famille propriétaire du lieu, et d'une poupée maudite ayant appartenu à une fillette noyée dans un lac. Les deux matériaux apparaissent idéaux pour que s'épanouisse l'inspiration si personnelle du cinéaste.
En une vingtaine d'années et quatre films, son mysticisme
noir, sa relation organique au surnaturel, son art de corréler
surréalisme et terreur, l'exigence de son travail introspectif où
la quête spirituelle est indissociable d'une approche
scrupuleusement instinctuelle du geste artistique, ont d'ores et déjà
imposé une marque indélébile sur le cinéma d'horreur indépendant
à micro-budget. On pourrait écrire de son œuvre ce que Dominique
Païni écrivait du cinéma expérimental : l'un de ses moteurs
est « d'en découdre avec la linéarité – toutes les
linéarités réductrices, triviales et décevantes – engendrée
par la soumission paresseuse à la vraisemblance, à la croyance dans
un réel sans contradictions, à l'inconcevable unité du moi3 ».
Un tel programme est d'autant plus courageux qu'il s'exprime dans le
cadre d'un genre trop souvent réfractaire à sa mission : briser les
codes pour s'ouvrir à l'inconcevable. Il ne suscitera pas
obligatoirement l'enthousiasme populaire, mais ne peut que forcer l'admiration.
MERCI A DANTE POUR SON INESTIMABLE SOUTIEN DANS L'ELABORATION DE CET ESSAI, ET BONNE CHANCE POUR SES NOMBREUX PROJETS !
Site de Dante Tomaselli
1Matthew Edwards, « Outside Peering In, a Interview with Dante Tomaselli », in Twisted Visions, Interviews with Cult Horror Filmmakers, op.cit., p.197
2Le masque fut initialement employé pour des raisons pratiques : il permettait de faire appel à un autre acteur afin de contourner la limitation du nombre d'heures légales de travail pour un mineur.
3Dominique Païni, « Cherchez l'homme, vous trouverez le cinéma expérimental »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire